Par Jérémie Postel et Edner Fils Décime
P-au-P, 29 août 2012 [AlterPresse] --- Les étudiantes, étudiants et professeurs du cercle d’études en littérature gramscienne (Celg, Sèk Gramsci en créole), ont donné, à Port-au-Prince, la troisième représentation de leur pièce de théâtre « Pa bliye Bwa Kayiman », le mercredi 22 août 2012, a observe l’agence en ligne AlterPresse.
Dans un présent confus et face à un avenir incertain, le poids du passé sur les vivants tend à s’évaporer.
Mais, pour la troupe Sèk Gramsci, évoquer « le passé de l’histoire » n’est pas un luxe. C’est une nécessité et un devoir. Les blessures et la flamme d’un peuple se révèlent à la lumière de la trame historique.
« Nous n’oublions pas Bois Caïman ».
« Il ne faut pas détacher le présent du passé et de l’avenir. A Sèk Gramsci, nous tenons compte de la tridimensionnalité de l’histoire » soutient Joseph Sony Jean, acteur et l’un des metteurs en scène de la pièce.
Situation initiale
1697, traité de Ryswick. Le tiers occidental de l’île de Saint Domingue devient français. Près de 10,000 habitants, essentiellement européens, habitent ce trésor de verdure.
Un siècle plus tard, à la veille des premiers temps de la révolte, la population a été multipliée par 55. Nulle part ailleurs, on ne peuplera aussi rapidement un territoire.
Le tableau d’une île, devenue le plus grand camp de concentration des temps modernes : 6% de maîtres, 5% de mulâtres et de noirs libres, 89% d’esclaves, créoles et bossales.
Une « Perle des Antilles », qui alimente le tiers du commerce extérieur français.
Où l’espérance de vie de l’africain, kidnappé et débarqué sur l’île, n’a cessé de décroitre au cours du siècle. Où l’on comprend bien vite que le destin de cet être est emmuré de mépris et de sadisme : le labeur, puis la mort.
Le metteur en scène, Jean, le comprend très bien quand il explique « Haïti n’a pas été la perle des Antilles pour nos ancêtres kidnappés en Afrique et réduits en esclavage. Elle a toujours été l’enfer des Antilles pour eux. Dire Perle des Antilles est un discours empreint de colonialité ».
Un travail de mémoire
C’est dans ce contexte que s’ouvre la pièce. Un convoi d’esclaves, encordés, monte sur scène, chaloupé par un rythme lancinant.
Sur fond d’ascension, de pouvoir, et d’assassinat de Jean-Jacques Dessalines (le fondateur de l’indépendance d’Haïti), les étudiantes et étudiants retracent l’escalade, par de véritables tableaux mouvants : le serment fait à Bois Caïman, la détermination sans faille dans la révolution, l’indépendance, ses joies, ses doutes, ses plaies.
On sent bien que le travail est de mémoire, pas de recherche ou de rigueur.
Le public est appelé à dialoguer avec le passé. On mêle la légende à l’histoire, les cris de haine aux revendications politiques.
L’objectif : que l’histoire serve de piédestal sur l’autel de la fierté d’un peuple.
« Ne pas oublier qui nous sommes ».
Car, les acteurs n’y vont pas avec le dos de la cuillère : rendre hommage aux forces du pays, condamner, avec vigueur, l’attentisme et la lamentation.
D’autres représentations sont prévues, notamment au mois de septembre 2012 à Fonds Verrettes, et le 17 octobre 2012 à Marchand=Dessalines, à l’occasion du 206e anniversaire de l’assassinat de l’empereur.
« Le congrès politique du Boïs-Caïman, dans la nuit 13 au 14 août 1791, a posé la base du projet de libre individualité (Libète Byennèt) prôné par Jean-Jacques Dessalines. Le discours de Boukman a annoncé une société, construite autour d’une individualité solidaire, une collectivité libre et une religiosité consciente », argumente Joseph Sony Jean.
« Pa bliye Bwa Kayiman », pour ne pas oublier qu’Haïti s’est battue et qu’elle se battra encore. [jp efd kft rc apr 29/08/2012 15 50]