Par Wooldy Edson Louidor
P-au-P, 20 déc. 2012 [AlterPresse] --- Les perspectives de l’aide internationale, fournie à Haïti par les pays riches, notamment par les nations membres de l’Union européenne (Ue), s’assombrissent de plus en plus pour la prochaine année 2013, selon des informations rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.
Haïti semble, pourtant, s’éterniser dans la transition de l’interminable phase de l’urgence, renouvelée par le gouvernement haïtien suite au passage de la tempête Sandy du 23 au 26 octobre 2012, dans celle de la reconstruction qui, pour plus d’un, n’a même pas encore été initiée, en dépit de tant d’annonces, de déclarations et de promesses réalisées à grand renfort médiatique au lendemain du séisme du 12 janvier 2010.
Des zones d’ombre, sur les perspectives de l’aide internationale à Haïti et sur la capacité de l’actuel gouvernement haïtien à relever tant de défis humanitaires et à mettre en marche les chantiers de la reconstruction, se dessinent à l’horizon de la nouvelle année 2013 pour le pays.
L’aide publique au développement, une source qui tarit
La récession mondiale, ayant également frappé les pays riches, et, comme corollaire, la nécessité d’équilibrer leurs budgets ont conduit, depuis 2011, bon nombre de ces États « développés » à s’éloigner de leurs promesses de consacrer 0.7% de leurs revenus nationaux à l’aide publique au développement, dont des pays pauvres comme Haïti ont bénéficié jusqu’à date.
L’aide publique au développement a diminué (de 0.32% à 0.31%) du produit intérieur brut (Pib) des pays riches en 2011, soit un total de 3,4 milliards de dollars (US $1.00 = 43.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes aujourd’hui) par rapport à l’année 2010 [1], révèle un rapport publié au premier trimestre de 2012, l’organisation de coopération et de développement économique (Ocde).
Des organisations internationales humanitaires ont dénoncé ces réductions en matière de l’aide publique au développement qui, selon le directeur exécutif d’Oxfam International, Jeremy Hobbs, « coûtent des vies en empêchant l’accès à l’eau potable ou à des médicaments vitaux ».
Il s’agit de la « première diminution de l’aide publique au développement en quatorze ans » [2], considère Oxfam.
L’impact en Haïti
L’impact de cette réduction en Haïti, pour la période allant de 2010 à 2012, a été mis en évidence, selon les données provenant du module de gestion de l’aide externe (Mgae) de la République d’Haïti [3].
L’aide externe, fournie à Haïti, a diminué de 6 milliards de dollars américains en 2010 à moins de 2 milliards en 2011 et à un peu plus de 203 millions de dollars pour le premier semestre de l’année 2012, rapporte cette même source officielle.
Trois années après le séisme du 12 janvier 2010, Haïti n’est plus au centre de l’agenda des donateurs internationaux.
Le pays a disparu, peu à peu, sous les projecteurs de l’assistance humanitaire mondiale.
À titre d’exemple, le coordonnateur humanitaire de l’organisation des Nations Unies (en anglais Ocha) pour Haïti, Nigel Fisher, se montrait préoccupé, en mars 2012, par le manque de fonds, auquel faisaient face des agences onusiennes, les organismes humanitaires et le gouvernement haïtien, pour financer les opérations d’urgence et d’autres mécanismes de réponse aux risques et désastres.
Le fonctionnaire onusien relançait un appel urgent (flash appeal) aux donateurs à apporter leur soutien financier pour compléter la somme de 231 millions de dollars américains (dont seulement 8.5% a été reçu jusqu’à fin mars 2012), qui serait principalement destinée à reloger des personnes déplacées, à lutter contre l’épidémie de choléra, contre l’insécurité alimentaire et à réaliser des travaux de prévention des risques et désastres dans la perspective de la prochaine saison cyclonique.
Les organisations non gouvernementales ne sont pas exemptes, non plus, de l’impact de la réduction de l’aide internationale.
Plusieurs d’entre elles plient bagage, ou réduisent leur aire ou sphère d’intervention, pendant que d’autres finalisent l’exécution de leurs projets dans les camps, dans les quartiers populaires et dans d’autres lieux vulnérables.
Le manque de fonds, dû à la réduction de l’aide internationale à Haïti, et le déficit de légitimité, face aux « bénéficiaires » locaux et aux « donateurs » internationaux - en raison de leur gestion jugée peu transparente et de leur incapacité à donner des résultats tangibles -, figurent parmi les deux principaux arguments fréquemment évoqués pour expliquer le départ de quelques organisations non gouvernementales (Ong) internationales du pays.
L’administration politique haïtienne ne se résigne pas
L’actuelle administration politique en Haïti semble ne pas vouloir rester les bras croisés, face au tarissement progressif de l’aide internationale au pays.
Témoins : les multiples voyages à l’extérieur, réalisés par le président Joseph Michel Martelly et le premier ministre Laurent Salvador Lamothe, en vue de sensibiliser les donateurs, de projeter une meilleure image du pays dans des scénarios internationaux et de signer des accords de coopération bilatéraux.
Différents secteurs de l’opinion publique considèrent impérieux, pour le gouvernement, de réduire ce qu’ils qualifient de « gaspillage » des ressources publiques dans ces voyages, aux frais d’une nation en proie à des problèmes socio-économiques énormes et face à un horizon de plus en plus sombre.
Cependant, l’actuelle administration n’en démord pas : elle intensifie « sa diplomatie des affaires », tant prônée par l’ex-chancelier Laurent Lamothe.
« Haïti ouverte aux affaires », c’est le slogan du gouvernement qui prétend présenter, au monde, un nouveau pays qui ne quémanderait plus de l’assistance, mais qui offrirait plutôt des opportunités d’affaires.
Pour cela, le gouvernement ne semble pas préoccupé par la diminution de l’aide externe au pays.
Au contraire, il affirme son engagement à donner des résultats en termes de développement, par une gestion transparente et efficace des fonds reçus des donateurs bilatéraux et multilatéraux.
Dans ce sens, il a mis en place, le 26 novembre 2012, le cadre de coordination de l’aide externe au développement (Caed), [4] placé sous la tutelle du ministère de la planification et de la coopération externe (Mpce), en vue d’orienter l’aide de la communauté internationale vers les priorités établies par le gouvernement haïtien, notamment dans le plan de développement stratégique d’Haïti.
L’actuelle administration politique annoncerait l’éventuelle ère d’une gestion souveraine et efficace de l’aide internationale.
Tout un faisceau d’inquiétudes
Malgré tout, tout un faisceau d’inquiétudes, quant à l’avenir d’Haïti, bouleverse des secteurs de l’opinion publique nationale et internationale.
Que va faire le gouvernement haïtien pour compenser la diminution de l’aide externe, source de financement des deux tiers des dépenses publiques du pays ?
Quels mécanismes va-t-il instituer pour assurer effectivement une gestion transparente des fonds internationaux reçus et rétablir sa légitimité face au peuple haïtien, tenant compte des rumeurs d’actes de corruption qui gangrèneraient divers pans de l’administration publique ?
Quel programme d’action mettra-t-il en œuvre pour appliquer le plan de développement stratégique d’Haïti ? Quel rôle joueront les actrices et acteurs de la société haïtienne dans une transition effective de l’humanitaire à la phase de développement ? Quel modèle de développement pour le pays ?
Comment le gouvernement va-t-il tisser des rapports harmonieux avec le parlement, les autres branches de pouvoir et tout le spectre de la classe politique, en vue de les intégrer tous autour de ce projet commun ?
Quelle solution va-t-il apporter aux problèmes urgents d’insécurité alimentaire et de manque d’accès aux soins de santé, face à l’épidémie de choléra ?
À l’approche du 3e anniversaire du tremblement de terre du 12 janvier 2010, l’actuelle administration politique va-t-elle, enfin, établir des mécanismes concrets et des mesures, non violentes et respectueuses des droits humains, pour relocaliser près de 400,000 personnes déplacées résidant encore dans les camps ? [wel rc apr 20/12/2012 0:00]
[1] http://www.oecd.org/fr/presse/developpementlaideauxpaysendeveloppementflechitsousleffetdelarecessionmondiale.htm
[2] http://www.oxfam.org/fr/pressroom/pressrelease/2012-04-04/premiere-diminution-aide-publique-developpement-APD-quatorze-ans
[3] Voir l’adresse de son site web :haiti.ampsite.net