par Ernst Weche [1]
Soumis à AlterPresse le 30 mai 2004
Encore une fois, une fois de trop, Haïti pleure et enterre ses morts. Les appels à l’aide se multiplient ; la générosité des uns et des autres est manifeste. Tout cela est bien ; mais le Monde, est-il condamné à rembobiner et rejouer la cassette des catastrophes en Haïti ? Appelons les évènements par leurs noms : meurtres, assassinats, homicides, etc... Au banc des accusés, les gouvernements qui se sont succédés depuis au moins les dernières décennies, ainsi que leurs acolytes des grandes institutions internationales. Les preuves existent, nombreuses, trop nombreuses pour leur inculpation. Qui ne dit mot consent, répète-t-on souvent ; aussi « qui ne fait rien s’avoue complice ». De fait, des voix avisées n’ont jamais cessé , sans succès, d’alerter les autorités nationales et étrangères aux conséquences sur la vie de la population, d’une part du déboisement accéléré (ce, depuis les années 20) ; d’autre part, des constructions anarchiques sur les versants accidentés et dans les lits des rivières asséchées. Les documents, dossiers, études, plans s’entassent sur les bureaux des titulaires de ministères concernés, ainsi que dans les ambassades et les officines des organismes internationaux, leurs tiroirs en étant déjà surchargés. Citons, en exemple : le document de Damien sur l’état d’urgence (1988), Haïti dans le dernier carré (1997), le Plan d’Action pour l’Environnement (1999). Toutes ces productions, qui ont englouti des millions de dollars américains d’aide internationale, comportent des suggestions claires aux autorités du pays pour la prévention et le contrôle des désastres et cataclysmes naturels. La ronde, continuera-t-elle encore longtemps ? C’est d’autant plus inquiétant que plusieurs signataires nationaux des documents cités ont par la suite occupé des postes ministériels.
Débuté à la période coloniale, l’assaut impitoyable contre les forêts d’Haïti n’a jamais connu de répit. De plus de 60% dans les années 20, la couverture forestière n’est actuellement qu’à environ 1,5% du territoire. Au vu et au su de tous, c’est une mort lente (euthanasie) de la population qui jalonne l’histoire du pays le plus appauvri des Amériques. Aujourd’hui, c’est l’irresponsabilité de l’Etat haïtien et de la Communauté internationale qu’il faut mettre en évidence, et non le déchaînement de la Nature contre un peuple qu’on dit malchanceux. Tout se passe comme s’il s’agissait d’un génocide planifié. Certes, les conditions bio-géographiques d’Haïti ne favorisent pas une tranquillité des esprits. L’île d’Hispaniola est toujours sujette aux cataclysmes naturels. Cependant, force est d’admettre qu’une gestion responsable des ressources naturelles et un souci de préservation de la vie peuvent grandement atténuer les méfaits de la Nature. Point besoin d’être un spécialiste pour comprendre qu’une surface dénudée n’oppose aucun obstacle à la fureur des eaux de pluie. En d’autres termes, un territoire non protégé par des arbres est tout simplement un lit propice au débordement des cours d’eau. Malheureusement, la catastrophe actuelle risque de se reproduire, à répétition, si des dispositions ne sont pas prises pour reboiser ce pays. Il est anormal et inacceptable que chaque saison pluvieuse amène son lot de cadavres et de dégâts matériels inestimables. Puissent les autorités du pays rompre avec l’irresponsabilité du passé pour enfin gouverner (car, dit-on, gouverner c’est prévoir) et utiliser à bon escient l’aide « liée » consentie par la Communauté internationale. Qu’elles se rendent à l’évidence qu’il y a urgence en la demeure et prennent en main une bonne fois la destinée de ce pays qui s’est déjà valu le surnom enviable de « Perle des Antilles » du temps de la colonie.
Après 200 ans de non-existence, il est souhaitable qu’un Etat responsable naisse, avec pour mission de responsabiliser la population, notamment par l’éducation en matière d’environnement, tout en lui facilitant l’accès aux alternatives énergétiques et économiques ! Que la générosité des uns et des autres dépasse le cadre des interventions d’urgence pour appuyer, sur le long terme, des projets communautaires de reboisement ! C’est peut-être la seule chance qu’il nous resteÂ… pour briser le cercle des catastrophes meurtrières. Même les déshérités ont droit à la vie.
[1] Agronome - contact : eweche@yahoo.fr