Synthèse d’une journée de réflexion à la mémoire de l’ingénieur-agronome Shepherd Abraham, décédé le 3 avril 2003 (2eme partie)
Le débat du 3 avril 2004 sur le Rôle du secteur agricole dans la transition et le développement national, organisé à Port-au-Prince par la Plateforme Haitienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) et l’Association Nationale des Agro-professionnels Haitiens (ANDAH), a été l’occasion pour des acteurs de réfléchir en atelier sur divers thèmes d’intérêt liés à la problématique agricole.
Des responsables étatiques, dont le ministre de l’agriculture, Philippe Mathieu, ont eu également à prendre la parole pour souligner quelques aspects des priorités gouvernementales en la matière.
Travaux en atelier
Organisation et participation paysanne
Les participantes et participants à cet atelier ont énuméré un ensemble de droits (politiques, économiques, sociaux et culturels), qui ne sont pas respectés dans le milieu paysan :
Droits politiques
Droit de voter
Droit de manifester
Droit d’organiser
Droit de participer dans les prises de décision
Droits économiques
Droit d’avoir accès à la terre et au marché
Droit d’avoir des terres arrosées
Droit d’avoir accès au crédit
Droit de disposer d’outils et d’avoir accès à l’encadrement technique
Droits sociaux
Droit à la santé, au logement et à la sécurité
Droit à l’éducation gratuite
Droit au travail
Droit à la protection
Droit d’accès aux moyens de communication
Droits culturels
Droit d’avoir sa propre religion
Droit d’avoir ses pratiques culinaires
Droit d’avoir des loisirs, selon sa culture
Face à ces violations des droits des paysans, l’atelier sur l’organisation et la participation paysanne a fait les recommandations suivantes :
Créer des organisations structurées au niveau national et local
Renforcer la capacité des organisations paysannes
Conscientiser les paysans et les animateurs
Eduquer et former les paysans
Rendre les organisations paysannes autonomes par rapport aux églises, aux Organisations Non Gouvernementales et à l’Etat
Se doter de moyens politiques liés à un projet de société
Le riz
Pour améliorer la produc-tion du riz, les participants à l’atelier demandent à l’Etat de :
Doter le milieu paysan de matériels pour la récolte du riz
Diminuer les intermédiaires dans la vente des engrais
Procéder au curage des canaux d’irrigation
Mettre des motoculteurs à disposition des paysans pour pallier le problème de main-d’œuvre lors des semailles
Encadrer les producteurs des semences
Etablir des banques agricoles pour faciliter l’accès des paysans au crédit
Concernant l’importation, l’Etat doit :
Contrôler l’importation et percevoir des taxes sur les produits importés
Suspendre l’importation des produits agricoles au moment des récoltes
L’Etat doit également créer des infrastructures pour :
Créer des conditions susceptibles de diversifier les semences
Encourager l’accès au marché
Susciter l’acquisition, par les paysans, de moulins modernes pour diminuer le taux de brisures du riz
Fournir aux paysans des moyens appropriés au stockage de riz
Construire de nouveaux canaux d’irrigation
L’élevage
Pour les participantes et participants à cet atelier, voici les obstacles au développement de l’élevage :
Manque de moyens économiques et financiers pour développer ce secteur
Absence de politique qui garantisse ou encourage la production nationale
Cherté et rareté d’aliments pour bétail
Inaccessibilité des éleveurs au crédit
Cherté et non disponibilité, sur le marché haïtien, de médicaments vétérinaires
Carence en formation chez les éleveurs
Face à ce constat, l’atelier sur l’élevage a préconisé un ensemble d’actions à entreprendre pour développer cette branche.
L’Etat doit définir une politique qui valorise la production nationale pour :
Améliorer la technique d’élevage
Encadrer les éleveurs
Percevoir des taxes sur les produits importés
Mangues et vivres alimentaires
Les participantes et participants à cet atelier ont d’abord identifié des obstacles (au plan social et économique, ainsi qu’au développement des filières) à la production de mangues et de vivres alimentaires.
Sur le plan social :
Absence des soins de santé dans les milieux ruraux
Insécurité alimentaire dans le milieu rural
Carence d’organisations paysannes
Absence de contrôle sanitaire
Sur le plan économique :
Mauvais état ou inexistence de routes en certains endroits
Manque de canaux d’irrigation
Inaccessibilité des paysans au crédit
Incidences défavorables de la libre concurrence sur les producteurs
Par rapport au développement des filières :
Faible fertilisation organique
Problème de main-d’œuvre
Coûts de production trop élevés
Manque d’outils et de moyens de stockage des produits
Aussi, l’atelier a-t-il proposé les actions suivantes à conduire :
Renforcer le secteur agricole (formation technique, économique)
Développer une solidarité entre les organisations de producteurs
Parallèlement, en ce qui a trait aux mangues et vivres alimentaires, l’Etat doit :
Diminuer la pression économique sur les familles paysannes
Assurer l’arbitrage du marché
Développer les autres secteurs économiques
Réaliser une réforme agraire sérieuse pour résoudre le problème foncier
Encadrer techniquement les producteurs
Le café
Aux yeux des participantes et participants à cet atelier, il existe cinq catégories d’obstacles à la production du café en Haïti :
Manque d’encadrement technique et financier aux producteurs
Manque d’engrais
Ancienneté des espèces disponibles
Problème de déboisement
Absence de voies de communication
Pour remédier à ces difficultés, l’atelier recommande de :
Décentraliser les services de l’Etat
Redynamiser l’Institut National du Café d’Haïti (INCAH)
Créer des banques de crédits agricoles
Freiner le déboisement
Prévoir, dans le budget national, un fonds pour la production du café
Conclusion
Résumé d’une déclaration
adoptée par des producteurs et paysans
Le secteur agricole doit désormais avoir une place importante à l’intérieur du plan de développement national à articuler dans le sens de la défense des intérêts des paysans, selon une déclaration adoptée par les producteurs et paysans qui ont pris part à la journée de réflexion et d’hommage à la mémoire de l’ingénieur-agronome Shepherd Abraham.
Faisant le constat des incidences négatives de l’application du plan néolibéral sur la production nationale, de la réalité d’occupation du territoire national par des forces étrangères, ils demandent à l’Etat de suspendre les opérations de la zone franche établie en 2003 dans la plaine de Maribahoux (partie la plus fertile du département du Nord-Est d’Haïti).
Tout en exigeant la prise en compte de leurs desiderata en ce qui a trait aux décisions administratives sur l’agriculture, ils plaident en faveur d’investissements dans les domaines du crédit, des infrastructures (allocation régulière de tous les services publics essentiels) et de l’encadrement technique en milieu paysan. Pour garantir la production nationale, les autorités doivent aussi prélever des taxes sur les produits importés.
Parallèlement, ils réclament des dispositions pertinentes pour une réforme agraire véritable et la fin de l’impunité dont bénéficient des grands propriétaires terriens qui font encore exercer des représailles sur les paysans sans terres de l’Artibonite et du Nord-Ouest.
Résumé de l’intervention du Secrétaire d’Etat à l’Environnement, Yves André Wainright
L’ingénieur-agronome Yves André Wainright, Secrétaire d’Etat à l’Environnement, a jugé fragile la situation actuelle d’Haïti, compte tenu de multiples enjeux importants qu’il y a sur le plan international. Pour lui, Haïti est dans une situation particulière. Sans la présence d’un Parlement, le gouvernement ne peut pas négocier des prêts.
Il a annoncé quelques mesures qui vont être prises par la Secrétairerie d’Etat à l’Environnement, notamment la formation d’agents environnementaux et le développement de partenariat dans le secteur.
Résumé de l’intervention du Ministre de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR), Philippe Mathieu
Pour Philippe Mathieu, la collaboration du secteur agricole est nécessaire pour le développement de l’agriculture en Haïti. Il a fait remarquer que les politiques des gouvernements antérieurs n’étaient pas en faveur des paysans.
Esquissant quelques lignes directrices de la politique de son ministère, Philippe Mathieu a affirmé avoir proposé au gouvernement l’augmentation du montant alloué au secteur agricole.
Créer les infrastructures nécessaires au développement du secteur agricole
renforcer les organisations des professionnels agricoles
stimuler l’accessibilité des paysans au crédit et aux intrants
Telles sont, aujourd’hui, les principales priorités du MARNDR, selon Philippe Mathieu.
Il a conclu qu’il va privilégier deux grandes approches : concertation et contractualisation.
Mots de la fin : par Camille Chalmers, dirigeant de la PAPDA et Fruck Dorsainvil du comité exécutif de l’ANDAH
La journée de réflexion et d’hommage à la mémoire de l’Ingénieur-Agronome Shepherd Abraham a été l’occasion de réfléchir sur le secteur important que représente l’Agriculture en Haïti.
Les organisateurs de cette journée ont fait remarquer que, depuis 1994, la production agricole nationale n’a jamais préoccupé les gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays.
Ces réflexions doivent se poursuivre afin d’influencer les décideurs de l’Etat et d’assurer la continuité des idées de Shepherd Abraham, ont souhaité les deux représentants de la PAPDA et de l’ANDAH.
Dans le contexte de lutte pour défendre l’économie paysanne, la journée de réflexion et d’hommage à la mémoire de l’Ingénieur-Agronome Abraham aura offert une opportunité aux producteurs de partager leurs expériences et d’exprimer leurs revendications.