Par Oruno D. Lara [1]
Soumis à AlterPresse le 11 déc. 2012
Mis à jour (note complémentaire ci-dessous) le 16 décembre 2012
Message à mes amis Haïtiens
J’aurais voulu vous parler de Léonard SÉNÉCAL, né en 1807 en Guadeloupe et décédé en Haïti, vraisemblablement à Port-au-Prince entre 1874 et 1876.
J’étais étudiant à Paris, à la Sorbonne en année de maîtrise d’histoire quand j’ai découvert l’existence de ce personnage au hasard de mes recherches dans les fonds d’archives coloniales de la rue Oudinot (ministère des Colonies). Mon enquête a débuté ainsi et je l’ai poursuivie année après année sans discontinuité malgré des obstacles souvent insurmontables. Que de péripéties, que de difficultés à vaincre, en particulier des sources à découvrir, des documents à dénicher pour comprendre, pour prouver, pour éclairer une affaire si complexe.
Au point de départ, un simple esclave, affranchi peu après sa naissance, d’une famille de commerçants, devenu pendant quelques mois en 1849 régisseur d’une habitation domaniale, Le Grand Marigot au Baillif et qui se mit à dos toute l’administration coloniale. En particulier le gouverneur, le colonel FIÉRON arrivé en Guadeloupe en octobre 1848, un officier de l’infanterie de marine, marié à une fille de famille béké, de Trois-Rivières (Guadeloupe). Il a pris la tête de toute la communauté des békés des deux colonies Guadeloupe et Martinique, avec laquelle il entreprit de se débarrasser de SÉNÉCAL. Que lui reprochait-on ? Pourquoi une telle volonté d’élimination systématique envers cet homme originaire de Basse-Terre, franc-maçon depuis 1835 ? Les colons blancs et l’administration coloniale n’admettaient pas que cet homme soit un chef charismatique, un leader, ayant une influence extraordinaire sur la population de cultivateurs affranchis en 1848. Le pouvoir de persuasion de SÉNÉCAL sur ses compatriotes apparaît aux yeux des colonisateurs français comme un crime qu’ils associent à un complot du feu pour mieux l’abattre en utilisant tous les instruments de l’appareil judiciaire mis en place après l’abolition de l’esclavage.
Un procureur général, RABOU, nommé par le Président de la République Louis BONAPARTE, débarque en Guadeloupe le 14 novembre 1849. Il est chargé par le pouvoir central d’une mission précise : élaborer une procédure judiciaire visant à la liquidation physique de SÉNÉCAL. Avec la complicité des magistrats du parquet fidèles à la cause coloniale, RABOU parvient à organiser des assises à Basse-Terre qui condamnent SÉNÉCAL, après un simulacre de débat judiciaire en septembre-octobre 1851, aux travaux forcés à perpétuité. Emprisonné à Basse-Terre puis à Fort-de-France où il tente vainement de s’évader en mars 1852, Léonard SÉNÉCAL est envoyé d’abord à Toulon puis finalement il arrive aux Iles du Salut en octobre 1852. Il restera en Guyane et connaîtra tous les premiers établissements pénitentiaires jusqu’en mai 1862. Comment parvient-il à survivre aux maladies, aux violences, à la vie quotidienne des forçats ? Cela relève du miracle !
Pendant ce temps son épouse Marie Émora, une femme admirable, exceptionnelle, qui a été la collaboratrice politique de son mari, sombre dans la misère la plus sordide avec ses nombreux enfants … Ils ne bénéficient plus de l’aide matérielle du père commerçant. A cette époque, dans les colonies françaises, point de salut pour les Nègres hors du petit commerce local et du travail sur les plantations. Les postes de l’administration sont réservés exclusivement aux blancs et à leurs progénitures. Le couple SÉNÉCAL a eu neuf enfants-outre Jean Alcibiade né en 1830 d’un premier mariage qui deviendra médecin vétérinaire-, tous nés à Basse-Terre. Deux sont morts en Guadeloupe, un troisième, une fillette de 14 ans, mourra à Paris en 1856. Madame SÉNÉCAL a franchi l’Atlantique avec ses sept enfants pour se rendre à Paris et implorer la grâce de son mari auprès des autorités politiques. C’est une femme courageuse qui a beaucoup souffert dans la capitale française où elle perd un de ses enfants comme on l’a vu précédemment, vivant dans une pauvreté effrayante : elle doit mendier par exemple pour obtenir l’argent qui lui permet l’inhumation de son enfant.
Que se passe-t-il en juillet-août 1862 à l’arrivée de son mari à Paris ? Deux de leurs fils, les aînés, Alexandre SÉNÉCAL né en 1836 et Fontenelle SÉNÉCAL né en 1837 sont alors en République d’Haïti, attendant leurs parents. Or, leur mère Émora les avait accompagnés en Haïti, puis était repartie pour Paris rejoindre ses enfants et attendre son mari. C’est Léonard seul, semble t-il, qui vient retrouver ses deux fils Alexandre et Fontenelle, à Port-au-Prince, en 1862. Un anniversaire à célébrer cent cinquante ans après, de 1862 à 2012.
Léonard SÉNÉCAL a rejoint ses deux fils en République d’Haïti et nous savons qu’il résidait en 1873, à Port-au-Prince où il travaillait comme commerçant, car il envoya à Paris par notaire, son autorisation pour le mariage de son fils Hypolite SÉNÉCAL. Émora et ses quatre enfants ont participé aux événements de la Commune de Paris. Ses deux fils, dont l’un était capitaine de la Garde nationale, ont été arrêtés et jugés par les Versaillais. Émora a été elle-même suspectée comme étant de connivence avec les Communards. Nous savons aussi que Léonard SÉNÉCAL est décédé à Port-au-Prince vraisemblablement entre 1874 et 1876. Que sont devenus Alexandre et Fontenelle SÉNÉCAL ? Ont-ils été les ancêtres des deux branches SÉNÉCAL d’Haïti, l’une à Port-au-Prince, l’autre à Jacmel ? Les réponses c’est vous qui les avez, mes amis d’Haïti. Cette enquête terminée après trente ans d’investigations, je la place entre vos mains et vous prie de la poursuivre, car maintenant, c’est de vous qu’il s’agit.
J’ai remis mon manuscrit à mon imprimeur et l’ouvrage, plus de 800 pages au format 21x29,7 cm, SÉNÉCAL avec des illustrations, doit sortir en librairie avant la fin de l’année 2012, sous le titre suivant :
ORUNO D. LARA
GUADELOUPE : VOYAGE AUX SOURCES DE
NOTRE INDÉPENDANCE
LE DOSSIER SÉNÉCAL
Édition du CERCAM
112 AVENUE DE LA MARNE
93800 ÉPINAY-sur-SEINE (FRANCE) Mail : odlara@wanadoo.fr
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Note complémentaire : la question des prénoms
I- Critères de choix
Dans le choix des prénoms de ses enfants, Léonard SENECAL – et sa seconde épouse Emora – se conforment à trois critères :
1°) La mode qui s’applique aux îles, exemple : Marie -– pratiquement toutes les filles portent le prénom de Marie-, Clémyre, Hortense, Amélie pour les filles ; Etienne, Albert, Emilien pour les garçons ;
2°) L’euphorie de la liberté. Avant 1848, le nègre esclave ne porte qu’un seul prénom, un surnom, un sobriquet. Léonard a d’abord été son prénom d’esclave et son nom une fois qu’il a été affranchi. On comprend mieux pourquoi devenu Léonard SENECAL, il commence par donner plusieurs prénoms à ses enfants : trois, quatre, voire cinq prénoms. Lui-même se dote vers 1850 du prénom de Marie qui lui permet au procès de 1851 de répondre au nom de Marie Léonard SENECAL. Les magistrats de la Cour d’assises auraient pu relever cette erreur de prénom. Ils n’en font rien car leur but n’est pas de chicaner le prévenu sur son prénom, mais de le condamner lourdement pour s’en débarrasser définitivement. Ils n’en ont cure, du prénom.
3°) Les goûts culturels de Léonard SENECAL et ceux de sa seconde épouse Emora – qui se traduisent par le choix de prénoms tels que : Alcibiade, Alexandre, Fontenelle, Magdelaine pour les garçons ; Thècle, Berthe et Compassion pour les filles.
II- Enfance
Tant que les enfants sont petits et qu’ils demeurent sous la coupe des parents, ils utilisent leurs prénoms usuels dictés par l’état civil : Alcibiade, Fontenelle, Clémyre, Thècle… comme en témoigne la lettre de mars 1856 à l’Empereur NAPOLEON III (lettre citée dans mon ouvrage).
Sauf Jean Alcibiade qui devrait porter le prénom de Magdelaine, et Alexandre qui aurait dû se nommer Châteaubrun. Ils ont préféré très tôt étant boursiers dans une institution et dans un collège de France prendre des prénoms Jean et Alexandre qui leur semblaient préférables et plus pratiques.
III- Devenus adultes, les enfants de Léonard SENECAL, filles et garçons, adoptent parfois des prénoms plus pratiques, plus à leur convenance, en fonction du lieu de leur résidence et du milieu dans lequel ils se trouvent : Clémyre est enterrée sous le prénom de Françoise, prénom qu’elle utilisait alors à cette époque. Octavie a remplacé Thècle et Fontenelle qui a 25 ans en 1862 a changé de prénom lui aussi à son entrée en République d’Haïti.
On devra tenir compte de ces observations quand on voudra effectuer des recherches sérieuses sur les descendants des personnages respectifs de ce dossier.
ORUNO D. LARA
16 décembre 2012
[1] Oruno D. LARA est historien. Il est titulaire d’un doctorat d’Histoire et d’un doctorat d’Etat ès-Lettres et Sciences Humaines en Histoire moderne et contemporaine.
Il est le fondateur et actuel directeur du Centre de Recherches Caraïbes-Amériques (CERCAM) fondé en 1982 à l’université Paris X - Nanterre en tant qu’Axe prioritaire de recherche, devenu huit ans plus tard une association de chercheurs. Il anime également le Comité "De l’Oubli à l’Histoire" et organise périodiquement les journées d’étude et les colloques du CERCAM. Il dirige les séries EspacesCaraïbes et Cimarrons, ainsi que la collection d’ouvrages du CERCAM.
Thèmes de recherches et travaux :
Histoire des Caraïbes, XVe-XXIe siècles.
Histoire de la traite négrière et de l’esclavage.
Etude comparée des abolitions.
Histoire des relations Afrique - Caraïbes.