Par Marc-Arthur Fils- Aimé*
Soumis à AlterPresse le 26 septembre 2012
Le lundi premier octobre 2012, ce sera l’ouverture de l’année scolaire. En réalité, cette ouverture devait se faire depuis la première semaine de septembre. Le premier ministre Laurent Lamothe l’avait ajournée pour, dit-il, aider les parents ayant de faibles moyens et leur donner le temps de se renflouer. Pour répondre à leurs besoins, le chef du gouvernement a pensé utile de doper l’économie nationale en usant d’un stratagème très simple : créer des milliers de travaux à haute intensité de main-d’œuvre. Il a disposé dans cette logique d’un budget de quelque six- cents millions de gourdes. Qu’est-ce qu’un tel remue-ménage des forces travailleuses peut-il changer ? La condition de vie de la grande majorité de la population se dégrade en ville comme en milieu rural malgré toutes les mesures caritatives « ti manman cheri » et autres.
Les travaux à haute intensité de main-d’œuvre : création de nouvelles richesses ou propagande politique ?
En effet, à travers la capitale et dans beaucoup d’autres régions du pays, nous voyons des femmes et des hommes, balai en main, nettoyant les rues avec des T-shirts de propagande au profit de l’Exécutif. Sans même analyser en profondeur une telle méthode de ‘’création d’emplois provisoires’’, nous pouvons dire qu’elle a très peu modifié le tissu social miné par un chômage qui affecte plus de 70% de la population. Ce genre de service quoiqu’utile - faudrait-il d’ailleurs qu’il soit bien organisé- n’améliorera pas le produit intérieur brut du pays s’il n’est pas stimulé par la production agricole, halieutique, minière et industrielle créatrice de nouvelles et solides richesses. À lui seul, ce service des rues ne génèrera aucune plus-value. L’argent déversé sur le marché dans une telle condition ne fait qu’encourager l’inflation et l’importation de biens que le pays est capable de produire. Dans ce cas, nous perdons plus que nous gagnons puisque ce sont des fonds empruntés que nous devons rembourser tôt ou tard. Sauf si un gouvernement de caractère dénonce un jour l’illégitimité de ces dettes contractées au nom du peuple mais contre le peuple et refuse de les honorer sans un rapport d’audit. L’argent dans cette conjoncture précise retourne dans son coffre originel en deux temps : en un premier très rapidement pour payer, en dollars américains, les marchandises commandées et en un deuxième, comme une mort lente, pour s’acquitter de la dette, intérêts et capital compris.
Le passage de l’ouragan Isaac à la fin du mois d’août dernier a empiré la situation. Les prix des produits de première nécessité ont considérablement augmenté depuis quelques semaines. Ce dérèglement des prix sous la pression du néolibéralisme et de la mondialisation capitaliste a renforcé la pauvreté structurelle et systémique. L’accroissement de la pauvreté au niveau des masses populaires et de plus en plus la dégradation des conditions de vie de la petite- bourgeoisie ne s’arrêteront pas tant et aussi longtemps qu’une nouvelle vision révolutionnaire soit imprimée au pays. Aujourd’hui, Haïti a cédé sa place de pays le plus pauvre du continent américain pour se hisser à celle du plus pauvre à travers le monde, d’après une dernière publication du Wall Street Journal de ce mois de septembre.
D’autres éléments, parallèlement à la faiblesse économique, alimentent la frustration des gens. La perspective des prochaines élections pour le renouvellement du tiers du Sénat et de l’ensemble des Collectivités territoriales préalablement pipées par un Conseil électoral totalement au service du président de la république, constitue un autre noyau de mécontentement. Même si les grandes masses se sont montrées peu intéressées à ce jeu des marrons politiques, ce jeu n’alimente pas moins la déception qui s’amplifie et qui a l’air de contrarier le reste du mandat de Martelly. L’imbroglio de la formation du Conseil Electoral Provisoire ou Permanent persiste et tend à se muer en une impasse. La misère s’est jointe aux faux pas politiques de l’équipe dirigeante pour projeter au pays un avenir très difficile à décortiquer. On ne peut séparer l’aspect économique de l’aspect politique de la crise puisqu’ils se nourrissent l’un l’autre en dépit des efforts du gouvernement pour accoler aux manifestations de rues une étiquette exclusivement sociale.
Quand la volonté devient idéologie et programme politiques !
C’est sur ce fond de crise socio-économique et politique que le monde écolier va reprendre le chemin des classes alors que rien n’a changé chez la forte majorité des parents, que cette reprise fût en septembre ou soit en novembre-décembre prochain. C’est aussi sur ce fond d’épaisse misère que certains secteurs politiques de concert avec des organisations dont la plupart ne sont populaires que de nom ont réalisé en deux fois au Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays, des manifestations de rue entraînant des milliers de personne. C’est dans une ambiance anti- Martelly que les Cayes, le chef lieu du département du Sud et notre troisième ville, celle qui fut le principal bastion du candidat Martelly, ont obéi à une demi journée de grève très largement suivie. Port-au-Prince et Miragoâne ont aussi connu certaines poches de grogne durant cette dernière semaine.
De plus en plus de secteurs de diverses tendances reprochent au président Martelly de ne pas respecter ses promesses électorales. Entre-temps, de grands scandales de corruption au sein même de sa proche parenté éclaboussent son pouvoir. Il a juré lors de sa campagne électorale de rompre avec le passé, mais avec un passé qu’il a pris le soin de circonscrire autour des vingt-cinq dernières années. Il s’est adressé, sans nul doute, aux lavalassiens originaux et de deuxième ordre, car ce sont eux qui ont occupé le pouvoir pendant une grande partie de cette période en empruntant des noms différents.
Cependant, il a réussi une partie de son tour. Le bruit court ici et hors de nos murs que le président a de la bonne volonté. Il jouit encore de ce bénéfice du doute dans beaucoup de secteurs sociaux et politiques qui croient davantage dans la force du discours que dans celle de l’acte. Pourtant, on n’a pas besoin d’être marxiste pour réfuter une telle thèse. Sur quoi se base-t-on pour lui décerner cette bonne volonté ? A-t-il déjà présenté un plan, un programme qu’il aimerait réaliser, mais que des forces opposées l’en ont empêché ? Tous les gouvernements au monde prétendent toujours avoir la volonté de servir leur peuple même si la pratique du terrain démontre le contraire. La différence est que cette volonté est devenue avec ‘’le pouvoir rose’’ une idéologie et un programme politiques. Et le Verbe s’est fait chair, on peut bien s’en sustenter.
Il est vrai que les maux qui rongent la charpente socio- économique du pays sont systémiques et vieux de plus de deux siècles. Est-ce une raison pour ne jamais s’y attaquer ? Tous les politiciens haïtiens, arrivés au pouvoir, ont toujours évoqué ce prétexte pour s’aligner sur la tradition. Ils sont toujours très prolixes en promesses et très sobres en la concrétisation de ces promesses. Les classes travailleuses attendent une nouvelle génération de dirigeantes et de dirigeants pour s’en débarrasser . Cette génération ne sera pas caractérisée ni déterminée par l’âge de ses membres. Elle sera de préférence mue par une vision de lutte clairement formulée contre ce système éculé mais résilient qui s’essouffle partout dans le monde et qui a fait son temps. Il revient aux forces nouvelles d’offrir leur participation active pour le transformer. Nous ne cesserons jamais de revendiquer la construction du camp du peuple - KanPèp la - pour y arriver. Cependant, Il ne suffit pas seulement de le réclamer, il faut mettre la main à la pâte comme Eugène Pottier le propose dans les deux derniers vers de l’Internationale :
« Soufflons nous-mêmes notre forge
Battons le fer quand il est chaud ! »
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* Directeur de l’Institut Culturel Karl Lévêque