Español English French Kwéyol

Haiti-Littérature : Treize nouvelles vaudou - cynisme, mythes, réalités

Par Dieulermesson Petit-Frère

Soumis à AlterPresse le 26 juin 2012

Avec la publication de ses Treize nouvelles vaudou (dernier recueil en date) [1], il demeure sans conteste que Gary Victor est l’écrivain haïtien qui maîtrise le mieux ce genre littéraire. D’autres écrivains avant lui, entre autres, Jean-Baptiste Cinéas, Fernand Hibbert, Justin Chrysostome Dorsainvil ou ses contemporains (Syto Cavé, Kettly Mars, Yannick Lahens) ont essayé mais n’ont pas osé dire avec autant de subtilité (finesse) le drame haïtien.

De Sonson Pipirit à Albert Buron - personnages types qu’il a inventés - des Nouvelles interdites au Sorcier qui n’aimait pas la neige, des Nouvelles radiophoniques aux 13 nouvelles vaudou, Gary Victor innove toujours. D’une écriture compliquée, il est passé à une autre, plus simple, plus fluide. Avec des phrases simples (moins longues). Des histoires les unes plus intéressantes que les autres. Toujours avec le même talent de grand conteur qu’on lui connaît.

Gary Victor, le Maupassant haïtien

N’en déplaise aux autres écrivains de sa génération, Gary Victor est, sans conteste, le Maupassant haïtien. Le maître à penser de la fiction brève en Haïti. Ses nouvelles mettent, en grande partie, en scène –pour ne pas dire toutes- la laideur et la bêtise haïtiennes. Si pour Pierre Maxwell Bellefleur [2], le passé et l’histoire constituaient les grands thèmes de la nouvelle des années 1980 et 1990, Gary Victor divorce d’avec cette pratique. C’est le présent ou encore l’actualité qui y domine. Ses nouvelles évoquent le drame haïtien parce qu’elles s’insèrent dans son vécu. Tous les sujets sont abordés : la politique, la morale, l’économie, le social, la religion.

En effet, toutes les tares du système social haïtien passent sous sa plume. L’hypocrisie, le mensonge, la corruption, les impostures, la haine, sont entres autres autant de vieilles pratiques qu’il dénonce. Il demeure toutefois que la politique et le social sont les sujets de prédilection de cet auteur le plus lu et le plus connu du pays.

Les Treize nouvelles vaudou s’inscrivent dans cette logique de dénonciation de ces haïti- âneries. L’auteur critique en même temps qu’il propose des modèles. A la manière de Justin Lhérisson, s’il dénonce et ironise, c’est pour mieux corriger la société - le récit étant un pré-texte.

Gary Victor marche sur les traces de Fernand Hibbert, romancier, dramaturge et nouvelliste du mouvement de la Ronde. Son recueil ‘‘Masques et visages’’ se veut être une description ou une présentation des travers de la société de son époque prise dans son ensemble. Comme ce fut le cas de ses romans. Les nouvelles de Gary Victor s’inscrivent dans ce même registre. Avec une écriture plus exigeante et plus soutenue. De tous les auteurs haïtiens de la nouvelle, il est le plus proche du quotidien. ‘‘Peut-être qu’ils ne font pas le même travail ou le même métier’’, pour reprendre un peu les propos de Catherine Sauvage exprimant son point de vue au sujet d’une chanteuse en vogue dans le courant des années 1970.

Les Treize nouvelles vaudou et le réalisme haïtien

Treize nouvelles vaudou. Au delà des récits, tout le mystère réside dans le titre de l’ouvrage. Pour les amateurs d’ésotérisme, 13 est un chiffre qui dit long. Les profanes y accordent foi également. Si pour certains, il s’agit d’un nombre maléfique, pour d’autres, c’est un nombre porte-bonheur. Dans le cas de ces nouvelles, c’est plutôt le premier qui a le dessus. Avec son sens poussé de l’humour - qu’on lui connaît -, Gary Victor plonge le lecteur dans une sorte de réalisme dont lui seul possède le secret. C’est le réalisme merveilleux des haïtiens.

A lire les 13 nouvelles vaudou, on pourrait sans s’en rendre compte se poser cette question : qui d’autres connaissent ou maîtrisent mieux la réalité haïtienne que cet écrivain ? Ou encore, n’est-il pas l’un sinon le rare écrivain à la connaître par cœur ? Des histoires de chez nous, si ces nouvelles sont perçues aux yeux de l’étranger comme une sorte d’initiation au réel haïtien, pour nous autres, elles constituent une sorte de ré-invitation des lieux de ce réel.

Pilon est une nouvelle qui suscite la réflexion. Comme toutes les autres. Des personnes passées au marteau-pilon et un homme qui a connu, en un laps de temps, une ascension politique exceptionnelle. De quoi rire ! Des êtres humains passés au pilon. Cela parait invraisemblable parce que difficile à croire ou à expliquer. Cependant, l’explication est là : le surnaturel. Il occupe une place importante dans la société haïtienne. Les gens vous trouvent une explication à tout. Quitte à ce que l’explication vous donne une impression de délire. Certaines langues vous diront certainement que cette nouvelle fait référence aux pratiques criminelles d’un régime politique dictatorial bien connu.

Nuit de chance est une nouvelle qui, au même titre que Pilon, met en scène l’avarice de certains hommes politiques haïtiens. Ces ‘‘prêts à tout faire’’ peuvent commercer avec le diable ou aller jusqu’à vendre leur âme pour avoir, conserver un poste ou gagner la sympathie d’un chef quelconque. Ces pratiques sont monnaie courante chez nous. Des pratiques dénoncées par J. S. Alexis en faisant référence au principe politique fondamental de Vincent selon lequel : ‘‘en politique, il faut savoir embrasser même le cul d’un cochon [3]’’.

Le doigt permet de vivre ou de re-vivre un pan de l’histoire contemporaine d’Haïti –l’époque des chimères- et permet aussi de re-faire connaissance avec les pratiques criminelles et maléfiques des gens en quête de richesse et protection. Le fémur qui clôt le recueil fait état de l’innocence de ces étrangers fraîchement arrivés dans le pays affichant tout bonnement leur mépris pour certaines réalités qu’ils ne maîtrisent pas. Ils sont victimes de leur naïveté et moquerie des croyances populaires.

En effet, les nouvelles qui constituent ce recueil ne sont pas du tout nouvelles. Elles sont, en réalité, des faits - divers - qui s’insèrent dans le quotidien du peuple haïtien. Ce sont des récits qui questionnent et nous mettent de plus en plus en contact avec le réel. Ils créent chez le lecteur un sentiment de peur, d’horreur et traduisent l’avarice, la méchanceté, l’animosité et l’inhumanité de l’être humain.

Le vaudou crucifié

Quoiqu’il ne s’agisse pas d’un ouvrage sur le vaudou, la quasi authenticité des récits donne au recueil une dimension vaudou. Le mystère est à l’œuvre dans toutes les pages du recueil. Un secret y est caché. L’auteur et le lecteur sont les seuls à pouvoir le découvrir. Pourtant, le vaudou est présenté comme quelque chose de mauvais à laquelle il ne faudrait pas toucher. Mise à part ‘‘Danse vénézuélienne’’ qui donne à voir les cotés bienfaiteurs du vaudou, les autres nouvelles ne présentent que des images négatives. Exception faite de ‘‘Kric… Kric… Kric… (p 71) et ‘‘Un homme d’honneur’’ (p 111) où il n’en est pas fait mention.

D’une manière générale, les écrivains haïtiens - qu’ils soient romanciers, poètes, nouvellistes surtout - pour la plupart ne donnent pas toujours une bonne image du vaudou. Il est toujours décrié et jeté à la poubelle. Rares sont les textes dans lesquels est présentée une autre facette de cette religion populaire qui constitue le ‘‘fundamentum’’ de la nation haïtienne. On peut citer entre autres ‘‘Mimola’’ d’Antoine Innocent, premier roman haïtien qui a donné une large place au vaudou, ‘’Les arbres musiciens’’ de J. S. Alexis, ‘‘La case de Damballah’’ de Pétion Savain qui présentent le vaudou comme la religion à plus grande forme de solidarité qui soit. D’autres y voient, à travers leur production, une boite à production du mal.

A cet effet, les Treize nouvelles vaudou de Gary Victor ne font pas exception à la règle. La lecture des textes peut - à quelques réserves près - créer chez le lecteur profane un sentiment de rejet du vaudou. S’agissant d’une force porteuse de mal qu’il faudra éradiquer. Absolument. L’illustration de couverture peut bien en témoigner. Une croix enveloppée d’un serpent. A la croix est généralement associé un caractère sacré et au serpent une image maléfique. Ce serait, en résumé, les forces du mal contre celles du bien. D’ailleurs, le serpent est toujours perçu comme un animal offensif et qu’il faut éviter. Le message d’illustration serait ça : Vaudou, touchez pas !

Au fait, le fait n’est pas ça. C’est même plus que ça. De même que n’importe quel ordre, secte ou religion, le vaudou a ses secrets. Il a ses lois. Ses mystères ne sont révélés qu’aux seuls initiés. C’est peut-être la seule religion où le bien et le mal co-existent sans se confondre. Et cette dualité échappe à la compréhension du simple spectateur.

Peut-être existe-t-il dans le vaudou une forme de justice qui, aux yeux de ses détracteurs, n’est pas proportionnelle à la faute commise, mais c’est un principe. L’individu est responsable de ses actes. C’est une forme de karma. Ces principes existent dans toute religion, dans tout ordre. Cela ne signifie pas que le vaudou doit être associé au mal. L’origine et la symbolique du mal, dans le vaudou, soutient Jean Fils-Aimé, s’apparentent à l’univers judéo-chrétien [4]. Ainsi, il serait stupide de vouloir réduire totalement ou exclusivement le vaudou à la sorcellerie. Car plus qu’une religion, le vaudou est le mode d’être de l’Haïtien au monde [5]. C’est un lieu important de l’identité culturelle haïtienne.

Plus qu’une manière de vivre, le vaudou a pour fonction de créer et de réglementer les relations sociales, de proposer une conception du monde et de mieux organiser la société [6]. Il offre aussi à la société des croyances axées sur un ordre moral et éthique en dissociant le bien du mal à travers une série d’activités économique, sociale et artistique [7].

A cet effet, la lecture des treize nouvelles vaudou ne doit, en aucune façon, porter le lecteur à déprécier le vaudou. Le recueil n’en a présenté, à travers les divers textes, qu’une facette. Celle qui, aux yeux de certains commentateurs, critiques et profanes, associe le vaudou à la sorcellerie ou la magie noire. L’auteur a, à tort ou à raison, crucifié le vaudou. Alors qu’il s’agirait, en fait, de la religion mère du pays. Celle qui a contribué à la libération du peuple haïtien du joug de l’esclavage et à la naissance de la première république noire.

En guise de conclusion

Au terme de cette réflexion, il convient de signaler deux choses. En premier lieu, Gary Victor demeure, comme nous l’avons signalé plus haut, l’un sinon le plus grand écrivain- nouvelliste qu’Haïti ait jamais connu. Le réalisme de ses textes, sa manière d’appréhender la réalité haïtienne, son imagination débordante le rapprochent tout à fait des grandes figures de la nouvelle au XIXe siècle entre autres : Mérimée, Poe, Maupassant. Pour ne citer que ceux-la.

En second lieu, les treize nouvelles vaudou, malgré son poids imaginatif et sa dimension littéraire, offrent une lecture restreinte et à la fois négative du vaudou en le faisant passer comme quelque chose qu’il faudrait mettre à la poubelle. Peut-être que c’était là le projet de l’auteur. Faire du vaudou une boite de Pandore. Et c’est, en quelque sorte, tout ce qui déshonore le recueil. La diabolisation pure et simple du vaudou.

Ceci dit, le recueil, en dépit de son mérite et de son coté réaliste et plaisant, a fait tort au vaudou, cela va sans dire. C’est peut-être indépendant de la volonté de l’auteur. Ou peut-être un choix délibéré. En ce sens, on serait même tenté de dire que ce ne sont pas des nouvelles tout à fait vaudou. Car elles donnent une image fausse du vaudou. Une image pas tout à fait catholique, comme on dit chez nous. Toutefois, ceux qui sont en contact avec la réalité haïtienne diront que ceci n’enlève pas au recueil son caractère réaliste puisque les nouvelles sont toutes inspirées de scènes de la vie haïtienne.


[1Treize nouvelles vaudou, éd. Mémoire d’Encrier, mars 2008

[2Pierre Maxwell Bellefleur : Formes et imaginaire de la nouvelle haïtienne (1980-2000).

[3Jacques Stephen Alexis, Compère Général Soleil, Ed. Gallimard p 185.

[4Jean Fils-Aimé, Vodou, je me souviens, éd. Dabar, avril 2007

[5Idem, p115

[6Beauvoir, Rachel et Dominique Didier, Savalou E, Cidihca, 2003

[7Idem, p 72