Par Solidarite Fwontalye
Soumis à AlterPresse le 22 août 2012
Les deux pays, la république d’Haïti et la République Dominicaine, forment une île, dont la ligne frontalière s’étend sur 360 kilomètres.
Au long de cette ligne frontalière, se situent 4 points officiels d’échanges commerciaux et de transit d’un pays à l’autre (Ouanaminthe/Dajabon, Malpasse/Jimani, Belladère/Comendador, Anse-à-Pitres/Pedernales) et beaucoup de points non officiels, tels Méac-Manzanillo, Ferrier-Sanchez, Capotille-Capotillo dans la zone Nord.
La frontière haïtiano-dominicaine constitue également une zone, où est enregistré un grand flux migratoire d’Haïtiennes et d’Haïtiens vers le pays voisin.
Seulement pour la frontière Nord, Solidarite Fwontalye/SJRM a constaté une augmentation considérable de ce flux au cours de l’année 2012 en comparaison avec 2011.
42,623 personnes ont déjà émigré vers le pays voisin sur la frontière Nord, de janvier 2012 à juillet 2012, contre 49,173 personnes vers la République Dominicaine en 2011, suivant les observations de l’institution jésuite.
Face à cette augmentation de la migration haïtienne, la République Dominicaine a récemment pris des mesures, les unes plus drastiques que les autres, pour arrêter ce flux migratoire.
Au cas où ces décisions formelles ne donneraient pas les résultats escomptés, ne faudrait-il pas craindre d’autres mesures informelles et radicales ?
La République Dominicaine est un pays souverain qui peut prendre les mesures qu’elle juge nécessaires pour protéger ses frontières, son peuple, son économie, etc.
Toutefois, en vertu des protocoles d’accord et des efforts déployés conjointement avec le gouvernement haïtien pour améliorer les rapports entre les deux peuples, certaines décisions - prises par les autorités du pays voisin - devraient faire l’objet d’un dialogue bilatéral et d’un consensus.
Que l’on veuille ou non, les deux pays sont interdépendants.
Prenons l’exemple des marchés transfrontaliers binationaux, où vont des milliers d’Haïtiennes et d’Haïtiens (surtout pour acheter) et auxquels participent les Dominicains pour écouler leurs produits. Haïti est le deuxième partenaire commercial de la République Dominicaine, après les États-Unis d’Amérique.
Au cours des six derniers mois (de 2012), la République Dominicaine a pris deux décisions remarquables.
La première, en date du 15 mars 2012, pour fixer le nombre de jours qu’une citoyenne haïtienne ou qu’un citoyen haïtien est autorisé à rester sur son territoire. Passé le délai de 30 jours à 3 mois, une amende de 800 pesos est exigée.
Si la visiteuse haïtienne ou le visiteur haïtien outrepasse ce délai pour une période de 3 mois à 6 mois, il sera pénalisé de 1,000 pesos d’amende.
Cette loi, déjà en vigueur, ne tient pas compte de la situation des étudiantes et étudiants haïtiens et d’autres catégories de visiteuses et visiteurs haïtiens.
Ce qui revient à dire qu’une étudiant / qu’un étudiant devrait voyager tous les mois. Sinon elle ou il sera passible d’amendes à payer, en fonction de la quantité de jours passés chez les voisins.
La deuxième décision consiste à exiger des demandeurs de visa dominicain, de nationalité haïtienne, de remplir un formulaire qui coûte deux cents dollars américains [Ndlr : US $ 1.00 = 43.00 gourdes ; 1 euro = 58.00 gourdes aujourd’hui] et de présenter au consulat dominicain un ensemble de pièces, qu’une Haïtienne ou qu’un Haïtien modeste serait en difficulté de trouver (compte bancaire, contrat de travail, etc.).
Que faut-il conclure de ces décisions ?
Notre premier constat est que notre voisin se sent envahi par la présence haïtienne. De plein droit, il veut réguler la migration haïtienne. En même temps, il cherche à tirer le maximum de profit de cette migration, car vous pouvez imaginer des sommes considérables que gagne la République Dominicaine avec ces deux nouvelles sources de recettes : l’émission des visas et les amendes.
Une deuxième considération : ces décisions, malheureusement, vont augmenter les voyages illégaux et clandestins.
Pour vérifier les informations sur les pièces requises par l’État dominicain, nous nous sommes récemment rendus au consulat dominicain à Ouanaminthe.
Nous avons été témoins d’une situation, où une dame - qui a l’habitude de voyager en terre voisine - a été surprise de s’informer de cette nouvelle modalité de demande de visa. N’ayant pas les pièces exigées, elle nous a confié qu’elle partira le lendemain avec l’aide d’un « passeur » (trafiquant illégal, haïtien ou dominicain, qui facilite le voyage clandestin vers la République Dominicaine).
Il est évident que les autorités dominicaines s’attendent à une augmentation des voyages illégaux, en raison de ces récentes mesures.
Les Haïtiennes et Haïtiens vont continuer à traverser la frontière avec l’aide de passeurs, opérant de connivence avec des militaires dominicains et bien d’autres personnes, qui tirent de grands profits de cette activité.
Les passeurs sont devenus, de jour en jour, plus agressifs et violents contre toutes celles et contre tous ceux qui les observent. En ce sens, l’un de nos promoteurs a été agressé le 19 juin 2012.
Les « passeurs » font aussi des victimes : le samedi 30 juin 2012, l’un d’entre eux, Salvador Helena, a tué Tonisa Aneli, après l’avoir violée, et a grièvement blessé la compagne de la victime, Nadège Harisson (Cf. Dajabonenlinea.com, le 5 juillet 2012).
Ces deux décisions, prises en moins de trois mois, n’ont pas encore donné les résultats escomptés, car les gens n’ayant pas les documents requis ont recours à un « passeur ».
Alors, la République Dominicaine pourrait se voir obligée de durcir les mesures migratoires, formelles et informelles, pour arrêter le flux migratoire haïtien.
En ce sens, deux faits justifient notre inquiétude.
À Dajabon, il y a beaucoup d’enfants haïtiens dans les rues. La migration dominicaine projetait de les remettre à l’État Haïtien. Ils ont beau attaquer le problème ; on a fini par remettre quelques-uns d’entre eux à Consejo nacional para la niñez y la adolescencia (Conani, entité de l’État Dominicain qui s’occupe des enfants) et ensuite à un orphelinat à Capotille.
Ce projet, dans l’ensemble, n’a pas réussi, car les enfants ont abandonné cet endroit.
Il y aurait une diminution du nombre d’enfants de rue haïtiens à Dajabon, selon un colonel de cuerpo especializado de seguridad fronteriza (Cesfront, corps de sécurité frontalier du coté dominicain), dont les déclarations ont été rapportées au cours d’une rencontre de synergie, le 21 juin 2012, entre un regroupement de certaines organisations non gouvernementales / Ong, des entités de l’État haïtien qui se réunissent le troisième jeudi de chaque mois, pour partager des informations et discuter ensemble sur la problématique de la frontière et du département du Nord-Est
Que s’est-il passé avec ces enfants ?
D’autre part, dans le lieu où Tonisa Aneli a été assassinée, un membre du réseau frontalier Jeannot Succès (Rfjs), a vu des ossements desséchés sur le même lieu. Ce qui nous fait croire que d’autres personnes ont été déjà assassinées et enterrées dans cette zone.
Les récentes décisions prises par la République Dominicaine en 3 mois, du 15 mars au 03 juin 2012, laissent présager que le pire est à craindre.
Loin de nous convertir en prophètes de malheur, nous lançons un urgent appel à la vigilance et à la concertation, des deux côtés de la frontière, pour éviter le pire.
Stanley Charles, SJ
Coordonnateur du secteur de migration et droits humains
Solidarite Fwontalye