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Que peut-on espérer du Pape François, Latino-américain et Jésuite ?

Par Joseph Harold Pierre

Soumis à AlterPresse le 20 mars 2013

La démission de Benoît XVI et l’élection du cardinal Bergoglio à la papauté constituent deux changements majeurs dans l’histoire de l’Eglise. L’une résulte de ce que ce fut la première fois en treize siècles qu’un pape ait renoncé à ses fonctions. L’autre est considérée comme révolutionnaire, compte tenu de l’origine et de la congrégation religieuse de Francisco. Il était fort improbable de choisir un cardinal de l’Amérique Latine lors du dernier Conclave, car la région n’y comptait que 19 représentants contre 60 de l’Europe. En outre, les jésuites sont perçus comme progressistes et même parfois révolutionnaires ; il était donc difficile de penser que l’un d’eux pourrait être nommé à la tête de l’Eglise, une institution reconnue conservatrice. L’élection papale semble faire beaucoup plus d’écho que la renonciation de Ratzinger. Selon Ad social, un organisme spécialisé en médias sociaux, le nom de Bergoglio a été mentionné 5 millions de fois une heure après sa désignation, alors que Benoît XVI ne l’a été que 1,5 millions de fois suite à l’annonce de son retrait du Vatican. Compte tenu de cette révolution que représente le choix du jésuite latino-américain a la tête de l’Eglise catholique en ces temps difficiles que traverse ladite institution, et les espoirs qui sont déposés en lui, je me propose, dans cet article, de donner mon opinion sur ce qu’on peut espérer de son pontificat eu égard à son origine latino-américaine, sa vision jésuite et l’appellation de Francisco.

L’origine latino-américaine

La réalité latino-américaine est fondamentalement marquée par la pauvreté et les inégalités. Comme la foi chrétienne est appelée à s’incarner dans la vie des peuples, le discours et les actions de l’Église (catholique) en Amérique latine ont mené une lutte acharnée contre les injustices sociales. Du côté du discours, les documents des évêques : Medellín (1968), Puebla (1979), Santo-Domingo (1992) et Aparecida (2007) ont tous dénoncé la misère et invité à un monde meilleur. Dans la foulée et inspirée par le Concile Vatican II, est née la théologie de la libération qui, en dépit de ses excès et sa tendance à l’activisme ne concordant pas toujours avec la doctrine de l’Eglise, est l’expression la plus vivante et la mieux articulée des catholiques latino-américains, car elle s’est voulue libératrice des opprimés. Du côté de l’action, les assassinats de Mgr. Romero et des professeurs jésuites au Salvador témoignent de l’engagement de l’Eglise pour l’amélioration des conditions de vie des peuples latino-américain.

Le Cardinal Bergoglio, pour qui la pauvreté est une violation des droits humains, a vécu et dénoncé cette réalité d’injustices. Il a critiqué à plusieurs reprises les structures des sociétés de la région, véritable obstacle à ce que la croissance économique s’accompagne de la réduction des inégalités. D’autre part, il s’est battu contre des aspects de la postmodernité en contradiction avec les principes chrétiens, dont le mariage homosexuel et l’avortement. Cette expérience de lutte et de dénonciation lui servira pour aborder ces sujets et d’autres comme la pédophilie de certains prêtres.

Il convient de souligner que, à mon humble avis, si le prêtre jésuite a pris ses distances avec la théologie de la libération, ce n’était pas pour le message en lui-même, puisque celui-ci fut porteur d’espérances, sinon à cause des excès de cette manière de penser Dieu, particulièrement sa tendance exagérée à l’activisme et à la politisation de certains prêtres, contrairement à la doctrine de l’Eglise.

Ayant été membre de nombreux organes de l’Eglise en Amérique latine et réalisé un intense labeur pastoral, le pape a une expérience profonde et une compréhension de cette partie du monde qui constitue, avec l’Afrique, la force vive du catholicisme. Il ne fait donc aucun doute que cette expérience l’armera pour rendre plus vivante l’Église, plus ouverte au monde et placer la question des pauvres au cœur de son pontificat.

La vision jésuite

Les Jésuites sont connus comme les plus progressistes de l’Église. Ils sont reconnus pour leur solide formation intellectuelle et leur pastorale sociale. Ces caractéristiques sont observées chez ceux qui œuvrent en Haïti. Godefroy Midy, à la fois docteur en Philosophie et en Théologie, a enseigné toute sa vie et desservi des paroisses dans un premier temps. Jean-Marie Louis, docteur en Sciences politiques, travaille actuellement comme doyen de la faculté des Sciences économiques et politiques de l’université Notre-Dame et directeur du Groupe d’Appui au Développement Rural (GADRU), alors que Gabriel Dorino et Maxène Joazile sont respectivement, Directeur de Foi et Joie – un mouvement d’éducation populaire et de promotion sociale- et directeur de Solidarite Fwontalye à Ouanaminthe au service des rapatriés haïtiens de la République Dominicaine. Il convient de remarquer que l’agir de la Compagnie de Jésus n’a pas été toujours apprécié par les dirigeants de ce monde. A preuve, ils furent expulsés de l’île en 1766 et d’Haïti en 1964 sous la dictature de François Duvalier.

Les Jésuites ont toujours été aux côtés de l’Eglise dans ses moments les plus difficiles. Leur présence au Concile de Trente au XVIe siècle jetant les bases de la Contre-réforme était indispensable. Leur apport au Concile Vatican II n’en était pas moindre. Les théologiens de Lubac, Daniélou et Rahner, ont été très influent dans l’élaboration de ce document dont l’application effective tarde encore.

Bergoglio comme bon jésuite, est reconnu comme le modernisateur de l’Église catholique argentine. En outre, en tant que cardinal, il a gardé la manière jésuite de procéder, partageant sa vie entre la cathédrale et les paroisses les plus pauvres. On peut s’attendre à ce qu’à ses 76 ans, le pape maintienne sa vision jésuite des choses pour discerner la réalité et opérer les changements nécessaires à l’Église.

L’appellation de François

Le nom du pape est très symbolique. Il est lié à deux grands saints de l’Église : François d’Assise et François Xavier. Le premier est connu pour sa générosité, son amour pour les pauvres et sa relation avec la nature ou la création en général. Le second fut jésuite et a missionné 10 ans en Orient. Appelé « pèlerin des Océans », il s’est montré très ouvert aux cultures des indiens.

Le style de Bergoglio, appelé « le Pape des pauvres », montre son imitation de François d’Assise. Il vivait dans un appartement au lieu de l’archevêché, utilisait le transport en commun au lieu de la limousine qui lui a été assignée et travaillait auprès de ses prêtres des zones appauvries. Tout ceci témoigne de ce qu’il était un berger et non un prince de l’Église. S’il maintient cette inspiration de François d’Assise, il continuera à se battre pour les nécessiteux et saura affronter les problèmes environnementaux qui démontrent l’amour effréné de l’homme pour la richesse, au détriment de la vie.

Bien que l’ex - Cardinal de Buenos Aires ait travaillé dans son pays jusqu’à son élection à la papauté, une vie bien différente de l’apostolat missionnaire de François-Xavier, il a quand même montré son courage contre la corruption des politiciens et son ouverture d’esprit pour accueillir tout être humain dans l’Église. En témoigne sa réaction aux prêtres qui avaient refusé de baptiser les enfants de mères célibataires, qu’il a qualifié d’hypocrites et de pharisiens. Vu sa formation jésuite, on peut espérer que le Pape conduise l’Eglise avec l’esprit de missionnaire et d’ouverture de sa congrégation pour un dialogue fructueux avec d’autres cultures dont le postmodernisme et l’islam.

Conclusion

Pour avoir vécu et assumé la réalité latino-américaine, le pape François a acquis une longue expérience d’être avec les pauvres, ce qui pourra lui servir pour faire de l’Eglise – jusque-là critiquée pour sa richesse et ses liens avec les puissants – la défenseuse incontestée des opprimés. Comme jésuite, il doit avoir la perspicacité nécessaire pour aborder les questions les plus épineuses telles que le mariage homosexuel et des prêtres, l’avortement, l’ordination des femmes, le dialogue interreligieux, et lancer des signaux clairs de la position de l’Eglise face à la pédophilie de certains prêtres. Il pourra faire de l’Eglise sinon une alliée, du moins une interlocutrice valable pour toutes les cultures et toutes les idéologies. Il existe déjà des actes concrets qui donnent un sens à ces attentes : le pape n’utilise pas la papamobile, a préféré sa croix argentée à la papale en or. Il s’est fait bénir avant de bénir. Beaucoup lui ont critiqué son silence sur la dictature en Argentine dans les années 70 et même sa présumée connivence avec cette dernière. On espère toutefois que le cœur de l’évêque de Rome est assez propre pour répondre aux attentes des fidèles et qu’il a le courage pour opérer changements nécessaires au Vatican pour le bien de l’Eglise.

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