Par Edner Fils Décime
P-au-P, 20 déc. 2012 [AlterPresse] --- En dépit de la publication du décret du 6 juillet 2005 modifiant le régime des agressions sexuelles, certains facteurs continuent de bloquer, en Haiti, l’accès à la justice des femmes victimes de violences sexuelles, en particulier du viol, indiquent des spécialistes interrogés par l’agence en ligne AlterPresse.
Ces facteurs sont en général liés à l’inapplication stricte de la loi pénale, la situation géographique des tribunaux, la limitation de la médecine haïtienne, les représentations sociales du viol, la socialisation des filles, la constitution historique de l’État haïtien et à d’autres éléments historiques, culturels et politiques.
Pourtant, depuis 2005, la loi haïtienne prescrit une manière plus tranchée de traiter cet acte.
Le viol n’est plus une atteinte aux mœurs, mais définitivement un crime.
En fait, le décret de 2005 modifie la section 4 - du chapitre premier du titre II du code pénal - en la titrant « agressions sexuelles ».
L’article 2 du décret change la teneur de l’article 278 du code pénal.
« Quiconque aura commis un crime de viol, ou sera coupable de toute agression sexuelle, consommée ou tentée avec violence, menaces, surprise ou pression psychologique contre la personne de l’un ou l’autre sexe, sera puni de dix ans de travaux forcés » est la nouvelle lecture de l’article 278.
Dans le cas d’une victime mineure (moins de 15 ans accomplis) la peine est de 15 ans de travaux forcés.
La perpétuité est requise si l’agresseur détient autorité sur la victime, selon le vœu des articles 279 et 280 modifiés par le décret de 2005.
Mais plusieurs barrières s’interposent encore entre les victimes et l’accomplissement de ces sanctions.
Sur 62 plaintes déposées pour viol entre juin et août 2010, aucune n’avait été considérée par un tribunal dix-huit mois plus tard, selon un rapport publié en juin 2012 par la section des droits humains de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti (Minustah) et le Haut-commissariat des Nations-Unies aux droits humains (Sdh).
Les blocages
Pour un viol commis en section communale, la victime se voit obligée de porter plainte dans un tribunal de paix.
« Des juges de paix ont l’habitude de tenter la conciliation entre les parties. Ce qui est contraire à la loi pénale », soulève Jeffrey Clarck Lochard.
Lochard est un juriste qui a effectué une recherche sur le thème « le système judiciaire haïtien et la protection des femmes contre la violence sexuelle, cas de la commune de Jacmel de 2010 à 2012 ».
Certains avocats ont tendance également à mener leurs clients dans la même voie, fait-il remarquer.
Cependant, les conventions internationales ratifiées par Haïti exigent que les États-parties ne soient pas cléments envers les auteurs de crime de viol.
Les circonstances atténuantes ne sont pas reconnues aux auteurs de ce genre de crime.
« Pourtant, dans les tribunaux, nous avons observé une grande disparité des peines pour crime de viol dans la commune de Jacmel (Sud-Est), où nous avons mené nos recherches », s’indigne Lochard.
Le sexe de la personne (policier, magistrat), qui recueille la plainte, peut aussi constituer un frein.
Il s’avère difficile pour une victime de viol de se sentir en confiance pour raconter ce qu’elle à subi à une personne du même sexe que l’agresseur.
Du côté des médecins accordant le certificat médical, la peur de représailles par les parents ou d’éventuelles accointances politiques de l’accusé constitue aussi un frein, selon un médecin voulant garder l’anonymat.
certains agresseurs sont bien informés des limites de la pratique médicale en Haïti, comme l’absence de prélèvements et études en labo, recherche d’Adn, et ils en profitent, relève ette même source.
Le fait pour un agresseur d’utiliser un préservatif lors d’un viol démontre « une certaine expertise », car le latex du condom évite que les éventuelles lésions soient visibles, signale ce médecin.
Tout violeur bien informé des limitations de la pratique médicale haïtienne « trouve son compte dans l’utilisation d’un préservatif », dénonce t-il.
Pour Sabine Lamour, féministe et doctorante en sociologie, le statut social du violeur peut constituer « un premier facteur d’intimidation » de la victime.
L’appartenance de la famille de la victime à certaines religions ou la volonté de « ne pas ternir l’image de la famille » peuvent empêcher d’entamer une poursuite en justice.
« En général, la société machiste se fait une représentation de "pute" de la victime qui porte plainte. Le mariage étant constitué comme une forme de récompense sociale et comme les femmes haïtiennes sont socialisées de manière à intégrer cette institution, les familles imposent le silence pour que leur progéniture puisse se marier », explique Lamour.
Le viol : crime et châtiment
Jeffrey Clarck Lochard regrette que la législation haïtienne n’ait pas donné une définition précise du crime de viol.
Ce qui ne favorise pas l’accès à la justice à la victime de viol.
Dans son texte « les formes de violence exercée contre les femmes » publié en mars 2005, la solidarité des femmes haïtiennes (Sofa) adopte la définition du viol proposée par le comité de négociation des organisations de femmes avec les parlementaires de la 46e législature.
Le viol y est vu comme « le fait pour un individu de contraindre sans consentement, et/ou par violence physique ou psychologique un autre, à un acte impliquant : a. l’organe génital de l’un d’entre eux, avec ou sans pénétration, dans le but de se procurer du plaisir sexuel ; b. la sodomisation sous quelque forme que ce soit ».
Sabine Lamour, pour sa part, cerne le viol à travers les rapports de pouvoir, liés au sexe.
« C’est une mesure de coercition créée par le système de domination pour remettre la femme à sa place de dominée quand elle a osé montrer son désaccord par rapport à la logique male », souligne-t-elle.
Même dans les rivalités entre hommes, l’appropriation non-consensuelle du corps d’une femme proche est un enjeu également, au regard de la sociologue, se référant à la chanson « Fè wanna mache » qui conseille au partenaire (homme) cocu de se venger en ayant des rapports sexuels avec la mère, la sœur, la cousine (...) du rival.
Aujourd’hui, « la honte doit changer de camp. C’est au violeur de baisser la tête et non à la victime », plaide Sabine Lamour,
Mais comment dépasser la contradiction émancipation féminine/Etat machiste ?
Comment aborder la déconstruction de cette masculinité en Haïti considérant le corps de la femme comme appropriable dans n’importe quelle condition ? [efd kft apr 20/12/2012 11 :35]