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Haïti-Chirurgie dentaire : Une profession qui fait fuir ses diplômés

Par Jean Elie Paul

P-au-P, 29 juin 2012 [AlterPresse] --- Couteux, l’exercice de la chirurgie-dentaire en Haïti se révèle souvent malaisé.

Nadine Brissard Prophète et Chantal Noël, deux chirurgiennes dentistes, ont accepté de délivrer à AlterPresse leurs points de vue sur leur métier, qui semble t-il, fait fuir les jeunes après leur diplôme.

« Pour s’installer, cela demande un débours extraordinaire. Certains dentistes diplômés à la faculté [d’odontologie de l’Université d’État d’Haïti / Ueh] n’ont pas encore acquis leur clinique dentaire. On peut le comprendre, puisqu’une clinique dentaire est très chère… voilà pourquoi les soins sont plutôt chers. Dans les centres de santé, on n’offre que la base, c’est-à-dire l’extraction », explique Nadine Brissard Prophète, enseignante en prothèse depuis 2005 au sein de la faculté d’odontologie.

Plus de 400 chirurgiens-dentistes ont été répertoriés en Haïti en 2004, selon la professeure Chantal Noël.

Certains d’entre eux sont morts dans le tremblement de terre du 12 janvier 2010, tandis que d’autres ont tout simplement abandonné la profession.

Actuellement ils sont autour des cinq cents, avance Noël.

« J’ai connu des étudiantes très calées, mais qui ont laissé le pays. Ce qui est dommage pour la profession, parce qu’on apprend un métier pour devenir indépendant », regrette Noël.

Seul centre universitaire qui forme des chirurgiens-dentistes dans le pays, et La faculté d’odontologie de l’Ueh reçoit près d’une trentaine d’étudiantes et d’étudiants chaque année.

A la fin du cursus, ils sont plus d’une quinzaine d’étudiants à recevoir leur diplôme. La suite s’avère beaucoup plus compliquée.

« Ce n’est pas ce qu’ils voulaient faire, mais de préférence ce qu’ils ont trouvé. De fait, quand ils arrivent en 5e année, ils veulent que le gouvernement leur trouve un emploi. Ils s’imaginent que l’université doit leur chercher un emploi, alors que le travail de l’Université c’est de leur apprendre une profession », souligne Chantal Noël, plaidant pour une politique de prêts en faveur des étudiants.

Pour sa part, Nadine Brissard Prophète soulève d’autres conséquences plus dévastatrices.

« Les exigences financières de cette profession conduisent au charlatanisme. Étant donné que les chirurgiens ne couvrent pas tout le pays, faute de moyens, les charlatans fonctionnent, là où les professionnels ne s’installent pas », signale t-elle, ajoutant que « sans l’eau et l’électricité, un dentiste ne peut pas fonctionner. C’est pourquoi dans certains départements du pays, on ne trouve pas de médecin, ils ne font que passer ».

Être chirurgienne dentiste

« Les étudiantes sont un peu plus de 30% dans la profession en ce moment. Cela varie avec les années, certaines fois on compte près de 40% d’étudiantes et d’autres 10% de femmes », informe Nadine Brissard Prophète.

Selon Prophète, les patients disent, en général, préférer les femmes dentistes, le plus souvent dans l’espoir de bénéficier de plus d’indulgence et de « douceur » lors des traitements, en particulier l’extraction.

Pour elle, le plus fondamental dans le métier de chirurgie-dentaire, c’est la manière de recevoir le patient.

« C’est l’accueil qui fera la distinction », soutient-elle.

« Souvent ce sont des patients qui ont souffert toute la nuit, qui appréhendent les soins, et qui ont peur… Il faut d’abord les mettre en confiance. Quant à ceux qui sont un petit peu plus poltrons, cela demande beaucoup plus de temps, mais nous y arrivons toujours », explique t-elle.

Prophète déplore un « manque d’éducation » des patients qui exigent souvent l’extraction, alors que d’autres solutions alternatives de traitement leur sont offertes.

« L’éducation des patients est la plus importante, vu que les patients ne pensent le plus souvent qu’à extraire une dent. Et même quand vous leur offrez un autre type de traitement, ils vous disent « docteur, l’extraction d’une dent est le remède à la douleur », illustre t-elle. [jep kft rc apr 29/06/2012 1:35]