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Coopération avec Haiti II

Il faudrait être " à l’écoute de la partie haïtienne "

Interview avec l’ambassadeur Rhida Bouabid, représentant permanent de l’Organisation Internationale de la Francophonie aux Nations Unies

P-au-P., 3 juin. 04 [AlterPresse] --- Le processus de l’aide à Haïti est encore lent, près de 3 mois après l’installation d’un pouvoir de transition dans le pays. Les promesses prennent du temps à se matérialiser, malgré les éloges de la communauté internationale vis-à -vis des dirigeants en place.

Dans cette deuxième partie de l’interview d’AlterPresse avec l’ambassadeur Rhida Bouabid, représentant permanent de l’Organisation Internationale de la Francophonie aux Nations Unies, Gotson Pierre met sur le tapis l’attitude de la communauté de la communauté internationale au cours des deux derniers mois.

AlterPresse - Vous étiez à Port-au-Prince le 22 avril dernier [Il y a un mois exactement] pour écouter le premier ministre haïtien qui exposait les priorités de son gouvernement aux bailleurs de fonds internationaux. Gérard Latortue a confirmé son option favorable à un plan de développement axé sur les infrastructures électriques et routières, la formation des ressources humaines et le développement rural, bonne gestion, transparence, combat acharné contre la corruption telles sont les orientations que le gouvernement actuel affirme vouloir adopter. Vos réactions ?

Rhida Bouabid - Réactions très positives. Je crois que je ne suis pas le seul à avoir eu une réaction aussi enthousiaste [Â…] à la suite de la brillante présentation du Premier Ministre, à la suite de l’exposé extraordinaire qui a été fait par le ministre de l’Economie et des Finances. Nous sommes en présence d’un plan, d’un véritable plan qui est pour une approche enfin globale, qui rompt avec un certain nombre de déficiences dont le pays a souffert, dont l’ensemble des partenaires d’Haïti ont souffert et qui ont fait que pendant un certain nombre d’années, c’était difficile de mener une réelle coopération. [Â…]

Apr - [Â…] Vous êtes très élogieux ?

RB - Ecoutez, moi je suis de ceux qui pensent que lorsque les choses ne vont pas, il faut le dire. Mais lorsque les choses vont, il faut le dire aussi. Et, ce qui fait mon optimisme, c’est que d’abord il y a une conjoncture, il y a une dynamique dans le pays qui est réelle.

Ce qu’il y a aussi, d’un autre côté, je crois, c’est la jonction entre ces deux éléments qui fait que beaucoup d’entre nous sont optimistes. Il y a aussi une sorte de consensus au niveau des partenaires internationaux d’Haïti sur la nécessité d’abord de ne pas commettre les erreurs du passé. Il y a une autocritique qui a été faite aussi bien par la partie haïtienne que par la partie internationale [Â…]. Nous ne pouvions pas honnêtement ne pas la faire [Â…].

D’autre part, il y a un consensus aussi pour travailler dans une approche sectorielle, dans une approche globale, en évitant tous les petits projets, les saupoudrages, la juxtaposition de projets et d’interventions qui donnaient une sorte de mosaïque de très mauvais goût, avec des couleurs mélangées qui ne coïncidaient pas et beaucoup d’inutilités aussi.

Il y a eu des choses complètement inutiles et pourtant des sommes importantes ont été dépensées. Le résultat est là . Il y a un constat, disons-le, d’échec qui a été tiré [Â…] de l’expérience de la coopération qui a été menée. Echec [Â…] dans lequel la partie haïtienne est responsable, mais la partie internationale [Â…] également [Â…].

Nous n’avons pas su travailler ensemble, nous n’avons pas échangé d’informations. Nous ne savions pas ce que l’autre faisait et par conséquent les doublons étaient là , les chevauchements étaient là . Par définition une telle approche ne peut donner que des résultats négatifs.

Alors, la nouveauté, je dois dire, c’est qu’il y a une approche très bonne au niveau haïtien. C’est important, c’est un élément fondamental que je dois relever. On sent qu’il y a un consensus haïtien autour du projet présenté par le Premier Ministre. Il l’a ditÂ… Je crois savoir que des consultations larges ont été menées par le gouvernement avant de présenter le programme à la communauté internationale. Consultations auxquelles était associé un grand nombre [Â…].

Et, il y a, d’un autre côté, un consensus de la communauté internationale pour travailler d’une façon plus intelligente, d’une façon plus coordonnée et surtout de travailler sur le long terme. Je crois que ce sont les raisons principales qui nourrissent l’optimisme régnant.

Apr- Mais, tout de même, tout ceci ne représentera qu’un vœu si il n’y a pas de mécanisme d’opérationnalisation. Pensez-vous qu’il sera possible pour les bailleurs de fonds internationaux de s’entendre sur un mécanisme unitaire qui favorisera la relation avec la partie haïtienne ?

RB- Ecoutez : à mon avis, la coopération internationale ne sera jamais parfaite. Les organisations internationales sont les reflets de ce qui se passe à l’intérieur de chaque pays, de chaque nation qui les compose.

Donc, soyons réalistes. Il n’y aura pas de coopération parfaite. Nous commettrons encore une fois des erreurs. Le tout, c’est déjà un grand pas de ne pas commettre les mêmes erreurs de la dernière fois.

Je crois qu’il y a trois leçons importantes qui ont été tirées [Â…] de la part de la communauté internationale.

D’abord, il faudrait que l’on soit à l’écoute de la partie haïtienne. Et que l’initiative de la fixation de priorités provienne des Haïtiens et non pas de la communauté internationale. Parce que, ce qui se faisait en grande partie dans le passé, c’est que chacun des bailleurs de fonds arrivait avec un costume prêt-à -porter ou une robe prêt-à -porter en disant : voilà ce que nous savons faire, voilà ce que nous vous proposons, c’est à vous de vous ajuster dans ce moule-là . Nous adoptons aujourd’hui une approche qui est complètement différente, de dire nous sommes là , nous sommes mus par une volonté de vous aider, nous sommes conscients de nos responsabilités, nous avons confiance dans les autorités qui sont là aujourd’hui, dites nous quelles sont vos priorités, nous sommes prêts à vous accompagner dans cela. La logique est complètement différente et cela a des répercussions énormes sur la suite du processus.

La deuxième chose, c’est d’éviter ce que j’ai appelé le saupoudrage et de dire à partir des priorités qui nous sont présentées par les autorités haïtiennes, suite à un consensus nationale - ce qui est fondamental - voyons comment on peut s’inscrire dans cela. Vous n’avez pas idée de l’importance de cette nouvelle démarche.

Et, troisième chose, qui est tout à fait nouvelle dans l’esprit de la coopération internationale, - surtout quand on est des partenaires aussi variés que la Banque Mondiale d’une part, la CARICOM [Communauté Economique de la Caraibe] de l’autre, la Francophonie et l’Union Européenne ; chacun a ses procédures, a ses mécanismes - tout ce monde là se met autour d’une table et dit : nous voulons travailler d’une manière coordonnée.

Ce n’est pas pour dépasser le vœu pieu auquel vous faisiez référence. Ce n’est pas simplement un vœu. Mettons un mécanisme qui nous permette non seulement de nous informer de ce que chacun d’entre nous va faire. Etablissons des termes de référence pour chacun des domaines qui a été fixé par le gouvernement pour dire qu’est-ce qu’il y a à faire. Donc établissons une sorte de liste des actions à entreprendre et à l’intérieur de ces lites-là qui va faire quoi, avec un mécanisme de coordination permanent qui permet à chacun de nous de savoir ce que l’autre fait et comment il le fait pour de ne pas commettre les doublons.

Pour moi, c’est une révolution dans la coopération internationale. Alors, cela s’est fait très récemment. C’est tout nouveau ça ! Je crois que ça a été inauguré pour l’Aghanistan. Cela a été fait ensuite pour l’Irak. [Â…] Cela a été fait récemment pour le Libéria. Et en Haïti nous sommes dans cette démarche-là .

Alors ne soyons pas naïfs. Ne soyons pas candide. Il y aura des erreurs. Ce ne sera jamais parfait. Mais je crois, reconnaissons-le, qu’on est dans une démarche tout à fait nouvelle qui est 100 fois plus susceptible de donner de bons résultats que celle qui a été adoptée, il y a deux ans.

Apr- Mais quand je vous écoute, un élément qui suscite en moi une certaine inquiétude, c’est le temps que votre démarche pourrait prendre, parce qu’on est dans une situation, je dirais, d’urgence. Quand je vous entends parler de cette coordination-là , de cette machine à mettre en marche, je me demande si ça ne va pas prendre beaucoup de temps ?

RB- Tout le monde en est conscient. Et pour vous dire, à la suite de la réunion que nous avons eue [Â…] avec le gouvernement, on était autour d’une table entre bailleurs de fonds pour voir comment donner une suite à ça. On est pleinement conscient des contraintes de temps.

[Â…] nous sommes censés sortir vers la mi-juin avec un document consolidé, planifiant les objectifs, les actions à entreprendre sur les deux prochaines années en nous fixant, en entente avec les autorités haïtiennes, des objectifs réalistes à atteindre et des montants réalistes également, parce qu’il faut tenir compte de la capacité d’absorption du pays.

Il y aura cette conférence à la fin du mois de juin qui prendra en compte la période de transition et au-delà pour permettre au gouvernement qui sera élu en février 2006 de pouvoir bénéficier d’une sécurité jusqu’à la fin de l’année fiscale. Ensuite, il y aura une deuxième rencontre qui, elle, prendra en compte les objectifs à moyen terme et à long terme que nous sommes tous engagés à satisfaire.

Donc, pleinement conscients des contraintes de temps, nous sommes dans un exercice contre la montre. Comme disait le Premier Ministre : « a l’impossible, nous sommes tenus ».

Apr- En même temps, il faut souligner que la coopération internationale a ses propres contraintes. Quand on parle du FMI, de la Banque Mondiale, il y a certainement des contraintes qui ont parfois des répercussionsÂ…

RB- C’est clair, ça ne sera pas un processus facile. Chaque organisation a son Conseil d’Administration, a ses mécanismes. Mais il faut relever, c’est fondamental, que tout le monde est déterminé à aller de l’avant.

[Â…] Tout le monde est conscient des contraintes de temps, mais tout le monde est mu par une réelle volonté de faire bouger les choses. Le gouvernement nous a demandé [Â…] de bousculer les procédures. Il a eu parfaitement raison de le dire.

A suivre [gp apr 03/06/2004 01:00]