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USA : Le chemin de croix de Mitt Romney avant les conventions

Par Frantz-Antoine Leconte (Ph.D)

Soumis à AlterPresse le 8 septembre 2012

Secret de Polichinelle : Mitt.Romney a fait choix de Paul Ryan comme colistier et candidat à la vice-présidence. Le ticket républicain s’est mis en branle bon gré, mal gré.

Il faudrait, sans doute, expliquer la date du communiqué, le choix de cette personnalité et leurs répercussions, réunir tous ces éléments et éclairer leur connexité dans le contexte politique. D’une façon rationnelle.

Le gouverneur Romney a été coincé, dès le début de la campagne, par des clips démocrates impitoyables qui le présentaient comme un millionnaire, qui a fait fortune sur le dos des autres et qui est passé champion dans le domaine de la délocalisation.

Ses hésitations, ses palinodies, sa maladresse et son arrogance ont aidé à compléter une image d’insouciance irréductible envers la collectivité et surtout impardonnable en politique.

Pourquoi a-t-il annoncé le ticket et sorti le communiqué avant la fin des jeux olympiques ?

C’est que la campagne s’était essoufflée et avait perdu un peu de vitesse.

Si Romney avait commis pas mal de gaffes et d’impairs aux USA et même dans ses tournées au Royaume-Uni, en Israël et en Pologne, dans l’autre camp a pourtant émergé une stratégie assez efficace et payante.

C’est vrai que la reprise de l’économie s’était ralentie. Mais, l’administration démocrate pouvait facilement contrecarrer cette critique en opposant les millions d’emplois qui ont été créés au cours des années d’Obama, les industries qu’il a sauvées de la faillite et l’aide qu’il a apportée dans le domaine de l’hypothèque aux propriétaires de maisons.

De plus, le président a promu des législations favorables aux femmes, aux étudiants, aux minoritaires, aux gays, aux vétérans, aux retraités et aux immigrants hispaniques.

Comme par hasard, ou surdité ou aveuglement politique, le camp républicain s’est enfoncé plus profondément dans des propositions conservatrices, une politique de droitisation extrême que la majorité de l’électorat répudie de manière traditionnelle.

Romney ne pouvait plus attendre donc ! Qui viendrait à la rescousse ? le représentant Paul Ryan, sans doute. Peut-il faire véritablement ce miracle providentiel, indispensable à toute victoire républicaine aux urnes ?

Qui est-il, ce Paul Ryan ?

C’est un jeune loup de 42 ans de la Chambre des représentants, catholique et adulé par le Tea Party. Conservateur extrême, connu comme le tronçonneur de budgets par excellence.

S’il le pouvait, il abolirait toute subvention d’ordre social, toute aide aux retraités, à l’agriculture, à l’assurance santé et aux personnes âgées. Il voudrait appliquer, à l’échelle de l’état fédéral, l’inhumaine philosophie de la romancière Ayn Rand (1905-1982), qui conçoit l’égoïsme comme la plus grande vertu, la générosité et l’altruisme comme le mal absolu, tout en condamnant la promotion de la compassion du christianisme vis-à-vis des pauvres.

Pour elle, le mouvement féministe devient drôle ou stupide et les Arabes ne sont que de sauvages primitifs [1].

Ryan recommande, dans ses budgets, une sempiternelle augmentation d’impôts pour les classes moyennes et défavorisées, et de généreuses exemptions fiscales pour les plus riches.

Alors que les plus grandes compagnies de pétrole recevraient 40 milliards de subvention, un million d’étudiants nécessiteux perdraient la leur de l’État, ainsi que 4 millions d’individus, leurs emplois en deux ans.

Medicare (l’assurance publique des retraités) serait remplacée par un programme à coupons où l’État exigerait aux citoyens une couverture de santé privée.

Le « génial » candidat à la vice-présidence voudrait des mesures radicales anti-avortement, qui accorderaient à l’œuf ou à l’embryon la valeur d’une personne vivante. Inutile de dire que l’avortement serait criminalisé donc, pénalisé et mis hors la loi ainsi que toutes les autres formes de contraception et d’insémination artificielle .

Résultat : l’Amérique renforcerait sa surpopulation carcérale, à la suite de cette nouvelle chasse aux sorcières tout-à-fait moderne.

Le choix de Romney peut être analysé à partir de plusieurs perspectives.

D’abord, il peut apporter « un coup de jeune », une revivification ou reviviscence à une campagne en état d’hibernation, dont la seule vertu n’était que d’encaisser des coups les plus durs sans stratégie de réplique efficace.

Le jeune Ryan, l’égérie des conservateurs républicains, semble vouloir suppléer ou plutôt combler des lacunes fondamentales : l’audace et la conviction idéologiques, trop timidement esquissées par Romney, pour détruire, non pas la pratique politique, mais le concept de l’État-Providence.

Nouvelle ère, nouvelle mesure

Les leaders peuvent, en l’an de grâce 2012, s’offrir le luxe de vouloir éliminer Medicaid, l’assurance-maladie des plus pauvres et Medicare, l’assurance publique des retraités, ou, à défaut, transformer ce programme en un système de coupons - aidant cette population de seniors à acquérir des assurances privées - sans payer le prix politique.

Quand on est pauvre aujourd’hui, on n’a qu’à se le reprocher et en porter toute la responsabilité.

L’État, qui s’est construit une dure carapace, n’a désormais rien à voir avec ses constituants démunis. Engagé dans cette nouvelle offensive idéologique d’hyper insensibilité, il peut s’en laver les mains et encore garder bonne conscience.

Est-ce qu’on évolue vers une société ou une collectivité inconsciente, insensible et amorale ? Est-ce l’aboutissement idéologique des années de Georges Bush fils, philosophe du capitalisme généreux, ce nouveau concept « humaniste » républicain ?

Le soutien des conservateurs purs et durs importe peu, et surtout qu’ils n’ont jamais été très convaincus du niveau de conservatisme de Romney.

Faute de mieux ou par défaut, ils ont dû, contre mauvaise fortune, faire bon cœur et se rallier, malgré leur doute persistant, à la majorité. On fait semblant d’oublier aujourd’hui, dans l’euphorie des retrouvailles et des célébrations préparant la convention républicaine du 30 août 2012, les critiques acerbes du fougueux Ryan contre la couverture de santé de Romney - le numéro 1 du ticket- au Massachusetts en 2010 et sa passion - étant fervent catholique - plus que paradoxale pour Ayn Rand, symbole de l’athéisme. [2].

Selon les républicains, tout est bien dans le meilleur des mondes.

Cependant, le chemin de croix de Romney pourrait se perpétuer.

Du 30 août, date de la convention républicaine au 6 novembre 2012, jour des élections générales aux USA, on pourrait se réveiller et se rendre compte d’un fait majeur et capital que Paul Ryan, malgré son tonique et sa pugnacité, n’a fait évoluer la dynamique électorale que vers un insupportable extrémisme impudique des républicains.

Aubaine inouïe ou cadeau inestimable aux démocrates, qui leur aurait permis de porter le débat sur les inégalités sociales et un minimum de protection sociale, plutôt que sur l’économie, le talon d’Achille de l’administration d’Obama.

On aurait passé ces dernières importantes semaines ainsi, non seulement à éviter tout débat essentiel sur le chômage et la très lente reprise de l’économie, mais aussi aidé Obama à gagner la course à la maison blanche une seconde et dernière fois.

On aurait, sans doute, appris aussi que les élections en Amérique, malgré le triomphalisme de l’extrême droite et les remous qu’elle suscite, se gagnent au centre. Traditionnellement.


[1.“12 Things You Should Know About Vice Presidential Candidate Paul Ryan”.http://thinkprogress.org/politics/2012/08/11/67717/12

[2Ayn Rand,(1905-1982), romancière athée, s’est révélé une véritable championne de l’individualisme dans l’histoire des idées aux Etats-Unis. Elle a publié plusieurs ouvrages, dont les romans à succès The Fountainhead (1943) et Atlas Shrugged (1957)