(El mundo alucinante, 1969) de Reynaldo Arenas
Par Roody Edmé*
Spécial pour AlterPresse
Un roman hallucinant, où l’écriture est une véritable aventure : telle est la première impression qui se dégage à la lecture de ce roman à succès de l’écrivain cubain, Reynaldo Arenas, qui, comme un bon cru, est toujours agréable à déguster.
Paru à la fin années 1960, son vieillissement lui ouvre, toutes grandes, les portes des grands récits « surréalistes » caribéens.
Il s’agit d’une œuvre ouverte à tous les vents, au risque de brouiller les repères de la lectrice la plus têtue ou du lecteur le plus têtu.
Un récit d’aventures, où le rêve, l’imagination, atteignent des proportions insoupçonnées.
Arenas s’est permis toutes les audaces, à travers une narration qui ne cesse point de rebondir et de surprendre la lectrice ou le lecteur.
Au fil des pages, on est frappé par la grande fantaisie des situations, des descriptions et des métamorphoses, que subissent les personnages. Des célébrités de l’histoire et de la littérature apparaissent sous un angle jusqu’ici inconnu.
L’auteur se joue de tout. Il refait l’histoire des choses et des gens, à travers un prisme déformant : celui des caprices d’un créateur qui joue à être Dieu.
Fray Servando, religieux dominicain, vit, dans sa chair, l’histoire tumultueuse de son pays, le Mexique. Il s’est enfui de sa terre natale pour avoir contredit le message officiel de l’Église sur l’apparition de la vierge de Guadalupe.
Et, de là, commencent les aventures de ce personnage haut en couleur, qui découvre le fond insondable de la condition humaine.
Mais, jamais, on ne tombe dans le discours moralisateur, ni la tentation réaliste ; le talent d’Arenas réside dans sa manière de mettre son imagination au service d’une vérité toute philosophique : la fascination du vide et de l’absurde.
Toute chose qu’une certaine actualité ne cesse pas de nous rappeler au quotidien.
Fray Sevando Teresa de Mier , le personnage central du roman, a tout vu, tout connu.
Lui, qui est passé par les geôles les plus infectes de la planète, est indestructible. Il survit à toutes les infamies, pour pouvoir continuer à nous les faire vivre par procuration. Le romancier lui a assigné la mission de survivre pour nous faire de l’anti-histoire.
Il a rencontré Simon Bolivar et nous offre une version revisitée de la vie du Libertador.
Il s’est retrouvé projeté dans le temps, par le magie du roman, dans la chambre de Madame de Staël et a dû, en moine fidèle à son vœu de chasteté, refuser ses avances. Il a, en outre, visité les « trois pays de l’amour », où, malgré lui, il échoua, dans un lac de liquide séminal.
Le monde hallucinant est une œuvre picaresque, qui ose : le projet d’écriture est on ne peut plus lisible.
Même si le roman lui-même, dont nous avons lu la version espagnole, parait, par moments, ardu, la satisfaction est au bout de l’effort. Un peu, comme l’ivresse de l’alpiniste parvenu au sommet et qui contemple, médusé, le monde à ses pieds.
Littérature psychanalytique, s’il en est, mais aussi et surtout conte philosophique, qui réunit des préoccupations, des inquiétudes qui ont traversé la littérature, de Voltaire à…Camus.
Mais, avant tout, ce qui frappe, dans cette œuvre aux mille facettes, c’est la grande liberté de l’écriture, l’évolution en spirale de sa composition, qui bouleverse toute chronologie.
L’auteur arrête la narration pour, de temps en temps, s’entretenir avec la lectrice et le lecteur, dans une interaction qui rappelle nos « lodyans ».
Il est recommandé à la lectrice et au lecteur d’ouvrir le roman… comme une voyageuse / un voyageur, visitant un pays étranger et qui en découvre, au fur et à mesure, les mœurs et coutumes.
Il se passe tant de choses, dans cet espace-livre, qu’on est gagné par le vertige.
Mais, n’est-ce pas la sensation que peut donner un grand cru ?
* Éducateur, éditorialiste