Paris, 26 mai. 04 [AlterPresse] --- C’est l’épineuse question à laquelle le Comité pour la Mémoire de l’Esclavage doit apporter une réponse. Ce comité a été officiellement mis en place par la ministre de l’outre-mer, Brigitte Girardin, le 15 janvier 2004.
Formé de 12 membres, pour la plupart des historiens, scientifiques et autres intellectuels, le Comité pour la Mémoire de l’Esclavage est présidé par Maryse Condé, une célèbre écrivaine de la Guadeloupe. Il a comme tâche principale de proposer une date de commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage dans le calendrier national.
Ce comité est le résultat de la loi Taubira Delannon (l’Esclavage crime contre l’Humanité) adoptée en 2001 par l’Assemblée nationale française. Il a tenu sa première séance de travail les 8 et 9 avril.
Pour l’un de ses membres, le docteur Serge Romana, président du Comité Marche du 23 mai 1998, la mise en place de ce comité est le résultat d’une conquête menée au sein de la République française. Son rôle, indique-t-il, est de faire (re) vivre la mémoire de l’esclavage en France. Serge Romana veut toutefois relativiser l’importance de ce comité par rapport à la question de la mémoire. « Ce n’est pas le comité qui va sauvegarder la mémoire de l’esclavage en France. Il doit seulement travailler aux côtés des associations et des peuples pour qui l’esclavage est un élément vital. Ceux-là ne peuvent pas oublier », soutient-il.
Les débats sont très houleux au sein du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage. Car cette fois, les Guadeloupéens, Martiniquais et Guyanais veulent être vigilants. Ils en savent tellement de la « Falsification de l’histoire. De la manipulation de leur histoire ». Ils ne cachent pas, pour la plupart, avoir été longtemps dans l’ignorance de leur histoire. Aujourd’hui ils affirment haut et fort : « nos yeux et nos oreilles sont grand ouverts et dès qu’on cite les noms de nos ancêtres nous avons déjà la chair de poule. » C’est pour cela qu’ils ne veulent pas voir dans ce comité un cadeau du ciel. Et c’est de là que vient tout le débat autour de la date à adopter pour commémorer la fin de l’esclavage.
En fait, il y a plusieurs dates sur la table des discussions. Certains membres du comité proposent le 27 avril, date de l’abolition de l’esclavage par Victor Schœlcher, en 1848. D’autres le 22 mai, date de l’abolition en Martinique suite au soulèvement des esclaves. Il y en a qui proposent le 27 mai, date de l’abolition en Guadeloupe. D’autres proposent le 10 juin, date de l’abolition en Guyane. On propose également le 1er janvier, en l’honneur de l’indépendance d’Haïti. La dernière proposition est celle du 23 mai, date à laquelle, en 1998, environ 40.000 fils et filles d’esclaves antillais ont manifesté dans les rues de Paris.
En réalité toutes les dates ont leur signification. Seulement, Serge Romana veut mettre un bémol. Il prône le 23 mai mais ne veut surtout pas du 27 avril. Pas question pour lui de commémorer Schœlcher, le grand abolitioniste français. Serge Romana s’explique : « Nous avons souffert du Schœlcherisme en Guadeloupe et en Martinique. On nous présente Schœlcher comme un papa qui nous a libérés alors qu’on oublie nos familles qui ont souffert et combattu l’esclavage. On en souffre parce que cela nous met dans une situation où l’on ne sait même pas qui l’on est. Cela nous donne des difficultés d’honorer la mémoire de nos ancêtres. » Serge Romana veut qu’on retienne la date du 23 mai et il a ses raisons. En 1998, quand on célébrait les 150 ans de la fin de l’esclavage, il était au nombre des 40.000 manifestants de la métropole qui honoraient leurs ancêtres-esclaves.
Silencieusement ils ont marché. C’est la première fois qu’une telle manifestation a rassemblé autant de fils et filles d’esclaves antillo-guyanais. Ainsi, le président du « Comité Marche du 23 mai 1998 » revendique cette date pour la commémoration de la fin de l’esclavage. « Il faut que la République comprenne que nous n’acceptons pas la pratique de toujours accaparer les événements des peuples pour se glorifier », avertit-il.
En évoquant Schœlcher, Serge Romana soupçonne la France de vouloir glorifier son « abolitioniste ». Il dit vouloir cette fois « que la République parle de nous, de nos ancêtres, parce que l’esclavage est en nous. Il y va de notre intérêt. En parlant de l’esclavage on veut garder le lien avec nos ancêtres. C’est la preuve même de notre existence. »
Pour ce membre du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage la question de l’esclavage n’est pas une question de souvenir. C’est une question vitale. C’est pour cela qu’il veut que le 23 mai soit la date de commémoration de l’abolition de l’esclavage en France. Il parle de la Métropole parce que cela ne concerne ni la Guadeloupe, ni la Martinique, ni la Guyane. Ne parlons pas d’Haïti parce que ce pays a arraché son indépendance. « Et ce n’est pas la France qui y a aboli l’esclavage », conclut Serge Romana.
L’adoption d’une date par le comité mis en place par le ministère de l’outre-mer ne sera pas facile. La présidente, Maryse Condé, a déjà sa petite idée. Une proposition qui pourra plaire à tout le monde. Elle parle d’une date symbolique. [wa apr 26/05/2004 11:55]