Par Roody Edmé *
Spécial pour AlterPresse
« Il était depuis longtemps expert aux sincérités et aux faux fuyants des tons. Jadis, alors qu’il recevait chez lui des femmes, il avait composé un boudoir où, sous une espèce de tente en satin rose des Indes, les chairs se coloraient doucement aux lumières apprêtées que blutait l’étoffe ».
Extrait de A Rebours (2004) de Joris-karl Huysman
Yanick Lahens a fini par écrire le roman d’amour [1] qui lui tenait à cœur.
Une bouleversante interrogation sur le basculement de l’âge et la crainte, toujours virile, de ne plus assurer le désir, mais surtout une évocation de l’amour au-delà des recettes trop souvent éculées de l’idéologie du « sexe-machine », dans un mode d’appropriation du corps, loin des schèmes aliénants de la société de consommation.
Une histoire entre un homme et une femme qui explore, donc, les frontières de l’érotisme le plus pur.
Un discours-récit sur le corps et ses fantasmes, bâillonnés aussi bien par une certaine éducation rigoriste que par une idéologie faussement libertaire.
Guillaume appartient à cette frange consciente de la classe moyenne qui a le mal du pays, comme dans un exil intérieur. Un pays introuvable, malmené par des années de mauvaise gouvernance, qui ne se comptent plus.
Guillaume a tout essayé pour changer les choses.
De militant professionnel de la cause du peuple à cadre moyen d’organisations non gouvernementales (Ong) « progressistes » : il s’est toujours heurté au mur d’une réalité séculaire, briseur des aspirations les plus utopistes.
Une réalité socio-politique mangeuse d’hommes, qui appauvrit chaque jour, un peu plus, une classe moyenne aux abois.
Guillaume a toujours cherché la lumière, au bout d’un tunnel insondable. Et c’est un homme, un peu blasé, un peu perdu au bord du chemin tortueux, d’une terre en mal de promesse, qui rencontre Nathalie.
Plus jeune, mais à la personnalité épanouie, Nathalie est la compagne engagée, qui porte encore toute la sève du pays rêvé.
Nathalie, un peu comme dans la chanson de Bécaud, un guide, une inspiration, un prétexte à l’amour fou, celui qui vous entraîne dans un savoureux manège et qui vous requinque pour faire face de nouveau à tous les défis de la vie.
Un amour, qui s’attire la complicité de la ville, pourtant si prenante, si arbitraire dans ses bruits, et qui sait se retirer sur la pointe des pieds, lorsque se pointent les premières vagues du désir.
Nathalie n’a pas vécu le temps des illusions, elle ne connaît donc pas celui des lendemains qui déchantent.
Le texte de Yanick Lahens est plein de cette poésie, à la fois chatoyante et grave, qui ne saurait laisser la lectrice ou le lecteur indifférent.
Il y a, chez cette romancière, un sens particulier de la description, qui rend bien la beauté tragique d’un espace-monde, qu’elle décrit sans hargne, ni complaisance.
Le texte romanesque est d’une richesse thématique, qui fait la part belle aux lectrices et lecteurs, intéressés à une sociologie démystifiante d’une réalité complexe et multiforme.
Guillaume, militant du bonheur humain, aux rêves clandestins, qui trimballe, sur nos routes défoncées, sa boutique à souvenirs.
Colporteur de révoltes inachevées, il a vécu assez de choses pour faire le dépôt de bilan d’une lutte, dont il ne garde plus guère d’illusion.
Nathalie a fait son petit tour dans le sanctuaire de Pétionville, dans les villas roses où il fait encore bon d’être d’une certaine couleur.
Et, pourtant, pour avoir vu de toutes les couleurs, elle se refuse a une lecture manichéenne du « royaume de ce monde ».
Un roman, dans lequel les protagonistes font l’amour sur un …volcan, plus précisément sur des failles, murs a crever.
Sur la base de l’histoire d’un homme et d’une femme, la lectrice ou le lecteur est entraîné par le bout de la lorgnette, dans un siècle encerclé d’odeurs et de rumeurs de fin du monde, de fantômes tourmentés d’une histoire tragique.
Un portrait bien senti de notre société.
* Éducateur, éditorialiste
[1] Guillaume et Nathalie, en vente-signature le samedi 22 décembre 2012 à Port-au-Prince