Intervention de François-Frantz CADET, Secrétaire National du Collectif Haïti de France au Salon Solidarités, Paris le 2 juin 2012
Document soumis à AlterPresse le 15 juin 2012
Depuis quelques mois nous recevons, d’associations bien identifiées ou même de groupes informels, des propositions pour créer des fonds d’INVESTISSEMENT en faveur d’Haïti. "Heureuses initiatives" dirait-on ; mais à regarder de plus près, nous devenons très vite perplexes tant les explications, qui les accompagnent, apparaissent simples (même trop simples pour ne pas dire simplistes) dans la présentation de projets, de toute évidence, complexes. Quand une opération nous propose d’investir dans un transfert de denrées alimentaires que sauraient produire les paysans haïtiens, elle participe au soutien de la "consommation" alors qu’elle pourrait favoriser "l’investissement productif", si elle finançait par exemple l’achat de semences.
Quand les initiateurs s’adressent surtout aux haïtiens du dehors, ils ne peuvent pas ignorer que les faits et les situations, qui les ont poussés à INVESTIR dans leur fuite hors d’Haïti, demeurent et tournent en boucle dans leur tête. Les causes en sont : la gestion de la survie, l’absence de confiance (en soi et en l’autre) et l’incapacité à se projeter...ailleurs...convenablement, dans une vie citoyenne, dans une transmission responsable de la vie, dans un ENGAGEMENT social ou politique, dans la valorisation de sa culture, dans la transformation des ressources de sa terre d’origine en richesses.
Tous ces facteurs négatifs nuisent à l’INVESTISSEMENT. Cette action financière qui, quand elle est comprise, pousse l’individu à sortir de son isolement pour placer sa confiance et ses possibilités financières dans une action qui sera fructueuse (pour soi), collectivement enrichissante (pour autrui), humainement constructive (pour une société) et essentiellement porteuse d’avenir (pour la jeunesse).
Pour bien accompagner notre élan vers le développement des autres, nous disposons donc de notre ENGAGEMENT et de notre INVESTISSEMENT. Pour exploiter ces deux valeurs humanistes il importe, en amont, de créer des actions et des outils de formation collective favorisant l’initiative locale au plus proche des conditions susceptibles de redonner confiance en soi et en la collectivité et, en aval, de valoriser les ressources naturelles nationales, de mettre en place des activités productrices de denrées et de revenus et de se projeter dans un avenir maîtrisé.
Oui il faut INVESTIR en Haïti et ces groupes ont raison de le penser et de le vouloir. Mais au prime abord il faut ranimer l’envie et donner CONFIANCE aux INVESTISSEURS en leur proposant de venir en aide à des partenaires organisés, formés à l’esprit communautaire, responsabilisés au sens de la collectivité, devenus fiables et porteurs de projets viables. S’il apparaît plus que nécessaire, que ces qualificatifs soient effectifs, il serait opportun qu’en amont du projet soient planifiés, pour ces groupes déjà organisés, des temps de formation [1].
Si INVESTIR c’est mettre officiellement quelqu’un ou un groupe en possession de certains droits, d’un certain pouvoir, de certaines capacités et si c’est aussi pénétrer un espace ou un milieu pour en évaluer les ressources, exploiter les potentialités et valoriser les possibilités, il me semble utile et urgent de le faire en Haïti. Il reviendrait donc à faire de l’INVESTISSEMENT, un engagement de fonds dans une opération à caractères social, économique ou financier ou aussi un placement de moyens financiers et humains dans une activité productrice de richesses.
Dans le cas d’Haïti le bailleur (celui qui apporte les moyens) est très éloigné du preneur (celui qui exploite les moyens). Entre ces deux acteurs il y a certes une distance physique pénalisante, mais aussi un éloignement psychologique, un écart social, un pouvoir économique et des errements politiques déstabilisants. Pour qu’il y ait compréhension, entente et enfin partenariat il faut S’INVESTIR l’un dans la confiance en l’autre, l’un dans les potentialités de l’autre, l’un dans le projet de l’autre, l’un dans le devenir de l’autre.
Mêmes les informations incomplètes qui circulent au sujet des pratiques d’investissement en Haïti, révèlent des carences dans les orientations vers des placements de fonds productifs et mettent en évidence les faiblesses dans les conditions d’instauration de la nécessaire confiance. A défaut de pouvoir préciser le pourquoi et le comment, les tenants et aboutissants, les règles et les conventions, les sommes allouées par la diaspora aux autochtones se transforment en moyens de subsistance et s’évanouissent en consommation.
Actuellement de par le monde, fleurissent une multitude d’investissements solidaires. Il est conseillé de s’en inspirer et de définir pour la diaspora haïtienne (potentiellement généreuse) des documents de mise en confiance, présentant les valeurs affichées et défendues par les proposants, les règles selon lesquelles serait menée l’opération, les conditions selon lesquelles l’intérêt de l’investisseur est garanti, la charte et le contrat d’engagement qui montrent les liens qui sont à tisser respectueusement entre investisseurs, opérateurs franco-haïtiens et bénéficiaires haïtiens.
Les initiatives pour être intéressantes doivent se doter des moyens et conditions qui mènent à la réussite. Pour cela, il est urgent d’en mettre les formes et les règles. Sinon l’échec de l’un sera celui de tous les opérateurs en Investissements Solidaires, car la perte de confiance provoquée par les échecs toujours bruyants, se diffusera dans tout le système qui, aussi généreux soit-il, sera ébranlé.
Une expertise acquise au sein du Collectif Haïti de F rance (CHF) et particulièrement dans la gestion d’un fonds d’investissement français, dédié au programme "Manman Bèf" de l’association haïtienne VETERIMED peut être mise en partage. Pour réussir il faut un partenaire qui affiche durabilité, capacités, efficacité et fiabilité. En les réunissant cette ONG haïtienne :
− réalise, avec les fonds collectés par le CHF, l’acquisition des vaches qui sont ensuite confiées à des éleveurs ou éleveuses réunis en associations (groupe bénéficiaire de l’action) ;
− assure le suivi technique et sanitaire du cheptel national ;
− et effectue au bout de 5 ans, les démarches conduisant l’éleveur à respecter son engagement et l’investisseur à recouvrir ou à réinvestir son capital auquel s’ajoute l’intérêt promis par le contrat.
Ce projet redonne confiance aux éleveurs haïtiens, leur offre un revenu et dynamise le secteur rural. INVESTIR dans la production laitière exige de prévoir les moyens de conservation et de transformation du lait. L’accroissement du cheptel bovin, génère l’augmentation des litres de lait à traiter et provoque l’aménagement de nouvelles micro-laiteries. C’est donc toute une économie rurale qui profite de ces investissements solidaires. Ils semblent combler l’absence regrettable du système bancaire haïtien comme finançeur des activités paysannes.
Pour rendre efficients les INVESTISSEMENTS, il faut que naissent de véritables partenariats à travers lesquels autant les peuples qui soutiennent que ceux qui réalisent les projets, s’engagent à respecter les accords prédéfinis. Pour s’assurer une pérennité d’actions, il convient aussi, de capitaliser les expériences, de mutualiser les compétences et de faire vivre la confiance. Il est très dommageable pour Haïti que sur près de 2 milliards de dollars US, apportés en soutien annuel par la diaspora aux haïtiens du dedans, qu’une partie ne soit pas exploitée comme INVESTISSEMENT créateur de RICHESSES.
Malheureusement et majoritairement :
− En HAÏTI les hommes n’investissent pas assez l’espace politique. L’argent ne se raisonne que comme un bien privé et la construction collective du bien-être est absente du débat public.
− En HAÏTI les dirigeants n’investissent que l’espace du pouvoir autoritaire. C’est un moyen de confisquer le peu d’argent qui circule et l’accès à un revenu décent est devenu une lutte sociale fratricide.
− En HAÏTI on n’investit pas dans l’avenir. Les jeunes haïtiens ont soif d’apprendre, mais l’école fondamentale est inadaptée aux besoins, l’école professionnelle est inexistante et l’Université prépare davantage de candidats au départ et à l’exil économique que d’acteurs-animateurs de la société civile.
Que ceux qui aiment le peuple haïtien et qui soutiennent ses espérances, abandonnent les vieux clichés misérabilistes pour tenter :
− de remplacer enfin l’assistanat par un véritable partenariat, entre les « engagés » de la société française et ceux de la société civile haïtienne,
− de remettre comme moteur des échanges entre opérateurs solidaires et acteurs partenaires, l’INVESTISSEMENT PRODUCTIF.
C’est l’unique action constructive, encore à notre portée, qui peut nous permettre de valoriser - à distance - notre ENGAGEMENT SOLIDAIRE.
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[1] Autant pour préparer à l’investissement que pour installer le projet, les parcours de formation sont devenus fondamentaux et sont à aménager de façon :
à satisfaire la demande formulée par les bailleurs et les opérateurs franco-haïtiens désireux de comprendre qui sont leurs partenaires et comment contracter avec eux ;
et à répondre à la nécessité qui s’impose aux acteurs haïtiens obligés d’apprendre à faire la différence entre investissement et consommation.
On ne peut plus s’improviser porteur de projets comme on ne peut plus sans expérience et sans compétence prétendre gérer des fonds d’investissement. On est condamné à réussi, si on ne veut pas réduire la générosité publique et limiter ainsi les actions de solidarité internationale.