Vient de paraitre chez Mémoire d’encrier, « Jacques Roche. Je t’écris cette lettre », ouvrage de Rodney Saint-Éloi, en hommage à Jacques Roche. Histoire d’amitié et de tendresse. Dialogue entre deux poètes d’une terre à l’autre. De Montréal à Port-au-Prince, les deux voix s’alternent. Les lettres se succèdent pour dire la mort, l’amour et l’exil. Livre poignant où deux amis se racontent.
D’après l’auteur Rodney Saint-Éloi, qui sera en signature ce samedi 2 mars de 10 :30 à 15 :00 à la Librairie J’imagine (49, Rue Chavannes, Pétionville), « ce livre est une nécessité, celle de rendre transparent le visage de Jacques Roche, de refuser sa mort et de convoquer en soi le meilleur. C’est ma manière à moi de faire le deuil. En déplaçant le regard du côté de la lumière. »
Ci-dessous le prologue à cette longue lettre.
Document communiqué à AlterPresse
Jacques Roche, mon ami, est assassiné à Port-au-Prince le 14 juillet 2005. Il m’a adressé sa dernière lettre, quelques jours avant que les bourreaux n’aient étouffé sa voix. Il m’a écrit : « Je viens vers toi et t’offre mon songe ».
J’existe depuis dans le souvenir de la parole donnée.
Qui me dira comment nommer la mort quand le tombeau est celui d’un ami. On apprend l’oubli et le deuil. On pleure en silence alors que remonte le fleuve de l’amitié, embrassant le visage lunaire de l’absent. Le pays perdu défile telle la silhouette diaphane de l’ange de nos rêves d’enfant. La certitude est que les nuages ne seront plus les mêmes. Ni le ciel bleu. Ni les mers. Ni les montagnes.
Jacques, j’ai parfois le sentiment étrange que tu n’as jamais existé. Pourquoi as-tu mis tant de bonté et de chansons dans ce mot qui s’appelle vivre ? Frémissent les moindres gestes où s’éveille ta fièvre de jeune homme insoumis. Suffit-il que tu ouvres les bras pour que se répande la lumière.
Jacques, je t’écris de Montréal, avec au cœur, les bris de l’île, l’encre séchée du poème, les cris de colère. J’accueille au bout du petit matin d’hiver tes mots. Bats en moi ton souffle, ta révolte et ton combat pour que les rêves ne soient pas piétinés.
Que peut le poème pour garder en nous la lumière ?
Où es-tu Jacques dans le songe que nous avons ensemble songé ?
Qu’ont-ils fait de ton rire, Jacques ?
Je t’écris cette lettre et repense à tes phrases verticales. Tu demeures dans ma nuit une étoile incendiée. Les assassins n’ont pas le pouvoir de nommer nos songes. Mille drapeaux flottent dans nos cœurs comme des tisons d’espoir. Le feu est dans chacun de tes mots, Jacques. Que tes pieds, tes mains, tes yeux et tous tes membres soient entiers à ton corps !
Cher Jacques, mon frère, mon ami, ne meurs pas, car si tu meurs, le vent meurt avec ton ombre, ou meurs si ton songe est le sang qui grandit l’horizon.
Rodney Saint-Éloi est poète et éditeur de Mémoire d’encrier. Il vit à Montréal. Ses derniers titres : J’ai un arbre dans ma pirogue (2004), Haïti kenbe la ! (Michel Lafon, 2010), Récitatif au pays des ombres (Mémoire d’encrier, 2013), Les bruits du monde (Collectif, Mémoire d’encrier, 2012).
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Jacques Roche
Poète et journaliste, Jacques Roche est né le 21 juillet 1961à Port-au-Prince. Il est l’auteur de pièces de théâtre, de chansons et de trois recueils de poèmes. Kidnappé le 10 juillet 2005, il a été torturé puis assassiné. Son corps a été retrouvé le 14 juillet 2005 à Delmas 4. Ses funérailles, populaires, ont été chantées à l’église Saint-Pierre de Pétionville le 21 juillet 2005.