Español English French Kwéyol

Sove mòn Lopital !

E moun ki sou mòn nan, sa n-ap fè avè yo ? - Que ferons-nous des habitants du Morne l’Hopital ?

Par Evelyne Margron

Soumis à AlterPresse le 2 juillet 2012

Je suis de plus en plus éberluée par le peu de cas fait par nos élites et nos autorités de la population pauvre de notre pays ! Cette dernière campagne (Sove Mòn Lopital) en est l’expression la plus récente et en même temps une des plus évidentes du mépris pour « ces gens la ».

Nous - les êtres humains - avons tous besoin d’ « habiter » et habitons là où nous pouvons. La grande majorité pauvre - en réalité « appauvrie » - de nos populations habitent les mornes à fortes pentes et les ravines parce qu’elle ne peut pas se payer les espaces « habitables » ; parce qu’elle n’a pas de choix ; parce que notre pays, dans son organisation sociale, ne leur offre pas d’espace décent où se loger. Avec leurs salaires de misère, où d’autre se loger dans et aux abords des villes ?

Certaines âmes bien pensantes répondent parfois à cette question par un « ils n’ont qu’à rester dans leurs mornes ou retourner à leurs bourgs » dégouté. Comme c’est vite oublier pourquoi nous avons tous laissé nos mornes et nos bourgs !

J’ai moi-même grandi à Camp-Perrin (commune des Cayes, dans le Sud) jusqu’à l’âge de 6 ans quand il m’a fallu aller à l’école. Les seules « bonnes » écoles de mon bourg, à l’époque, étaient celles des sœurs catholiques qui n’avaient pas accepté dans leur école les protestants que nous étions. Mes parents m’ont donc mis en pension à PAP ; puis, l’année d’après, mon frère m’a rejoint. Et quand ca a été le tour de leur troisième enfant d’aller à l’école, mes parents n’ont pas pu faire face à la dépense. En cette nouvelle rentrée scolaire, comble de malheur, leur cinquième enfant tombait malade de la typhoïde et les médicaments pour le soigner étaient introuvables aux Cayes. En une nuit, ils ont décidé de venir s’installer là où les services étaient disponibles et quelques jours plus tard, Port-au-Prince accueillait une nouvelle famille de 6 enfants.

Nous sommes nombreux à être venu des mornes, de la province, des bourgs, de l’en dehors, à la recherche de la civilisation, des services, de l’éducation. Ce mouvement vers les grandes villes s’observe d’ailleurs dans tous les pays du monde. La population de Lyon, deuxième ville de France, n’a rien à voir avec celle de Paris où tous les français rêvent de « monter ». Qu’est ce qui fait la différence avec chez nous ?

La différence, c’est que chez nous, il y a « nous » et « ces gens la » ; il y a un secteur de la population qui ne reconnait pas à la majorité de la population de notre pays le droit à rêver d’un lendemain meilleur, le droit à chercher les services là où ils sont, le droit à devenir citadin.

Autrement, comment expliquer l’opération « Sove Mòn Lopital » au détriment des familles qui habitent le morne ? Délogées du Morne L’Hôpital, où iront habiter ces familles, même munies de 100,000 gourdes, sinon sur d’autres mornes et dans d’autres ravines ? Depuis quand l’environnement concernait seulement la terre, l’espace, les mornes, et pas, avant tout, les gens ? Comment s’imaginer que notre espace physique puisse être en bonne santé, nos mornes verdoyants, nos rivières propres, notre air sain, quand une masse de personnes – beaucoup, beaucoup de personnes – survivent à peine, sans logement décent – entre autres – pour « habiter » leur pays ? Le problème n’est pas simple, il est vrai ; mais nous ne sommes ni les premiers ni les seuls à devoir nous attaquer à ce type de défi et des solutions existent. Le problème en fait relève de l’aménagement du territoire et pas seulement les plus démunis sont concernés par l’occupation irresponsable de zones qui devraient être protégées.

Quand donc notre Etat se mettra t-il à la formulation et à la mise en œuvre de politiques publiques pour le bien être de TOUTE la population de notre pays ? La connaissance et la science sont-elles pour toujours et à ce point bannies de nos vies ? Où la nouvelle des idéaux de 1789 en France et de 1804 en Haïti, n’est-elle toujours pas arrivée jusqu’à nous ?