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Haïti-Séisme-3 ans : Le Centre d’art, toujours pas reconstruit

Par Edner Fils Décime

P-au-P, 11 janv. 2013 [AlterPresse] --- Depuis son effondrement le mardi 12 janvier 2010 et la récupération (en août 2010) d’une partie des objets d’art, enfouis sous les décombres, le Centre d’art (Ca) n’est toujours pas fonctionnel, selon les informations obtenues par l’agence en ligne AlterPresse.

Une réalité, qui exprime la difficulté du secteur artistique haïtien à se relever après le séisme.

Le conseil d’administration est en « mode recherche de financement » pour la reconstruction de l’édifice, avance Axelle Liautaud, conseillère d’administration du Ca et directrice responsable, dans une interview accordée à AlterPresse.

« Pour le moment, le conseil d’administration a engagé un consultant pour écrire un projet qui sera soumis à deux partenaires potentiels, la fondation connaissance et liberté (Fokal) et une fondation française avec laquelle nous sommes en pourparlers en vue de financement. Le document devrait être prêt dans deux ou 3 mois », prévoit Liautaud.

Les vestiges du bâtiment du Centre d’art, couverts de mauvaises herbes, s’érigent à la rue Roy de Port-au-Prince comme le témoignage de la méconnaissance de la valeur de ce haut-lieu de peinture, de sculpture et de gravure dans le champ patrimonial matériel et immatériel haïtien.

Cette situation met aussi à nu la faiblesse croissante des actrices et acteurs culturels de la République d’Haïti.

Certains ne se remettent toujours pas de la destruction de cet espace culturel, à l’image de Marie Josée Nadal, artiste peintre, galeriste.

« C’est comme si c’est ma maison qui avait disparu. C’était chez moi. Et je ne m’en remets pas encore. J’y ai fait plus d’une vingtaine d’expositions. Je dois avoir au moins 99 peintures là-bas », explique celle qui appartient à la première promotion du Ca (elle avait seulement 13 ans en 1944, date de la création du Centre d’Art. Elle a 81 ans en 2013).

Trois ans pour faire le point…

« Nous avons voulu avoir quelque chose physiquement en place. Le conseil essayait de se concentrer sur un certain nombre de tâches à accomplir. Maintenant que c’est fait, nous pouvons envisager sereinement la reconstruction et la remise en fonction du Centre d’art », soutient Liautaud.

Après 36 mois, il semble que les activités - qui ont été jusque-là réalisées - tournent autour du sauvetage, de l’inventaire, du nettoyage, de la préservation et de la restauration d’une « infime partie des pièces ».

Le centre de sauvetage des biens culturels (Csbc), fruit d’un accord entre le ministère haïtien de la culture et de la communication et l’institution gouvernementale américaine « Smithsonian Institute », a énormément aidé dans le processus de « récupération, de stockage et de la restauration des biens culturels » du Ca (cf. http://www.alterpresse.org/spip.php?article10915), mis en danger par le passage du séisme du 12 janvier 2010.

Les responsables du Centre d’art ont préféré prendre, en toute autonomie, « tout ce temps pour remettre les choses en état et avoir un minimum d’organisation » avant de solliciter ou d’accepter l’aide d’institutions partenaires.

Ainsi, l’aide proposée par l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (Ispan) a-t-elle été momentanément mise sur la touche.

« Nous avons estimé qu’il y a un travail à accomplir avant de recommencer à travailler avec des partenaires. Mais, nous faisons un suivi constant avec cet organisme », justifie Liautaud.

En avril 2011, « cinq mille toiles, un millier de sculptures et d’œuvres sur papier de la collection du Centre d’Art ont été restaurées », selon les précisions de Olsen Jean Julien, alors directeur du Csbc, le projet de sauvetage lancé en septembre 2010.

A quelques jours du troisième anniversaire de l’effondrement du Centre d’art, l’actuelle directrice ne veut pas communiquer de chiffres sur le nombre de pièces, de collections, d’objets d’art, stockés dans la réserve temporaire.

« Les objets d’arts, œuvres et autres ne sont pas, pour le moment, photographiables. Nous nettoyons, nous sommes en phase pré-préparatoire à la remise en route pour le moment », s’excuse Liautaud.

Mais, en l’an III du séisme dévastateur, quand le Centre d’Art va-t-il reprendre ses activités, ses expositions, « un cadre pour offrir une autre dimension à l’art » ?

En l’an III du 12 janvier 2010, comment le Centre d’art aménagera-t-il le temps et l’espace pour faire, de la formation, l’axe prioritaire et intégrer la photographie et la vidéographie dans le cursus, comme promis par Axelle Liautaud en septembre 2010 dans une entrevue accordée à AlterPresse (cf. http://www.alterpresse.org/spip.php?article9968) ?

En tout cas, vu « le manque d’intérêt pour la peinture, la sculpture, la gravure, voire la culture en général dans le pays », Marie Josée Nadal n’est pas du tout confiante dans l’avenir pour son alma mater artistique.

« Certes, je suis contre toute tentative de changer même le nom du Centre d’art. C’est un nom déposé. Je plaide pour que les pièces et objets d’arts restent au Centre d’art. Paradoxalement, j’ai une intuition qui me dit que le Centre d’art n’existe pratiquement plus », déclare-t-elle tristement, s’efforçant de cacher des larmes de ses yeux.

Quoique l’art haïtien soit dans un « état catastrophique », Axelle Liautaud ne pense pas, pour sa part, qu’il faut baisser les bras.

« La qualité, la rigueur du fonctionnement », qu’a gardées le Centre d’art de 1944 (date de sa création sous la houlette de l’aquarelliste américain Dewitt Peters) jusqu’au 12 janvier 2010, peuvent inspirer.

En tout cas, de jeunes artistes, comme Kevens Prévaris, artiste-peintre du mouvement Loray, considèrent que si nous ne mettons pas les bouchées doubles pour remettre le Ca en fonction, nous pourrons l’interpréter comme une « Véritable quête vers l’oubli de notre passé [artistique tout au moins] ».

Prévaris expose actuellement à la galerie « Le Cerisier » à Paris (France) dans l’exposition collective « Haïti s’expose entre mémoire et (re) construction ».

Le Centre d’art a été le bastion de grands noms de la peinture haïtienne, dont Prefète Duffaut, Hector Hyppolite, Robert Saint-Brice, Marie Josée Nadal, etc. [efd kft rc apr 11/1/2013 0:25]