Par Stephen Ralph Henri
P-au-P, 15 oct. 2012 [AlterPresse] - - - Sur le qui-vive...
Voilà ce qui résume l’existence des marchandes qui s’adonnent au petit commerce, sur les trottoirs de certaines communes dans la zone métropolitaine de la capitale Port-au-Prince.
Certains moments de la journée demandent carrément des compétences de sprinters.
Une contradiction, quand les témoignages de ces femmes démontrent qu’en fait leur activité, souvent ingrate, tient surtout d’une patience de bouddhiste.
Par crainte d’être identifiées, certaines des commerçantes, interrogées par AlterPresse, ont décidé de ne pas communiquer leurs noms, alors que d’autres ne donnent que leur prénoms.
Nous sommes sur la route principale de Delmas, une commune située au nord=est de la capitale haïtienne. Là, les marchandes, mais aussi des marchands, transforment les trottoirs en marché public.
A quel prix ?
Tension, panique… et pertes
Les journées de cette marchande sont constamment pareilles. Il est midi (14:00 gmt) et elle nous raconte sa situation.
« À l’heure qu’il est (midi) on n’a encore rien vendu. On ne peut pas vendre, à cause de la mairie qui nous empêche d’étaler nos marchandises ».
Cette femme vend des sacs d’école et des boîtes à lunch usagés, depuis trois ans sur la route.
C’est grâce à cette activité qu’elle nourrit sa famille, honore les frais de son loyer et paye l’écolage de ses enfants.
La mairie de Delmas a, en réalité, engagé une bataille contre ces citoyennes et citoyens, qui font du commerce sur les trottoirs, pour répondre à leurs besoins. Elle a organisé un corps dénommé " brigade de contrôle des rues" (Bricor), composé essentiellement d’hommes en uniforme et armés.
Ces derniers ne pardonnent pas aux marchandes, bousculent ces femmes, renversent leurs marchandises ou les saisissent.
C’est, d’ailleurs, ainsi que se dessine le quotidien de ces vendeuses.
« Nous ne voyons pas d’inconvenients.. que la mairie nous empêche d’étaler (nos marchandises). Mais, il faut qu’il nous donne un marché avant de nous bousculer et de nous humilier », ajoute cette même marchande qui requiert l’anonymat.
Étant quotidiennement exposées aux brimades de ces brigadiers de la mairie et étant pressurées par la présence de quelques-uns sur les lieux, ces détaillantes se précipitent pour placer un mot sur leur réalité quotidienne.
« Ils prennent ce qu’ils veulent (de nos marchandises). Et, le reste, ils le transportent dans la mairie pour le taxer (…) on doit payer la quantité d’argent qu’ils imposent (…). Sinon, on perd la marchandise », raconte cette dame qui vend des produits hygiéniques, placés dans une cuvette.
À l’arrivée des hommes de la Bricor, c’est le dérapage et la panique, une situation qui augmente les pertes.
« J’ai perdu du jus. J’achète à crédit (les ingrédients). Je paie après la vente. Mais, quand on court pour la mairie … et quand ils doivent saisir la table, ils renversent le jus », indique cette vendeuse de jus expliquant ses déboires.
L’une des stratégies, utilisées par certaines de ces petites commerçantes, que l’on peut observer, c’est qu’elles laissent une bonne partie de leurs marchandises dans de gros sacs, ou les mettent dans des cuvettes pour pouvoir se déplacer rapidement. quand les agents de la mairie débarquent.
Tout en se disant conscientes des dangers qu’elles encourent, en vendant sur les accotements, ces femmes regrettent de ne pas avoir d’autres endroits, où vendre.
Marché public : solution ou façade ?
Tite Sœur est une vendeuse de vêtements usagés. Elle entreprend cette activité sur les accotements de la voie principale de Delmas, depuis 2008.
« Toute zone a son propre marché public. Je pense qu’il faut construire le marché de Delmas. Ainsi, chaque marchande aura-t-elle une place. La rue est vraiment dangereuse. Nous ne voudrions pas y venir chaque jour, mais nous n’avons nulle autre part où aller. Mais, eux (les agents de la mairie) nous bousculent, sans nous indiquer un autre lieu », déclare Tite Sœur, se faisant l’écho de la principale revendication de ses compagnonnes.
Est-ce que l’espace (fermé et contrôlé) de marché public peut résoudre véritablement le problème de ces marchandes ?
Au marché de Tabarre (autre municipalité au nord-est de la capitale), lequel a été incendié au mois de février 2012, un autre spectacle laisse comprendre qu’avoir une place à l’intérieur d’un marché public (fermé et contrôlé) n’épargne pas totalement les marchandes des bousculades, voire des pertes de marchandises.
Marie Ginie vend des haricots, des oranges et des légumes, aux abords du marché public de Tabarre.
Elle n’a pas encore de place à l’intérieur de cet espace d’échanges. Son problème ne paraît pas être trop différent de celui des autres occupantes de la route principale de Delmas.
« Mon plus grand problème, c’est la mairie qui vient nous tricoter. Nous sommes dehors et il n’y a pas assez de place à l’intérieur : le marché est trop petit », explique Ginie.
« Nous frapper, renverser ce que nous avons et nous sommer de sortir sont actuellement nos conditions », déplore cette même marchande.
Les saisies sont courantes.
Les autorités municipales semblent ignorer les marchandes qui ne parviennent pas à jouir de la possibilité d’avoir une position.
« Pour les marchandes, qui sont aux abords du marché, si elles ne sont pas à l’intérieur, c’est que l’État ne les reconnaît pas », soutient l’un des superviseurs surnommé ‘’ Black’’.
La direction du marché public donne une carte (dont la durée n’est pas précisée) aux marchandes, qui paient 150.00 gourdes (US $ 1.00 = 43.00 gourdes ; 1 euro = 58.00 gourdes aujourd’hui) pour y avoir accès.
Est-ce que le fait d’avoir une carte - ce qui garantirait une place à l’intérieur du marché - change quelque chose ?
« Là où nous sommes, nous considérons que ce n’’est pas comme à l’intérieur d’un marché public. C’est là que tous les trailers passent et, des fois, ils renversent nos tables... », raconte Élicia, qui s’investit dans la vente en détail de produits alimentaires, tels le riz, le maïs moulu et des haricots (pois).
Les femmes commerçantes n’ont pas toujours des toilettes à disposition pour satisfaire des besoins physiologiques. Quand il en existe, il faut payer 10.00 gourdes à chaque utilisation, comme c’est le cas dans le marché de Tabarre.
D’autres problèmes rythment la vie de marchandes, en particulier le non-accès au crédit.
Parfois, les gestionnaires d’un marché public vendent les places des plus anciennes à de nouvelles venues qui possèdent plus de capitaux. [srh kft rc apr 15/10/2012 1:35]