Message de la Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes (CONAP), à l’occasion de l’officialisation de la Place Catherine Flon
Soumis à AlterPresse le 20 mai 2004
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En ce jour du 17 mai 2004, nous marquons une page d’histoire. Mieux, j’affirme que nous, femmes haïtiennes, marquons une page d’histoire. Enfin, après 200 ans une femme reçoit les hommages officiels qu’elle mérite. Enfin, après 200 ans d’histoire il est officiellement reconnu que cette Nation a aussi des bâtisseuses. La place des héros de l’indépendance devient la place des héros et héroïnes de l’indépendance.
L’officialisation de la place Catherine Flon est l’occasion de souligner les contributions passées et présentes des femmes à la société et de reconnaître que le travail des femmes de tous les milieux fait partie intégrante du patrimoine de notre pays. C’est aussi l’occasion de prendre conscience de tout ce que nous devons aujourd’hui à nos aïeules qui ont fait avancer la cause de notre nation.
Muettes, absentes, oubliées, les femmes ont longtemps été victimes du silence assourdissant de l’histoire. Mises en retrait de l’espace public de par la tradition patriarcale, vouée aux tâches de reproduction, elles étaient secondes, auxiliaires, muses ou compagnes, vigoureusement. Comme si au cours de nos 200 ans d’Histoire, les femmes n’avaient laissé aucune trace, rien que le lent renouvellement des générations. Une femme meurt, une autre la remplace, elles ne seraient là que pour porter les enfants, pas de pensée, pas d’écrits... Pas de droits civiques ou politiques. Catherine Flon avait cousu le drapeau, mais elle n’avait pas le droit de se prononcer sur la destiné de sa Nation, elle n’avait pas droit de cité. Or, nous femmes, nous savons que : les femmes ont agi, créé, pensé, lutté, écrit. Le problème vient du silence et des préjugés qui ont recouvert leurs actes.
Mépris des tâches liées à la reproduction que les femmes se devaient, et qu’elles se doivent encore aujourd’hui au nom d’une division sexuelle du travail, d’assumer seules. Comment pourrions célébrer aujourd’hui avec tant de fierté notre drapeau, symbole de notre nation, s’il n’y avait pas eu des mains pour coudre ce drapeau. Des mains de femmes !
Mépris aussi de la parole des femmes, de nos revendications, en nous écartant des espaces de décision. Mépris tant du côté des décideurs étatiques, que des décideurs politiques, de la presse et de la société civile. Si toutes les forces vives étaient prêtes à répéter après nous le fameux mot de condamnation du régime déchu durant la mobilisation générale, aujourd’hui, nombre d’entre elles s’accordent pour nous écarter.
Les acteurs sociaux et spécialement les actrices sociales en quête d’affirmation d’elles-mêmes (tels les humbles, les nationalistes sans nation, les colonisés...), ont besoin d’histoire et du droit au passé. Ce besoin est parfaitement légitime ! Nous féministes réunies au sein de la CONAP avons décidé d’écrire notre histoire. En donnant naissance à la Place Catherine Flon le 18 mai 2000, nous voulions raviver l’histoire de nos aïeules, car conscience que la démocratie était en danger, nous voulions puiser dans l’exemple de nos héroïnes pour secouer la conscience nationale.
Nous avons été depuis 1997, tour à tour :
• Défilé parcourant les rues de la ville à la recherche des miettes de notre espoir collectif ;
• Marie Jeanne, Toya, Sanite Belaire, Cecile Fatima, Pierette Jilobois, Claire Heureuse, Suzane Louverture, Marie Louise, Guillonet Charlot, et tant d’autres défendant les traditions libertaires de nos populations, et
Nous avons aussi été Catherine Flon veillant sur cette nation et recousant ce drapeau laissé en lambeau.
Notre démocratie est toujours en danger, surtout avec la présence de troupes étrangères, et nous féministes nous allons continuer de nous impliquer comme par le passé. Augurons seulement que cet effort de redressement des torts fait aux femmes que constitue l’officialisation de la place Catherine Flon, notre place, ne s’arrêtera pas là . Que les décideurs étatiques comme les autres décideurs auront tourné la page du mépris des femmes. Nous allons veiller à ce que cela soit ainsi !
Mesdames mes concitoyennes, Messieurs mes concitoyens l’établissement d’une véritable citoyenneté commande la reconnaissance de toutes et tous
En conclusion, permettez moi en ce moment particulier d’avoir une pensé spéciale pour des contemporaines qui sont aujourd’hui loin du pays, des complices infatigables de luttes : Marie Frantz, Clorindre vous pouvez vous réjouir aujourd’hui. Permettez moi aussi d’avoir une pensé plus spéciale pour ces aînées de la Ligue Féminine d’Action sociale qui ont su si bien nous tracer la route.
Merci Mesdames d’avoir été ce que vous avez étés pour nous permettre d’être aujourd’hui ce que nous voulons être !
Pour la CONAP
Myriam Merlet, ENFOFANM
Port-au-Prince, le 17 mai 2004