Débat
Par Joseph Harold Pierre*
Soumis à AlterPresse le 11 déc. 2012
Eddy Mendoza, présumé violeur et assassin de l’étudiante Roodline Lindor, a été jugé coupable le vendredi 7 décembre 2012 et condamné à 30 ans de prison. Le criminel est incarcéré à la prison "La Victoria" réputée être la plus dure des prisons dominicaines. La juge Indhira Montas qui a prononcé la sentence a demandé pardon à la communauté haïtienne en République Dominicaine pour cet acte odieux. Elle a, du même coup, insisté sur le fait que le crime n’a rien à voir avec les problèmes raciaux et les différences culturelles entre les deux peuples partageant l’île. Il faut rappeler, au passage, que la République Dominicaine a été récemment condamnée par la Cour Interaméricaine de Droits Humains (CIDH) pour le massacre perpétré par des militaires sur six haïtiens en 2000 dans la localité de Guayubin (département de Monte Cristi situé au nord du pays).
Par la condamnation du bourreau de Roodline, la République Dominicaine a renouvelé son engagement pour la vie et contre la violence. Elle a appris aussi, puisqu’elle ne saurait s’exposer à une nouvelle condamnation des organismes internationaux. Quand on sait que le superintendant des Banques Dominicaines, Haivanjoe Cortiñas, a été destitué en septembre dernier par le président Danilo Medina pour s’être attribué une pension mensuelle de 651 mille pesos (plus de 16 mille dollars), que le gouvernement a répondu aux revendications de la société par l’allocation des 4% du budget de 2013 à l’éducation tel que stipulé dans la Constitution, et que le Premier Tribunal de Santo Domingo a, d’une certaine manière (car la perte humaine est irréparable), rendu justice à la famille Lindor et aux Haïtiens vivant en République Dominicaine (spécialement les étudiants) pour le meurtre perpétré sur l’ancienne étudiante de l’Universite Technologique de Santiago (UTESA) à Santo Domingo, on est enclin à conclure que la République Dominicaine avance dans la construction d’une société de droit, même si lentement.
Dans la foulée, on espère que le paiement illégal à la frontière des 800 pesos (20 dollars) par les étudiants sera éliminé comme l’a promis le président Medina. Dans le cas contraire, les étudiants et nous qui les accompagnons dans leur lutte ne baisserons pas le bras tant que les dires du chef d’Etat n’auront été traduits en acte.
Pour le cas d’Haïti, on souhaite que le pays apprenne de ce bel exemple et qu’il rende justice dans l’affaire Josué/Bernardin, à qui elle est due. Cette affaire est symptomatique d’une société gangrenée. N’est-ce pas très honteux qu’un fonctionnaire de si haut niveau de l’administration publique ait déclaré sans gêne que la jeune fille qui fut sa secrétaire, était son amie intime ? N’est-ce pas tout aussi honteux que, pour certains, cela justifierait que le présumé violeur pourrait la contraindre de coucher avec lui ? Ce cas, vrai ou faux, ne mettrait-il pas à nu les conditions dégradantes que doit remplir, de façon générale, un jeune professionnel pour s’enrôler dans l’administration publique haïtienne ?
Continuant avec notre opinion sur le scandale sexuel, on se rend compte que les déclarations de Josué Pierre-Louis sur sa prétendue « relation intime » avec sa secrétaire particulière (ce qui restera toujours un secret pour le grand public, en dépit du déni de cette dernière) dénotent une autre facette de la dépravation morale de notre société. Sans mettre aucunement en cause l’intégrité morale de Marie Danielle Bernardin, il faut dire qu’une grande partie de la jeunesse, soit sous le coup d’une misère insupportable ou sous la convoitise d’une vie trop facile, ne consentant aucun sacrifice et privée de modèle (la plus grande maladie dont souffre ma génération), se livre à ce que j’appelle de la "prostitution déguisée". J’utilise cette expression pour me référer à ces jeunes gens (garçons et filles) qui se vendent pour une voiture, un poste de travail et même encore des choses beaucoup moins couteuses. Combien de ces gens y a-t-il dans l’Etat (je ne dis pas le gouvernement, puisqu’en dépit des dégringolades continuelles de celui-ci, je ne crois pas que les autres aient été plus moraux. Mais, je ne saurais par ces mots vouloir justifier l’injustifiable du gouvernement) ? Combien de fonctionnaires publics (et aussi privés) ont été embauchés pour leurs compétences ou sous d’autres critères corrompus ? Je veux profiter de cette occasion pour dire à mes congénères, les jeunes de ce pays, que l’avenir est à nous et que nous avons la lourde responsabilité de faire autrement sans viol ni vol ni corruption et même sans aspirer à un poste politique, puisqu’on n’a pas besoin d’être président ni ministre ni fonctionnaire de l’Etat pour aider son pays.
D’un autre côté, personne n’est si naïf pour ne pas s’apercevoir que l’affaire Josué/Bernardin a acquis, le long du chemin, une dimension politique. Une bonne partie de l’opinion publique veut la démission du président du CEP ? Est-ce par jalousie ou pour son immoralité ? Le potentiel remplaçant fera-t-il mieux ? Pour une raison ou pour une autre, ce qui demeure vrai, à mon humble avis, est que Josué Pierre-Louis est indigne d’être président du CEP, non pour avoir violé sa secrétaire (la justice n’a pas encore prononcé son verdict et l’inculpé demeure présumé innocent), mais pour sa dépravation et son immoralité. Un CEP continuellement contesté ne peut avoir à sa tête qu’une personne inspirant confiance et dont l’honnêteté et le sérieux sont irréprochables, si on veut en finir avec les élections suivies de manifestations désastreuses et génératrices de crises politiques.
Finalement, ce qui importe, c’est de rendre justice à qui elle est due, sans intrusion ni intimidation de qui que ce soit. C’est très important dans cette société où tout semble être permis et où le machisme sauvage tend à chosifier la femme. Le dénouement de ce scandale pourra être la preuve que l’Etat ne veut plus cautionner les pratiques d’une société dans laquelle des loups (ou des loups-garous, pour le dire mieux chez nous) dévorant des agneaux et où "la raison du plus fort est la meilleure" ou que "les jugements nous rendent blanc ou noir, selon que l’on est puissant ou misérable".
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*Joseph Harold Pierre - desharolden@gmail.com
Economiste et Politologue, M.A. ; M.Sc.
Professeur et Investigateur