Extraits d’un appel à mobilisation et solidarité
Soumis à AlterPresse le 6 avril 04 par l’organisation Batay Ouvriye (Lutte Ouvrière)
La situation à la première zone franche d’Haïti a atteint un point dramatique. Après plus d’un mois d’ajournement d’une justice pourtant due, le syndicat du Grupo M à Ouanaminthe a encore été renvoyé pour deux semaines, recevant, à la place d’une lettre de réintégration, une simple invitation à discuter d’affaires les « intéressant ». Il s’agit, rappelons-le, d’un précédent - les zones franches de Drouillard et Laffiteau étant déjà en chantier. En ce sens, le nouveau gouvernement haïtien porte la responsabilité nationale du dénouement qui y aura lieu. Après la révocation de l’ensemble du syndicat (qui, aux prix de vaillants efforts, avait trouvé moyen de s’y implanter en février de cette année) le 1er mars, nos rencontres avec la direction du Grupo M confirmaient le caractère délibéré et entériné de cette mesure. En dépit de plus de deux mille lettres de solidarité adressées tant au Grupo M qu’à son principal client, la firme Levi-Strauss, et à la Corporation Financière Internationale de la Banque Mondiale (CFI), l’entreprise continue à s’accrocher à cette violente mesure caractérisée, despotique et illégale.
A partir de l’annonce de la mise sur pied du syndicat et de celle de son démantèlement qui la suivait de très près (les 10 février et 3 mars, respectivement), plusieurs groupes se sont impliqués à fond dans la situation. Il s’agit d’un côté, de la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir (FITTHC), proche de l’organisation « UNITE » (travailleurs de l’aiguille, USA) nord-américaine, qui, elle-même, contactait le Workers’ Right Consortium (WRC) de Washington et l’ACILS (American Center for International Labor Solidarity) de l’AFL-CIO. A elles deux, ces organisations ont maintenu un rapport serré avec la compagnie Levi-Strauss, tentant d’exiger de celle-ci le respect des termes de son propre Code de Conduite social. Ce choix s’expliquait d’autant plus que le Grupo M lui-même est notoire pour son irrespect du droit syndical en République Dominicaine (où il est le plus grand employeur avec un effectif de 12,000 ouvriers dans ses usines) et que la CFI s’était déjà ouvertement déclaré être l’ « associé » du Grupo. Tant la WRC que l’ACILS avaient participé à la campagne pour l’établissement de la première convention collective de travail en zone franche dominicaine, celle de la BJ&B, nouant à cette occasion des relations avec la centrale syndicale Fedotrazona, elle-même en lutte avec le Grupo M à ce même sujet.
Les violations du Grupo M en territoire voisin sont à faire glacer le sang. Les témoignages de Zacarias Gonzales et Genaro Rodriguez, ouvriers du Grupo M à Santiago, République Dominicaine, recueillis par la Confédération Indépendante de Syndicats Libres (CISL) sont éloquents.
« Un jour ils ont appelé Francisco (Alvarez), le secrétaire général de notre comité, au bureau. Quand il est revenu à son travail, deux hommes l’ont attaqué avec une chaise et un marteau. Ils l’ont tellement battu qu’il a dû être emporté sur un brancard. Après avoir été acheminé au dispensaire, il a ensuite été emprisonné, avec les deux hommes. Le lendemain, les trois étaient libérés. Mais, le jour suivant à neuf heures du matin, alors que je travaillais à ma machine, j’ai vu les mêmes deux hommes qui venaient vers moi. Ils étaient armés d’une machette et d’un tuyau galvanisé, et affirmaient venir après moi maintenant parce que j’étais le numéro deux du syndicat. Je me suis échappé en sautant plus de trois machines et courant jusqu’au le bureau du personnel au deuxième étage. Imaginez. Ce n’est pas facile de s’enfuir d’une usine fermée. Je pensais que je serais en sécurité dans le bureau ; mais ils ont appelé Ali Corona, le sous-chef de sécurité. Il a frappé à la porte mais je n’ouvrais pas de peur que ce soit encore les types. Mais j’ai ensuite entrouvert et cet homme massif est entré avec fracas. Il avait un pistolet .45. Il m’a soulevé et frappé sur le cou avec le pistolet. Et alors il m’a passé les menottes.
La compagnie paie pour ce type d’agissement, la destruction de syndicats. Il y a un groupe de 20 personnes dans la zone franche qui est payé pour prévenir la formation de tout syndicat. Chaque fois qu’ils essaient de former un syndicat, ils vont contracter ces types et les lâchent à l’intérieur de l’usine pour commencer des bagarres avec les principaux chefs du comité afin qu’ils perdrent leurs droits. Ils font cela dès que l’on essaie de former un syndicat ». (Rapport CISL divulgué par Charles Arthur, du Haïti Support Group, en septembre 2003)
Situation similaire à la Codevi de Ouanaminthe où déjà le syndicat se plaint, en plus des pressions courantes exercées sur les représentants du syndicat :
« Certains employés comme Jean Renaud et Jean Philippe, tout de suite après que nous ayons remis la lettre avertissant de la présence du syndicat dans l’établissement, ont manigancé secrètement pour interdire à certains membres du comité de sortir même pour utiliser les toilettesÂ… Gérard Borgella, nous ne comprenons pas son rôle à l’usine. Il est venu nous poser des tas de questions bizarres, arrivant même à formuler des menaces à peine voilées, comme quoi si quelque chose de très grave arrivait à un membre du syndicat en ces moments de vide politique, à qui nous adresserions-nous, vu qu’il n’y a ni juges, ni police ? ».
Le comble, pourtant : c’est cette même compagnie rodée aux pratiques de force à l’encontre de ses ouvriers de manière routinière qui trouve moyen d’accuser le Sokowa, syndicat nouveau-néÂ… de violence ! Alors que les travailleurs de l’entreprise ne demandaient que légitimement à la direction une rencontre au sujet de la révocation arbitraire de l’un de leurs camarades. Demande dont ils allaient d’ailleurs obtenir gain de cause, mais qui, le lendemain, à l’occasion du vide de pouvoir crée par le départ du gouvernement Aristide, servirait de prétexte pour le licenciement en masse du syndicat. L’allégation de violence était cependant démentie même par le propre associé du Grupo M, la CFI de la Banque Mondiale, qui, visionnant une vidéocassette fournie par le Grupo, n’y découvrait pas la moindre trace de la violence supposément démontréeÂ… Cette pratique de mensonges à tous les niveaux, en effet, est monnaie courante chez le Grupo M. En plus de cette fausse allégation de violence, les délégués de Batay Ouvriye les ont également démasqué au sujet de la prétendue volonté des ouvriers de travailler le jour de la protestation (démonstration parfaitement boiteuse de l’entreprise) et concernant leur soi-disant ignorance des membres du syndicat. Enfin, leur client Levi-Strauss lui-même a démenti la censée « baisse de commandes » qui aurait justifié les révocations en masse d’ouvriers !
Face, donc, à l’absence patente de toute preuve justifiant la révocation du syndicat, l’entreprise se trouvait obligée de promettre la remise de lettres de réintégration le lundi 29 mars, 2004. Ce n’est pourtant que deux jours plus tard, le mercredi 31, vers les huit heures du soir, après le départ épuisé d’attente des représentants d’organisations solidaires, que la compagnie a commencé la distribution de ces lettresÂ… qui, néanmoins, ne pipaient mot de réintégration ! Ces fameuses lettres n’étaient, en réalité, que des invitations à une réunion le 13 avril 2004, « pour affaire vous intéressant » ! Coup de théâtre, s’il en est — manifestation des plus claires, en attendant, de l’outrecuidance de cette compagnie habituée à la facilitation de ses manœuvres par l’Etat, son President ayant gravi les échelons de la société pour devenir multimillionnaire et principal agent de la domination des multinationales dans notre île, en moins de vingt ans ! (Rappelons que les présidents des deux pays ont, quasi clandestinement, posé la première pierre de la zone franche, le projet ayant été très largement contesté par des organisations préoccupées de l’autosuffisance alimentaire nationale, et que Fernando Capellan était président de l’Adozona, l’Association des industriels des zones franches en République Dominicaine.) C’est fort de toutes ses « connections » que le Grupo M a pu ainsi agir, comme il l’a toujours fait, en toute impunité.
L’heure est donc à la mobilisation redoublée, et à tous les niveaux. Batay Ouvriye convie toutes les organisations solidaires, tous les progressistes, tous les démocrates, ainsi que les nationalistes sincèrement préoccupés par les violations quotidiennes du territoire haïtien effectués par l’armée dominicaine au service de la défense des biens de ce Grupo MÂ… à bander leurs forces pour empêcher l’établissement de ce précédent hideux à l’orée de la percée des zones franches en Haïti.