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Haïti-Duvalier : Acte de mémoire de la Fokal à l’occasion du 7 février

« Depuis quand un État de bandits peut-il juger des bandits » ?

P-au-P, 08 février 2013 [AlterPresse] --- La Fondation connaissance et liberté (Fokal) a organisé une causerie avec l’historien Michel Soukar autour de la dictature atroce du régime duvaliériste en vue de faire acte de mémoire à l’occasion du 7 février 2013, date rappelant le 27 e anniversaire de la chute de Jean Claude Duvalier à la tête du pays (1971-1986).

En cette occasion, a eu lieu une exposition de photos, accompagnées d’écrits retraçant l’horreur du régime.

Pendant qu’ils étaient au pouvoir, Jean-Claude Duvalier ainsi que son père François Duvalier (1957-1971) ont commis des crimes contre l’humanité.

Le travail de mémoire et d’organisation est essentiel pour nous permettre de défendre les acquis [démocratiques] et en faire d’autres, déclare Michel Soukar, lors de cette causerie avec la présidente de la Fokal, Michèle Duvivier Pierre-Louis.

« Nous n’allons pas conserver ces conquêtes uniquement en lisant. Mais, il faut aussi que la jeunesse mette sur pied des organisations de la société civile ou politiques pour défendre ces acquis », explique t-il.

De 1986 jusqu’à 2004, aucun travail de mémoire n’a été fait, condamne-t-il, mentionnant une reprise des grandes vielles habitudes duvaliéristes ces derniers temps (de 2011 à date).

« Depuis quand un État de bandits peut-il juger des bandits » ?, s’interroge-t-il, en référence à la nature du pouvoir actuel.

Convoqué à la cour d’appel, le jeudi 7 février 2013, pour être auditionné
, l’ex-dictateur Jean Claude Duvalier, de retour en Haïti physiquement depuis janvier 2011, ne s’est pas présenté.

Lors de cette audience, le tribunal devait se pencher sur une requête, introduite par des victimes et des familles de victimes, ayant pour objectif de faire infirmer une décision précédente, selon laquelle il n’y aurait pas d’enquête sur la responsabilité présumée de l’ancien dirigeant dans les crimes qui lui sont reprochés.

En janvier 2012, le juge d’instruction chargé de l’affaire, Carvès Jean, avait décidé de juger l’ancien président pour détournement de fonds publics uniquement, affirmant que les crimes contre l’humanité, qui lui sont reprochés, seraient prescrits aux termes du droit haïtien.

« Il ne faut pas s’endormir sur des lauriers qui risquent de se faner. On doit apprendre aux autres ce qui s’est passé pendant la dictature des Duvalier », encourage l’historien, avançant qu’un pays vaut par ce que vaut sa société civile ».

Aujourd’hui est « une date spéciale pour les Haïtiennes et Haïtiens. A Fokal, nous essayons de faire acte de mémoire. Comme le disent les historiens, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir », affirme, pour sa part, la présidente de la Fokal, Michèle Duvivier Pierre-Louis.

Elle déplore la disparition des lieux de mémoire dans le pays, comme Fort Dimanche, les casernes Dessalines.

Ces lieux pourraient permettre aux jeunes d’apprendre l’histoire des cinquante dernières années ou plus.

La violence et la corruption a été institutionnalisée sous le règne des Duvalier, indique Soukar.

Après la grève des étudiants en 1961, Duvalier allait caporaliser l’université, se rappelle-t-il.

L’origine de la grève de 1960 - 1961

Duvalier avait procédé à l’arrestation d’une vingtaine de jeunes étudiants et lycéens, parmi lesquels Joseph Roney, le trésorier d’une organisation estudiantine dénommée l’Union nationale des étudiants haïtiens (Uneh).

Après des démarches vaines, l’organisation déclenche, le 22 novembre 1960, une grève générale et illimitée pour obtenir leur libération. La grève dura quatre mois, jusqu’au 16 mars 1961.

Roger Lafontant, Robert Germain et Rony Gilot organiseront la répression contre les étudiants en introduisant les tontons macoutes dans les milieux universitaires.

« A partir de ce moment, l’admission d’une personne à l’université devrait être sous contrôle. Il fallait se faire parrainer, par un grand du régime, pour y accéder », explique-t-il.

Pendant le régime des Duvalier, une guerre contre la lumière, tournée notamment contre les livres, a été systématiquement pratiquée sur tout le territoire national.

Des fouilles systématiques étaient opérées chez des gens par des militaires et autres sbires, analphabètes pour la plupart, en vue de repérer des ouvrages parlant de communisme dans le but d’arrêter leurs possesseurs,

Cette pratique était aussi très courante, en Amérique Latine, contre les idées de gauche, contre le communisme, relate-t-il.

« [Dans ma jeunesse], j’avais un vieux livre qui s’appelait « Développement communautaire ». Un ami l’ayant vu m’a dit que ce livre risque de m’emmener à Fort Dimanche à cause du mot « Commu » qui s’y trouvait », rapporte Michel Soukar, en dénonçant le côté burlesque de la dictature des Duvalier. [emb kft rc apr 08/02/2012 15:15]