Document transmis à AlterPresse le 11 septembre 2012
Port-au-Prince, 7 septembre 2012
Monsieur Godson AURELUS
(…)
Monsieur le Directeur Général,
Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) salue votre accession à la Direction Générale de la Police Nationale d’Haïti (PNH) et s’empresse d’attirer votre attention sur un ensemble de faits qui, s’ils ne sont pas adressés avec la plus grande célérité par des réponses adéquates, risquent de compromettre l’existence de la PNH voire, le fondement même de la nation haïtienne.
Monsieur le Directeur Général,
Depuis quelque temps, des filatures suivies d’échange de tirs d’armes automatiques soldées de mort d’hommes se déroulent dans les rues de la Capitale. Des portes de maison sont enfoncées, des enfants ainsi que des adultes sont enlevés, des femmes et des jeunes filles sont violées. A date, la PNH n’a pas su montrer sa volonté réelle d’assurer la sécurité de la population haïtienne et conséquemment, la confiance de celle-ci en la seule force de police s’effrite chaque jour.
Il vous faut donc prendre rapidement les mesures qui s’imposent en vue de protéger les vies et les biens des membres de la population haïtienne.
Monsieur le Directeur Général,
La politisation et la vassalisation de l’institution policière reste et demeure une grande tentation et les encouragements en ce sens, de la part des autorités politiques sont aussi très pressants. C’est donc à vous qu’il reviendra de veiller à ce que la gestion du personnel de la PNH se fasse dans le respect des lois et règlements régissant l’institution policière. En ce sens, il vous faudra éviter, d’octroyer des grades par copinage, par accointances politiques ou pour d’autres motifs.
Les grades doivent être attribués aux agents de la PNH sur la base de leur compétence liée à leur ancienneté. Dans le cas contraire, opter pour le copinage, les accointances politiques ou des faveurs inavouables, risque d’affecter dangereusement la discipline au sein du corps et de fragiliser l’institution policière tout en diminuant son rendement.
La PNH doit donc impérativement imposer des règles de conduite claires et transparentes dans l’octroi des promotions, l’affectation à des postes de responsabilité et la gestion de ses biens et de son personnel.
En ce sens, le RNDDH tient à vous signaler que plusieurs agents de la PNH ont un comportement exemplaire. Ils travaillent assidument au sein de l’institution policière depuis plusieurs années, voire, depuis sa création. Pourtant, ils n’ont jamais bénéficié d’une promotion et portent encore leur grade de sortie de promotion. Si certains d’entre eux ont décidé, comme marque de mécontentement, de ne pas porter leur insigne, d’autres subissent cet affront sans ce sentiment de fierté qui les animait au moment où ils avaient décidé d’intégrer l’institution policière.
Parallèlement, le RNDDH note que quarante-quatre (44) Commissaires de Police au moins, n’ont pas de poste. Ils sont disposés à travailler pourtant ils ne sont affectés nulle part alors que plusieurs commissariats sont dirigés par des Inspecteurs de Police, en violation des articles 47 et 50 de la Loi portant création, organisation et fonctionnement de la Police Nationale, parue dans le Moniteur # 103 du mercredi 28 décembre 1994, qui disposent respectivement :
« Il y a dans chaque chef-lieu d’Arrondissement, un Commissariat d’Arrondissement placé sous l’autorité d’un cadre de Police ayant le grade de Commissaire Principal … »
« Il y a dans chaque Commune un Commissariat de Police relevant du Commissariat d’Arrondissement. Le Commissariat de Commune est placé sous les ordres d’un Commissaire de Police ou d’un Inspecteur Divisionnaire selon l’importance de la Commune. Il porte le titre de Commissaire Municipal. »
Monsieur le Directeur Général,
La PNH se doit d’être une institution crédible et les agents de la PNH ont l’obligation d’être d’une grande moralité. En ce sens, il vous faudra aussi éviter d’’intégrer au sein de l’institution policière, d’anciens policiers et des civils à la moralité douteuse.
En intégrant dans les services de sécurité du Président de la République, d’anciens policiers ainsi que d’anciens militaires, connus pour leur immoralité et leur implication dans des actes répréhensibles, le pouvoir politique actuel a déjà donné la preuve de son manque de respect des règles déontologiques devant caractériser la gestion de l’institution policière. C’est aujourd’hui à vous qu’il revient de régulariser cette situation.
A ce titre, le RNDDH rappelle à votre attention que la sécurité du Palais National et de la Primature doit être assurée par des corps spécialisés de la PNH. De plus, toute réintégration au sein de la PNH doit être faite dans le respect des dispositions de l’article 17 du Manuel du Personnel de la Police Nationale d’Haïti, adopté le 6 février 1996, qui stipule :
« La demande de réintégration dans la Police Nationale ne confère pas de droit à son auteur. Statutairement, elle s’analyse comme une nouvelle candidature à l’engagement.
Pour demander sa réintégration, le policier qui a été rayé des contrôles de la Police Nationale après résiliation d’un contrat antérieur ou démission du corps des policiers de carrière doit réunir les conditions suivantes :
Etre âgé de moins de 36 ans le jour de la signature du nouvel acte d’engagement ;
Ne pas avoir eu une interruption de service supérieure à cinq (5) ans ;
Avoir obtenu le certificat de bonne conduite à l’issue des services qu’il a effectués dans la Police Nationale. »
La PNH étant aujourd’hui la seule institution armée nationale, il est donc impensable que la sécurité du Palais National et de la Primature soit confiée à des civils et à des individus douteux, échappant totalement à son autorité hiérarchique. Or, aujourd’hui, au sein de la sécurité présidentielle, la présence de Carietane NADY de Pierre Léon Junior SAINT REMY alias Shunny, de Jacky NAU et de Pierrot DUPLAN, scandalise la société en général et le RNDDH en particulier. Il en est de même pour Carl LAPLANTE qui est responsable de la sécurité à la Primature.
Voici le rappel des faits reprochés à au moins deux (2) de ces individus :
Le 10 novembre 2000, Carientane NADY est condamné à perpétuité par le Tribunal Criminel des Gonaïves siégeant avec assistance de jury pour actes de torture et de criminalité dans le cadre du Massacre de Raboteau perpétré les 18 et 22 avril 1994. A la faveur des évasions en série de 2004, il s’est évadé de prison. Il a, par ailleurs, exercé un pourvoi en Cassation contre le jugement du 10 novembre 2000. La Cour de Cassation, en date du 3 mai 2005, a rendu un arrêt selon lequel il casse sans renvoi le jugement attaqué.
Pour sa part, l’ancien Commissaire de police Jacky NAU est, selon un rapport de l’Inspection Générale, décrié en raison de son implication dans le trafic illicite de stupéfiants. Il a entre autres, participé à l’atterrissage, le 10 septembre 1999, dans la zone de Savanne Carrée, une localité située entre Fort-Liberté et Ouanaminthe, département du Nord-est, d’un avion en provenance de la Colombie et ayant à son bord, une cargaison de quatre cent cinquante (450) kilogrammes de cocaïne.
Monsieur le Directeur Général,
Le contrôle des Unités de Sécurité du Palais présidentiel et de la Primature par ces civils armés va à l’encontre des dispositions de l’article 1er de la Loi du 29 décembre 1994 portant prohibition de la formation des groupes et fronts armés, qui stipule :
« Le financement, l’organisation et le maintien de quelque manière que ce soit de corps armés en dehors de ceux établis par la Constitution et la Loi sont prohibés ».
Le pays attend donc des mesures spécifiques sur la gestion des unités de sécurité du Palais National et de la Primature.
Monsieur le Directeur Général,
Depuis 2004, l’Inspection Générale de la PNH, appelée à jouer le rôle de police de la Police, est en crise. D’une part, elle n’est pas complètement constituée. En ce sens, le RNDDH souligne à votre plus haute attention, que l’article 39 de la Loi portant création, organisation et fonctionnement de la Police Nationale, dispose que :
« L’Inspection Générale regroupe six (6) Inspecteurs Généraux de la Police Nationale, placés sous la responsabilité d’un Inspecteur Général en Chef. »…
D’autre part, si dans certains dossiers ayant défrayé la chronique, l’Inspection Générale a réalisé des enquêtes ayant débouché sur des sanctions administratives à l’encontre de certains policiers et le transfert de leur dossier à l’appareil judiciaire pour les suites légales, il n’en reste pas moins que les résultats attendus de cette instance sont largement insatisfaisants. En effet, plusieurs plaintes sont en souffrance au sein de l’Inspection Générale. Des dispositions provisoires ont été prises à l’encontre des policiers incriminés, comme leur placement en isolement, lors même que leur dossier semble avoir été classé dans les tiroirs. Ils se retrouvent donc à mi-chemin entre l’institution policière et l’appareil judiciaire. Cette situation leur porte autant de préjudices qu’aux plaignants eux-mêmes.
Monsieur le Directeur Général,
Les policiers travaillent à plein rendement sur la base d’un horaire modifié au gré des responsables de postes de police. Tantôt, ils sont sur leur lieu de travail pour toute une (1) semaine sans possibilité de rentrer chez eux, tantôt, ils travaillent quarante-huit (48) heures de temps avant de pouvoir prendre une pause. Lorsque l’on se rappelle que les commissariats et sous-commissariats ne sont pas équipés de dortoirs, que les toilettes sont sales et rebutantes, que les bâtiments sont incroyablement exigus, que nombre d’entre ces bâtiments ne sont pas alimentés en eau courante et qu’ils sont soumis aux caprices de la Compagnie Electricité d’Haïti (ED’H) sans alternative, on comprend bien que les conditions de travail des agents de la PNH sont extrêmement difficiles.
De plus, ces agents sont, tout au cours de leur travail, exposés à des risques, corollaires du métier. Ils méritent donc un salaire respectable, leur permettant de prendre soin d’eux-mêmes et des membres de leur famille dans la dignité et doivent être couverts par une assurance vie et santé qui prend en compte tous leurs besoins.
Monsieur le Directeur Général,
Des individus dangereux pour la plupart, sont arrêtés et libérés au niveau des commissariats contre le versement de sommes d’argent. Il s’agit là d’une pratique grave qu’il faut vite stopper car, elle enlève aux lois de la République en matière de délinquance, leur rôle primordial de dissuasion. Les commissariats de police n’étant pas des juridictions de jugement, ils ne peuvent en aucune façon s’y substituer.
Parallèlement, au niveau de certains points fixes, nombre de policiers s’adonnent à des actes de mendicité auprès des conducteurs. Ces procédés avilissants pour l’institution policière sont aussi dangereux pour la sécurité publique dans la mesure où ces policiers baissent souvent la garde et en oublient de s’acquitter de leurs tâches.
De plus, dans plusieurs commissariats et sous-commissariats du pays, situés notamment dans les zones reculées, des agents s’adonnent aux jeux de hasard, projetant une mauvaise image de l’institution. Cette pratique doit être prohibée car, comme la mendicité, elle porte les agents à baisser leur garde.
De ce qui précède, il est clair que la protection du Moral et de la Discipline au niveau de la PNH est aujourd’hui un impératif. Conséquemment, le travail de contrôle et d’enquête de l’Inspection Générale ainsi que le processus d’épuration de la PNH doivent impérieusement continuer et s’intensifier car, c’est à ce prix que l’institution policière arrivera à gagner la confiance de la population et à améliorer ses rapports avec elle.
Monsieur le Directeur Général,
La population haïtienne en général et le RNDDH en particulier, comptent sur vous pour adresser en toute urgence, l’ensemble des problèmes ci dessus énumérés.
Tout en espérant que vous saurez vous élever à la dimension de votre tâche, le RNDDH vous prie de recevoir, Monsieur le Directeur Général, l’expression de sa haute considération.
Cc :
Aux Membres du Conseil Supérieur de la Police Nationale
Pierre ESPERANCE
Directeur Exécutif