Par Edner Fils Décime
P-au-P, 18 oct. 2012 [AlterPresse] --- La place Dessalines au Champ de Mars a été partagée, le 17 octobre 2012 à l’occasion du 206ème anniversaire de l’assassinat du fondateur de la patrie haïtienne, entre la Confédération nationale des vodouisants haïtiens (Knva) et le Collectif pour le dédommagement des victimes du Choléra (Comodevic).
A l’Ouest, vodouisants et vodouisantes procèdent aux funérailles symboliques de l’empereur sous l’œil vigilant de l’Ati national, Max Gesner Beauvoir, et d’autres dignitaires de la religion vodou.
A l’Est aux pieds de la statue de Jean-Jacques Dessalines, le Comodevic expose les photos des victimes d’ « exactions des soldats » de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti (Minustah).
Une manifestation du Mouvement de liberté et d’égalité des Haïtiens pour la fraternité (Moleghaf) contre la présence de la Minustah dans le pays rejoindra l’exposition un peu plus tard.
La Knva veut apaiser la colère du « nanm » (âme) de l’empereur et permettre de recoudre le tissu social haïtien. De leur côté Moleghaf et Comodevic préfèrent réveiller « l’idéal dessalinien » pour combattre l’occupation du territoire national.
Les funérailles de l’empereur
Comme houngan (prêtre du vodou) et empereur Chanpwèl (société secrète du vodou), Jean-Jacques Dessalines a eu droit à un Bohoun (rituel funéraire organisé uniquement pour un initié vodou).
A l’occasion, le très rare « vèvè » du Minokan (dédié à tous les loas indistinctement) est tracé au centre du lieu cérémoniel. Des feuilles de « monbin bata » et de « monbin franc » jonchent la superficie de la figure d’un diamètre d’environ 7 mètres.
Assons (instrument du rituel vodou), collier, drapeaux, machettes, bouteilles décorées, mouchoirs, govi (cruches, canaris), gamelles, se mêlent aux robes, pantalons, chemises, corsages blancs, noirs ou rouges pour créer une atmosphère de sacré et de mystère.
Du Petro au rada, les initiés et initiées ont salué et vénéré les 401 divinités du vodou. Des salutations mystiques spéciales ont été adressées à « l’esprit d’Ayiti », Ayizan.
Au stand principal prennent place l’Ati national, Max Beauvoir, la mambo-chanteuse Carole Demesmin, Evonie Auguste, Anette Auguste (Sò Ann), la professeure Suze Mathieu, le directeur du Bureau national d’Ethnologie, Erol Josué et d’autres dignitaires du Vodou.
En face du stand, s’érige la « nich (tombe symbolique où se trouve le « nanm » de Dessalines) » sécurisée par des différentes divisions de sociétés chanpwèl. De cet endroit, on va « tirer le nanm de l’empereur de l’eau » comme le vœu le rituel funéraire vodou.
Dans l’assistance, sous un soleil de plomb qui n’ébranle pas leur foi que « Dessalines et le vodou sont les pères de la liberté d’Haïti », des vodouisants et vodouisantes de plusieurs départements géographiques chantent, invoquent pour le « repos des mânes du fondateur ».
« Nous ne sommes pas des millions ici ce matin parce que les vodouisants ont eu peur. Car le gouvernement ne voulait pas que les funérailles soient chantées le 17 octobre. Il préférait le 2 janvier 2013. Ce n’est que très tard hier [16 octobre 2012] qu’il a accepté avec la garantie qu’il n’y aura ni « A bas » ni « Vive » (le président Michel Martelly) explique le houngan-animateur Samba El.
Après les « Vive le gouvernement, Vive les catholiques, Vive les protestants, Vive tout le monde » de Samba El, l’Ati national a pris la parole et a précisé que ces « Vive » s’adressent à « tous ceux-là qui font du mal au Vodou » et qu’ils seront attendus « au tournant ».
Intervention de Beauvoir pour indexer les pourfendeurs du Vodou et rappeler « l’abrogation infâme » de l’article 297 de la constitution haïtienne faisant de cette religion « une pratique superstitieuse à détruire ».
« Très tard dans la soirée du 16 octobre, j’ai été informé que le ministère de la planification a émis un chèque au nom du Knva. Ce qui nous a permis de construire le stand. Mais le plus important pour nous vodouisants est le respect de notre religion et la fin des persécutions », précise Max Beauvoir, contacté par AlterPresse.
Le « nanm » de Dessalines dans un « Govi Ayizan » a parcouru le champ de mars, a salué le marron inconnu pour enfin aller se reposer au mausolée des héros de l’indépendance.
Dessalines et occupation étrangère feraient-ils bon ménage en 2012 ?
« Les ancêtres ont dit non à l’occupation sous toutes ses formes », répond un sosie de Dessalines présent à la cérémonie du haut de son cheval.
Pourtant, dans le convoi funéraire vodouesque de l’empereur les « Vive Dessalines, A Bas Minustah » de certains membres de Comodevic et de Moleghaf n’ont pas été les bienvenus.
Ce qui a piqué la colère d’Evonie Auguste invitant ses collègues à se distancer de ceux qui crient
« A bas » car « nous sommes là pour une cérémonie religieuse, les funérailles de Dessalines, pour aider notre pays à sortir de l’impasse ».
Du coup, Wisly Siméon de Comodevic, lançant des invectives à l’endroit des « forces d’occupation », a été appréhendé par la police, conduit au commissariat de Port-au-Prince puis relâché aux environs de 16 heures. Plusieurs de ses badges ont été gardés par la police.
Alors que Vodouisants et militants sont conscients que le 17 octobre est « blasphématoire, abominable dans l’histoire du pays » et que d’autres parlent de « jour de la honte » ou de « recueillement », la ministre du Tourisme, Stéphanie Villedrouin, sur sa page Facebook, fait du 17 octobre 2012 « le 206 ème anniversaire d’un héros légendaire » et a souhaité « joyeux 206 ème à tous les haïtiens ».
Quelle catégorie d’haïtiens et haïtiennes peuvent-ils être joyeux et célébrer le jour de l’assassinat du père de la patrie ? La ministre ou tout au moins le gestionnaire de sa page, mesure-t-il/elle la portée et l’image projetée par cette publication ? Les commentaires des internautes en disent long.
[efd gp apr 18/10/2012 16 :10]