P-au-P., 2 juin. 04 [AlterPresse] --- Les récentes inondations ayant fait selon des chiffres concordants plus d’un millier de morts en Haiti, ont suscité la solidarité de divers secteurs au niveau national et international. Des centaines de milliers de dollars d’aide d’urgence ont été mobilisées afin de répondre aux premières nécessités des victimes.
Mais l’aide au développement tarde encore à se manifester, malgré une tournée en Amérique du nord et en Europe le mois dernier du Premier Ministre, Gérard Latortue.
AlterPresse revient sur la coopération avec Haiti à travers une interview accordée à Gotson Pierre par l’ambassadeur Ridha Bouabid, représentant permanent de la Francohonie aux Nations Unies.
Cette interview, en trois parties, est axée sur l’attitude de la Francophonie vis-à -vis d’Haiti durant les dernières années, les perspectives de coopération internationale avec Haiti et le rôle que peut jouer la Francophonie dans le développement de la coopération internationale avec Haiti.
La Francophonie, avait-elle abandonné Haïti ?
AlterPresse --- On est en train de constater que la francophonie fait preuve d’un intérêt manifeste pour Haïti. Qu’est-ce qui justifie cette nouvelle attitude ?
Ridha Bouabid --- Permettez-moi de rectifier (Â…). Nous avons toujours attaché un intérêt régulier, constant et dès le début à Haïti.
Apr --- Cela n’était pas visible.
RB --- Peut-être que nous avions et nous avons certainement encore des déficits en terme communication.
Apr --- D’ailleurs, j’allais dire qu’on a été abandonné par la francophonie.
RB --- C’est trop dire. C’est trop dire et c’est trop sévère ce que vous dites là . Parce que Haïti est un pays membre fondateur de la francophonie. Haïti se trouve dans une sous région où il y a très peu de francophones. Dans la région Caraïbes, nous comptons uniquement trois pays, à savoir Haïti, Ste Lucie et la Dominique. Vous comprenez donc que pour nous Haïti est un pays phare dans la sous-région.
Nous avons constamment cherché à travailler avec Haïti. Si je remonte aux années 70, au début des années 80 et jusqu’au début des années 90, je dirais qu’il y a eu une coopération assez régulière, même si elle a été timide. Probablement, l’éloignement du centre du siège de la francophonieÂ…
Je crois que nous avons péché. Nous n’avons pas de problème à reconnaître nos erreurs.
Il y a des erreurs. Il y en aura probablement, nous essayons en tout cas de ne pas refaire les mêmes. Mais Haïti a toujours été un pays cher pour la francophonie.
Pour évoquer les expériences personnelles que j’ai eues avec ce pays qui m’est très cher, a titre personnel, (je me permets de le signaler au passage), je couvre cette sous-région du monde depuis bientôt 8 ans. Nous avons essayé à de nombreuses reprisesÂ… Je me souviens d’un certains nombres d’accords qui ont été signés au milieu des années 90. Mais j’espère que vous avouerez de votre côté que les choses n’ont pas toujours été faciles. Nous n’avons pas toujours été en mesure de faire ce que nous pouvions faire. Dieu sait s’il y a eu des tentatives : j’en étais personnellement témoin.
Ne regardons pas trop le passé. Je crois qu’il y a eu des déficiences de part et d’autre. Je peux en tout cas dire avec certitude que pendant les 7 ou 8 dernières années, j’étais personnellement témoin de ce qui s’est passé. Il y a eu énormément d’initiatives de notre part. Nous n’avons pas été en mesure de faire ce que nous souhaitions. C’est peut-être réconfortant, mais ce n’est pas de très bon goût de le dire dans ce genre de situation. Nous n’avons pas été les seuls dans cette situation : plusieurs autres partenaires internationaux que je rencontre ces temps-ci me disent la même chose. Je crois que vous ne manquez pas d’amis, vous ne manquez pas de soutien à l’échelle internationale. Mais il n’a pas toujours été possible de réaliser ce que vous et nous souhaitions. Tournons la page. Essayons de faire en sorte que les choses marchent dorénavant et nous sommes en tout cas dans cet esprit.
Apr --- Je suis tout à fait d’accord avec vous qu’il faut vraiment regarder devant nous, qu’il faut faire des projets, qu’il faut construire ce pays. Mais il est tout de même important de pouvoir expliquer certaines attitudes. Et, je crois que le public a intérêt à comprendre ce qui est en train de se passer.
Pour cela, il est certainement nécessaire de pouvoir expliquer un passé récent. Je souhaite témoigner que dans les années 80, moi j’ai beaucoup entendu parler de la francophonie ici. Ce qui n’a pas été le cas durant ces dernières années.
Vous dites que la relation avec ce pays a été un peu difficile ces derniers temsp. Mais quand je lis par exemple votre dépliant, où la paix, la démocratie, les droits humains apparaissent comme des notions fondamentales, je n’arrive pas à m’expliquer ce silence sur les quelques récentes années assez terribles ici.
RB --- Là , je me permets de rectifier quand même un certain nombres de choses. Nous avons été présent ici au premier tour des élections législatives de l’an 2000. Nous avions une équipe d’observateurs bien fournie. Nous n’avons malheureusement pas participé au deuxième tour de ces élections pour des raisons que vous devinez. Nous n’avons pas non plus participé à l’observation des élections présidentielles (Â…) C’était en novembre 2000. (Â…) j’étais moi même personnellement présent ici pas en tant qu’observateur mais en mission d’information et de contact. Tentative de notre part de maintenir malgré tout un contact, ne serait-ce qu’à titre d’information.
Nous avons lancé un certain nombre d’initiatives d’appui dans le contexte difficile qu’a traversé votre pays entre 2000 et très récemment. Il y a eu des missions, il y a eu des tentatives de réconciliation. Nous avons entrepris cela d’une manière unilatérale au départ. Nous nous sommes joints ensuite à d’autres organisations internationales. Nous avons cherché à appuyer les efforts qui étaient déjà en cours. Ca n’a pas été facile.
L’une des dernières manifestations de la francophonie a été une semaine avant le départ du Président (Jean Bertrand) Aristide. Nous étions ici présents dans le contexte d’une mission internationale qui s’est rendue en Haïti. Nous avions rencontré le Président Aristide, nous avons rencontré pendant une longue réunion les représentants de la Plate-forme Démocratique.
Apr --- Vous étiez présents mais qu’est-ce que vous avez alors dit ? Et qu’est-ce que vous avez fait ?
RB --- Je dirais qu’on a certainement un déficit en terme de communication. Mais il y a eu, aussi bien au dernier sommet de la francophonie que pendant chacune des sessions du Conseil Permanent (Â…) (composé de représentants personnels de chefs d’états et de gouvernements membres de la francophonie), il y a eu un débat sur la question haïtienne. Cela a été un sujet de forte préoccupation pour nous : je vous disais que Haïti est un pays cher à la francophonie. Pas plus tard que début de mars, il y a eu une rencontre spéciale, un comite consultatif restreint, convoqué par le Président (Abdou) Diouf qui est notre Secrétaire Général et qui suit, je peux vous l’assurer, la situation haïtienne jour par jour.
Nous avons réuni un conseil restreint pour, non seulement évaluer la situation, mais pour voir de quelle manière nous pourrions contribuer à décrisper la situation, à faire en sorte qu’il y ait un dialogue entre les différents partenaires. Parce que notre conviction est que les crises ne peuvent être résolues par la violence : seul le dialogue est porteur de paix durable.
Alors je trouve un peu sévère votre jugement sur le silence de la francophonie. On n’a pas été si silencieux que vous le dites. On a peut être été de mauvais communicateurs pour faire parvenir les tas de préoccupations, les tas de délibérations sur la question haïtienne qui ont été menées au sein de la communauté francophone.
Permettez-moi de rajouter : immédiatement après les événements de fin février, je crois que nous avons été parmi les premiers quand même à être présents au niveau que vous savez. Niveau d’un ancien Président de la république qui a été envoyé spécial du Président Diouf, avec une délégation composée de représentants personnels de chefs d’état et de gouvernements de la francophonie, de parlementaires et de hauts fonctionnaires de la francophonie, pour venir écouter, pour venir prendre contact et dire : qu’est-ce que nous pouvons faire ? Quels sont nos domaines de priorité ? Et qu’est-ce que nous pouvons faire pour vous aider à assurer une transition qui aboutisse à un succès ?
Apr --- Aviez-vous senti en février que quelque chose allait changer dans la conjoncture haïtienne ?
RB --- Ecoutez, tournons-nous vers l’avenir. La situation était très complexe, très tendue d’abord, très complexe ensuite. De toutes les missions que j’ai effectuées dans ce pays, je crois que cela a été la mission la plus difficile, où le contexte et la conjoncture étaient, disons-le, électriques.
A suivre [gp apr 02/06/2004 06:15]