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Elections présidentielles aux Etats-Unis et au Venezuela : Eventuelle reconfiguration de la géopolitique latino-américaine et ses conséquences pour Haïti

Par Joseph Harold Pierre*

Soumis à AlterPresse le 4 octobre 2012

Introduction

Le calendrier électoral de 2012 du continent américain compte quatre élections présidentielles (République Dominicaine, Mexique, Venezuela et Etats-Unis). A la différence des courses électorales dominicaines et mexicaines, les joutes américaines et surtout vénézuéliennes qui se tiendront le 7 octobre et le 6 novembre prochains, sont beaucoup plus importantes pour la géopolitique latino-américaine. En effet, Chavez, depuis sa montée au pouvoir en 1999 et de par sa vision politique socialiste diamétralement opposée à l’idéologie capitaliste américaine, a été considéré par Washington comme un « élément subversif » et une « cause de maux de tête à l’échelle globale » pour ses intérêts. De plus, la promotion de la Révolution Bolivarienne, le pétrole et ses différentes initiatives d’intégration régionale ont fait de lui le leader le plus influent de l’Amérique Latine. Aussi, sa discontinuité à la tête du Venezuela (au cas où il perdrait la course électorale) provoquera-t-elle une reconfiguration des relations des pays latino-américains entre eux et avec les Etats-Unis. D’un autre côté, les résultats des élections américaines ont un rôle non négligeable à jouer dans cette restructuration de la géopolitique du sous-continent, car une victoire de Romney pourra brouiller davantage les relations.

Cette investigation consiste à pronostiquer dans un premier temps les candidats qui, très probablement, pourront remporter les élections, à analyser, dans un second moment, dans quelle mesure les résultats des joutes provoqueraient la reconfiguration de la géopolitique latino-américaine.

Première Partie : Elections aux Etats-Unis et au Venezuela

Les principales thématiques de la campagne électorale américaine sont l’économie, la politique extérieure et les minorités (latinos, afro-américains, etc.). Un autre point conjoncturel mais non moins important pour les résultats des élections est l’humiliante déclaration de Romney sur les 47% des électeurs qui ne paient pas d’impôt sur le revenu (Corn, 2012). Au Venezuela, la réalité est tout autre : la guerre idéologique de Chavez contre le capitalisme a pratiquement éclipsé les sujets traditionnels de toute campagne électorale. Et ceci à un point tel que le candidat de l’opposition, Capriles, eut à déclarer : « s’ils [Chavez et ses partisans] sont socialistes, je suis marxiste-léniniste » (El Observador, 2012), une manière pour s’attirer la sympathie des votants dont une grande partie, endoctrinée aux idées de la « Révolution Bolivarienne » considère le « capitalisme », le « néolibéralisme », le « marché », les « Etats-Unis » et les « oligarchies » comme les causes des maux de l’humanité.

Suivant la compilation des sondages d’opinion de 8 institutions d’enquête des plus respectées des Etats-Unis dont Gallup et Bloomberg, la RealClearPolitics et est arrivée au graphique ci-dessous actualisé jusqu’au 29 septembre. Comme on peut l’observer, Obama est nettement en avance sur Romney.

Si on analyse le graphique à la lumière des théories du comportement électoral (déterminisme sociodémographique de Lazarsfeld, théorie psycho-politique de Campbell ou l’identification à un parti politique, et l’utilitarisme) on est amené à pronostiquer la victoire d’Obama. Même si la theorie de l’appartenance partisane rend difficile tout pronostic car entre le parti démocrate et le parti républicain, il n’en existe pas un dominant, le déterminisme sociodémographique (suivant lequel les gens votent pour le candidat qui appartient a un même milieu qu’eux ou qui partage leurs condition de vie) et l’utilitarisme (qui se fonde sur la rationalité des électeurs, lesquels votent pour le candidat qui selon eux, leur procurera le plus de satisfaction) laissent prédire la victoire d’Obama. Sachant que la fortune de ce dernier est évaluée à 11.8 millions de dollar, alors que celle de Romney est de plus de 250 millions (Celebrity Net worth, 2010), il est évident qu’il est énormément plus de gens à s’identifier avec le président sortant qu’avec le candidat républicain Romney (théorie du déterminisme sociodémographique). De plus, le 47% la population américaine qui ne paie pas d’impôt sur le revenu et que Romney traite de parasites, ne votera pas pour plus (rationalité des électeurs).

Pour les élections du Venezuela, les firmes enquêteuses ont présenté des tendances historiques en faveur ou à l’encontre de l’un ou l’autre des candidats (ver El Universal, 2012a). Toutefois, on tient à présenter les sondages. La méthode utilisée est leur moyenne mensuelle, dans l’idée que ce procédé pourrait réduire les biais des uns ou des autres et ainsi dresser un tableau plus ou moins équilibré de la réalité. Réunissant les enquêtes de 9 firmes, réalisées du 8 avril au 26 septembre, on est arrivé au graphique que voici :

Comme on peut l’observer, la distance entre les deux candidats a considérablement diminué dans l’espace de 6 mois. En avril, Chavez avait une avance de 20 points de pourcentage sur son rival, alors qu’à la deuxième quinzaine de septembre, l’écart est de 8 points. De plus, dans les élections régionales de 2010, l’opposition a gagné du terrain dans deux Etats importants (Zulia et Miranda), lesquels étaient des bastions du chavisme (El Universal, 2012b).

Toutefois, il est difficile de croire qu’à moins d’une semaine des élections, le candidat de l’opposition peut ajouter plus de 8% à ses intentions de vote pour ainsi dépasser Chavez. Dans le cadre de cette analyse, il faut aussi tenir compte non seulement de l’appareil idéologique, communicationnel et financier dont dispose Chavez, mais aussi et surtout du fanatisme invétéré d’une grande partie des vénézuéliens (notamment les plus défavorisés) à son égard.

Deuxième Partie : Résultats des élections et reconfiguration de la géopolitique latino-américaine

Avant de traiter ce point, il est éclairant de présenter une vision panoramique des relations extérieures du Venezuela sous le régime de Chavez.

Le rapport de mars 2007 du Dialogue Interaméricain est intitulé « Hugo Chavez : Un Défi pour la politique extérieure des Etats-Unis (document en espagnol) ». Pour Washington, Chavez a surgi comme « un adversaire irritant et potentiellement dangereux » (Hakim, 2006). Avec Cuba, le Venezuela forma un « axe subversif » dont il faut prévenir les autres démocraties de la région (Langue, 2006). En 2005, Chavez a considéré la Zone de Libre Echange des Amériques (ALCA) comme « un instrument de l’impérialisme nord-américain » qu’il fallait enterrer, et proposé pour sa substitution l’Alternative Bolivarienne des Amériques (ALBA) qui, selon lui, est une initiative fondée sur la complémentarité commerciale, la coopération et non la concurrence du marché. Suite aux altercations houleuses entre Bush et Chavez en 2005, les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et le Venezuela se sont rompues, en 2008, par l’expulsion mutuelle des ambassadeurs.

La « diplomatie pétrolière » de Chavez en Amérique Latine consistant en la vente du pétrole à des prix considérablement bas à des partenaires commerciaux, lui a permis d’assoir une grande influence et popularité dans la région. Ainsi donc, il a pu agrandir et consolider la gauche latino-américaine, et, conséquemment, rendre de plus en plus difficile l’ingérence nord-américaine. A la 67ème Assemblée Générale des Nations Unies de la semaine dernière, on a vu transparaître une certaine unification idéologique des pays de l’Amérique Latine : les critiques de Rousseff et de Kirchner sur le FMI, celles des chefs d’Etat du Mexique, de la Colombie, du Honduras et du Guatemala contre les pays consommateurs de drogue pour la violence provoquée par le narcotrafic, etc.
Il faut dire aussi que les relations de Chavez débordent les frontières de l’Amérique Latine, car il développe des rapports avec la Chine, l’Iran, l’Irak, la Russie, la Lybie, pays ennemis des Etats-Unis.

4 - Résultats des élections américaines et vénézuéliennes et reconfiguration de l’Amérique Latine

Dans notre analyse des campagnes et des sondages des deux processus électoraux, nous avons découvert qu’il est très probable qu’Obama et Chavez soient les gagnants, et on ne croit pas qu’il en résulte de profonds changements dans la politique latino-américaine. Toutefois si Capriles gagne au Venezuela, on assistera à une reconfiguration des relations des pays de la région entre eux et avec les Etats-Unis. La « diplomatie pétrolière » fondée sur le Petrocaribe qui a largement soutenu l’influence de Chavez pourrait subir de profondes modifications, car Capriles a annoncé que « plus une goutte du pétrole venezuelien sera donné en cadeau à aucun pays ». Des pays comme la République Dominicaine et Haïti souffriraient profondément de ces mesures du candidat de l’opposition. Le cas d’Haïti est particulier, car, Chavez fut parmi les premiers leaders de la région à reconnaître l’aide de Pétion pour l’indépendance des pays latino-américains et à assister le pays caribéen par des programmes de développement. De plus, des organismes comme l’ALBA et l’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR) pourraient s’affaiblir considérablement. Les relations du Venezuela avec des organismes internationaux comme l’ONU, le FMI et l’OEA pourraient subir de profonds changements. Il en résulterait la diminution de l’influence du Venezuela en Amériques Latine et son réalignement aux économies de marché. Et les Etats-Unis en sortiraient gagnants. Les changements pourraient être encore plus profonds si Romney remporte la victoire aux Etats-Unis.

Conclusion

Les élections présidentielles du Venezuela et des Etats-Unis revêtent une importance particulière pour l’Amériques Latine, en ce qu’elles pourront provoquer sa reconfiguration géopolitique. La victoire ou la défaite de Chavez, président du Venezuela depuis plus d’une décennie, et qualifié de « cause de maux de tête à l’échelle globale » pour les Etats-Unis, et de diviseur du sous-continent demeure la grande inconnue de l’équation des prochaines joutes. Suivant notre analyse, il est très probable que Chavez et Obama soient les vainqueurs des courses électorales au Venezuela et aux Etats-Unis, respectivement ; ce qui ne modifierait pas les rapports des pays latino-américains entre eux ni avec Washington. Toutefois, si Capriles gagne, on assistera à une reconfiguration géopolitique du sous-continent. Celle-ci pourrait être plus prononcée si Romney sort vainqueur des élections américaines, puisqu’il a une vision beaucoup plus militarisée des relations qu’Obama (Romney, 2010). La République Dominicaine et Haïti en pâtiraient, compte tenu de leur avantage dans Petrocaribe. Vu l’état fragile de la santé de Chavez, l’Amérique Latine en général, et la République Dominicaine et Haïti en particulier, doivent se mettre à penser l’après-Chavez.

Bibliographie

Celebrity Net Worth (2010). Barack Obama Net Worth, 13 octobre 2010. Mitt Romney Net Worth, 21 novembre 2010.

David Corn, D. (2012). "SECRET VIDEO : Romney Tells Millionaire Donors What He REALLY Thinks of Obama Voters. Mother Jones, 17 septembre.

El Observador (2012). CAPRILES : “SI ELLOS SON SOCIALISTAS, YO SOY MARXISTA-LENINISTA”. El Observador, 12 septembre 2012.

El Universal (2012a). "Los ni-ni sí saben pero no contestan". El Universal, 23 septembre. (2012a). Chavismo busca votos perdidos en 2007. El Universal, 23 septembre

Hakim, P. (2006). « Is Washington Losing Latin America ? ». Foreign Affairs vol. 85 N° 1, pp. 35-47.

Langue, F. (2006). Petróleo y revolución en las Américas : Las estrategias bolivarianas de Hugo Chávez. Revista Venezolana de ciencia política, Numero 29 / janvier-juin 2006, pp. 127-152

Romney, M. (2010). No Apology : The Case for American Greatness.

Shifter (2007). Informe Especial del Diálogo Interamericano (Mars).

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* M.A., M.Sc. - Économiste et politologue
Professeur et investigateur
desharolden@gmail.com