Par Nancy Roc
Soumis à AlterPresse le 29 mars 2004
Nous voilà à un autre tournant historique mais il nous semble que cette fois-ci, il constitue bien la dernière chance pour notre pays de prendre définitivement le chemin de la démocratie. La transition de 2004 ne pourra pas être une transition qui n’en finit pas et tous les observateurs s’accordent sur un fait : le gouvernement Alexandre /Latortue n’a d’autre choix que celui de réussir. Du gouvernement ’’ hors la loi ’’ Lavalas, nous passons donc à un gouvernement d’exception qui résulte d’un accord politique auquel même le secteur lavalassien aura contribué. Il faudra donc accepter que sa marche ne puisse être déterminée par des prescrits constitutionnels mais il ne devrait pas gouverner dans l’ignorance des valeurs fondamentales de la Charte Mère de la nation. ’’ A l’impossible nous sommes tenus ’’ a déclaré courageusement le Premier Ministre lors de l’investiture de son cabinet. Et de fait, le gouvernement Lavalas nous a laissé un pays en ruine et rongé par une haine viscérale répandue pendant des années à travers un discours méprisant, divisant davantage encore le pays le plus pauvre du continent américain. A cet héritage affligeant vient se greffer une présence de force étrangère qui pourrait bien se transformer rapidement en force d’occupation aux yeux de la population, au lieu d’être perçue comme une force d’accompagnement, si le gouvernement actuel ne fait pas preuve immédiatement d’autorité, de bonne gouvernance et ne propose pas tout de suite au pays ses impératifs à travers une politique générale claire. Face à un défi monumental à relever, le gouvernement Alexandre/ Latortue se retrouve donc avec tous les regards rivés sur lui reflétant l’espoir, certes, mais également une profonde suspicion.
Un défi historique à relever
La nouvelle équipe gouvernementale doit s’atteler à affronter des difficultés de tous ordres : politiques, économiques, sociales, environnementales et institutionnelles. Du point de vue politique, le nouveau gouvernement, en particulier grâce au Premier Ministre, a marqué des points ces deux dernières semaines : en premier lieu, en gelant les relations diplomatiques avec la Jamaïque qui a accueilli momentanément Aristide , geste qualifié ’’ d’inamical ’’ par Gérard Latortue. La décision de ce dernier a prouvé son courage, sa fermeté et son autorité, selon de nombreux observateurs diplomatiques. Pour les quelques voix réticentes sur ce geste jugé comme ’’excessif ’’ par rapport à la participation d’Haïti à la Caricom, Jerry Tardieu, membre du Conseil d’Administration de la Chambre de Commerce et d’Industrie et conférencier régulier sur l’intégration d’Haïti à La Caricom, a mis un bémol à cette préoccupation. Pour ce dernier, ’’ les incidences économiques d’un retrait d’Haïti de la Caricom sont faibles, (Â…) dans le domaine politique, l’impact pour Haïti est également à relativiser(...) A court terme, c’est peut-être au niveau diplomatique qu’un retrait de la Caricom pourrait nous être néfaste, car nous risquerions de ne pas bénéficier d’une solidarité régionale dans le cadre des négociations internationales". [1] En second lieu, le discours du Premier Ministre, malgré certaines bévues, a été bien accueilli : Gérard Latortue a jusqu’à présent fait preuve de cohérence et d’audace même si certains de ses propos frisent parfois une certaine condescendance.
Le problème politique se situe actuellement à d’autres niveaux : en premier lieu, la nécessité impérieuse de restaurer la sécurité pour tous et d’amorcer une réforme de la justice ensuite ; en second lieu, celui d’exclure les partis politiques du gouvernement technocrate actuel et la perception de certains secteurs de l’emprise grandissante du Conseil des Sages dans les prises de décisions gouvernementales, alors que d’autres prévoient une exclusion progressive de ce dernier. En matière de justice, la nouvelle équipe gouvernementale a commencé à donner des signes clairs de sa volonté de combattre l’impunité avec l’arrestation de plusieurs chefs de gangs et élus contestés Lavalas impliqués dans des crimes et/ou activités illicites tels que l’ex-député de Saint Marc, Amanus Mayette, Anthony Nazaire, Harold Sévère, Pétion Rospide alias Douze, Paul Keller et, cette semaine, Yvon Antoine alias « Yvon zap zap » qui avait sectionné les ligaments des genoux du Recteur Pierre Marie Paquiot. Toutefois, il ne faut pas que ces arrestations se limitent aux ’’chimères’’ des rues mais également à des personnalités connues et qui furent placées au plus haut niveau de la machine de la corruption lavalassienne. Les membres de grandes familles connues et moins connues impliquées dans la corruption du régime, Jean-Claude Jean-Baptiste, éminence grise d’Aristide, Jocelerme Privert, ex-ministre de l’intérieur et homme de main d’Aristide, Fourel Célestin, ex-président de la Chambre du Sénat, Yvon Neptune, Ex-premier ministre ou Gladys Lauture, son égérie financière, Leslie Voltaire, Gustave Faubert, ex-ministre des Finances, tous ont servi de ’’paravents’’ à Aristide pour reprendre l’expression du journal Libération cette semaine, et devraient tous passer devant la justice afin de montrer une fois pour toutes que la justice est la même pour tous : petits et grands criminels ou corrupteurs [2]. De même qu’en matière de sécurité pour tous, passage prioritaire et obligé pour restaurer la confiance de la population, le gouvernement fait encore face à une situation troublante : les magasins sont toujours dévalisés par des gangs, les kidnappings sont en recrudescence et des policiers (n’oublions pas que la police d’Aristide fut ’’chimérisée’’) sont encore à la base d’exécutions sommaires comme nous l’avons vécu cette semaine. De même, si le gouvernement est formé de technocrates reconnus pour leurs compétences, ces derniers ne doivent en aucun cas perdre de vue l’aspect social de notre pays. A ce sujet, soulignons que les femmes ont été victimes de viols perpétrés par les gangs lavalassiens et des policiers particulièrement durant la dernière année écoulée et les huit semaines précédant le départ du dictateur. Selon le Docteur Marie-Marcelle Deschamps des Centres GHESKIO, plus de 200 femmes ont rapporté des abus sexuels durant cette période aux Centres et ces viols étaient le plus souvent perpétrés par des hommes armés et des policiers. Ces derniers ont violé des filles et femmes âgées de 13 à 49 ans et, fait nouveau, ces victimes ne figuraient pas parmi le ’’petit peuple’’ mais ont, vraisemblablement été ciblées par leurs agresseurs parmi les écolières, étudiantes, des mères amenant leurs enfants à l’école ou des femmes ayant participé à des marches organisées par l’Opposition et le Groupe des 184 contre le régime déchu. Notons que ces femmes auront été triplement victimes : d’abord du viol, ensuite de l’absence de recours ou de suivi judiciaire et enfin, 37% de ces femmes errent désormais dans les rues par peur de rester dans leurs quartiers ou parce qu’elles ont été rejetées par leurs familles. 25% refusent de se confier à leurs familles et seulement 8% des cas sont rapportés aux organisations féministes. Ce témoignage prouve non seulement que le venin prôné par Aristide et ses sbires a été répandu dans le pays mais également que notre société est profondément névrosée. En effet, lorsque 7 hommes violent ensemble une gamine de 13 ans, il est primordial et urgent de se questionner sur les profondes séquelles de notre société. Ce ne sont pas seulement les valeurs qui se sont écroulées mais bien une cruauté déviante qui s’y est installée. Comment expliquer à ces victimes qu’il faut donner du travail aux gens pour qu’ils ne deviennent pas des ’’chimères’’ ? Comment leur parler de réconciliation comme prônée par le gouvernement ? Pensez-y Mesdames et Messieurs les technocrates ! Pensez à vos mères, vos sœurs, vos filles, et vous Messieurs, à vos épouses, et prenez le temps d’y réfléchirÂ…
Ce problème nous amène à en évoquer un autre tout aussi épineux : celui de la reconstitution ou non de l’armée d’Haïti. Alors que le Premier Ministre a adroitement écarté le problème en l’attribuant au prochain gouvernement élu, le nouveau ministre de l’Intérieur, Hérard Abraham, a quant à lui déclaré sans ambages que l’armée serait reconstituée car elle est prévue dans la Constitution ! Il nous semble que le choix de la reconstitution ou non de l’armée devrait revenir ou au prochain gouvernement élu ou à la volonté claire du peuple haïtien exprimée, par exemple, par voie de référendum. De plus, lorsque l’on connaît le peu de ressources financières dont dispose le pays, une armée est-elle vraiment nécessaire ou ne faudrait-il pas considérer deux forces de l’ordre, X ou Y, où le citoyen pourrait recourir à l’une lorsque l’autre commet des exactions ? Enfin, le problème de la reconversion des ’’chimères’’ ou de la réinsertion sociale des ’’rebelles’’ reste encore entier. Les récents gestes symboliques de désarmement à Cité Soleil ou aux Gonaïves, restent purement symboliques et ne prouvent pas que ces hommes rendront finalement leurs armes. Le gouvernement n’a pas affiché une volonté d’affronter ce problème de façon ferme. Pire, le Premier Ministre, lors de sa visite aux Gonaïves, a choqué l’opinion nationale en invitant le public présent à une minute de silence à la mémoire d’Amiot Métayer qui, malgré son assassinat crapuleux, n’en demeure pas moins un ’’hors la loi’’ accusé de crimes, notamment dans le rapport d’enquête de l’OEA suite aux événements du 17 décembre 2001. De même que Jean Tatoun, recherché par la Justice et qui avait promis publiquement de se rendre à cette dernière, ne l’a toujours pas faitÂ…mais il faut admettre que les autorités judiciaires ne l’ont pas interpellé non plus. Michel Soukar, commentateur politique qui a accompagné le Premier Ministre lors de sa visite dans la Cité de l’Indépendance a non seulement déploré ces faits mais il a également prévenu l’équipe au pouvoir de prêter attention aux foyers de tension qui sont en train de naître dans plusieurs villes de provinces, notamment à travers la présence d’anciens militaires armés ; foyers qui pourraient rapidement devenir invivables si le gouvernement n’assume pas ses responsabilités. Selon Michel Soukar, des foyers de tension se développent à St Marc, Jacmel, dans le Plateau Central et à Mirebalais. Dans cette dernière ville, des militaires ont vidé le commissariat des effectifs de la police et la population se demande à quelle force de l’ordre faire appel. Michel Soukar a également souligné que la population de ces villes ne veut plus accepter que des notables prennent ces villes en main sans la participation de la population. Il a pris en exemple le cas des mairies dont il faudra assurer l’intérim, mais ce dernier ne pourra pas provenir uniquement ’’d’en haut’’, donc du gouvernement mais doit se faire en accord avec les populations locales. A cette problématique s’ajoute celle des trafiquants de drogue qui ont transformé Haïti en un ’’ régime sous cocaïne ’’ comme l’a écrit le journal français Libération cette semaine. Développant les réseaux, plaçant ses barons, Jean-Bertrand Aristide (Â…) a favorisé l’essor du trafic de drogue sur l’île, écrit le journal qui souligne que parmi les opposants qui viennent de le renverser, certains ont les mains pleines de poudre. Le journal cite un expert occidental qui accuse Guy Philippe d’être un vrai trafiquant de came. C’était un proche de l’ex-président, et il disait :’’ mon patron, c’est Aristide’’. Mais, fin 2001, le Président l’a brusquement accusé de trahison(Â…)Si l’ex-commissaire représente à ce jour l’espoir des Haïtiens, lui entend bien jouer un rôle politique de premier plan. Mais les Américains, qui l’ont obligé à désarmer, ne veulent plus entendre parler d’un trafiquant de drogue, fût-il repenti, comme futur chef de l’Etat. Le journal révèle que Guy Philippe mène déjà sa campagne dans la perspective des prochaines élections et se demande si un trafiquant va en remplacer un autre. Signalons que Libération cite nommément les noms d’autres ’’parrains ’’ de la drogue tels que Fourel célestin, les députés Wilnet Content et Immacula Bazile, Jacques-Baudoin Kettant et son frère Hector, ainsi que Elieaubert Jasmin, dit Ed-One [3].
Rapidement, examinons à présent la décision d’exclure les membres des partis politiques (et de la société civile) dans la formation du gouvernement actuel. A ce sujet, le Premier Ministre a tenu des propos malheureux comme ceux faisant référence à la volonté des partis politiques d’obtenir des ’’jobs’’ ou de ’’donner une chance au pays’’. Là encore, malgré des prises de décisions rapides et encourageantes, il est clair que le Premier Ministre n’a pas de conseiller adéquat en communication et se laisse aller à ses émotionsÂ…ou à ses velléités de contrôler la machine gouvernementale. Dans un sens, il a peut-être raison : il donne ainsi une chance (perçue ou non comme telle) aux partis politiques de se structurer et de se renforcer pour les prochaines élections. D’autre part, il est clair que ce gouvernement devra avoir le courage de prendre des décisions drastiques et impopulaires que la présence de partis politiques au sein de celui-ci pourrait entraver ; en effet, ces derniers protégeront toujours leur électorat au détriment de décisions adéquates et strictes à appliquer face à un désordre politique et social paralysant la bonne marche du pays. Par contre, il en est tout autre concernant la société civile, également exclue de l’équipe gouvernementale actuelle : sans l’aval et la participation de cette première, la dernière échouera. Que le gouvernement se le tienne pour dit : la ’’suffisance’’ de la diaspora n’aura pas le dessus sur l’expérience du terrain à court, moyen ou long termeÂ…Pa bliéÂ…Ayiti, sé tè glisséÂ… Les ’’Blancs’’ l’ont compris après plus de dix ansÂ…alé wè pou diaspora ! Il serait donc sage que la politique générale de ce gouvernement soit élaborée avec les partis politiques aussi bien que la société civile. En effet, si le Premier Ministre a eu à dire que ’’le moment n’est plus à la parole mais aux actes’’, il faut le prendre au mot. Comment comprendre alors cette exclusion, alors qu’il avait déclaré que le prochain gouvernement serait celui ’’d’une union nationale’’ ? L’équipe en place devrait valoriser les partis politiques surtout après qu’ils aient été ’’diabolisés’’ sous le dictateur. N’oublions pas que les partis politiques et la société civile, pour obtenir le départ d’Aristide, ont fait preuve d’une union, d’une unité historique dont le pays a plus que jamais besoin pour la construction de ses fondationsÂ…Enfin, en ce qui concerne le Conseil des sages, il nous semble que même si ce dernier ralentirait (comme il se dit) les décisions du gouvernement, il est essentiel que les Haïtiens de tous les secteurs y soient représentés. D’autre part, le Premier Ministre devra être confronter à un choix inéluctable : accepter la nécessité d’élargir le Conseil des sages malgré les urgences de tous bords et de donner ainsi à notre démocratie naissante la chance de se doter, à travers des mécanismes et des structures spécifiques, d’une certaine culture politique et démocratique et de pratiquer celle-ci à travers ces dernières. N’en déplaise au Premier Ministre, il devra sans doute faire preuve de patience car si le Conseil des sages ne se transforme pas en Conseil d’Etat, il deviendra, pour le moins, un Conseil de consultation. Enfin, petit rappel, et pas des moindres, si tous les yeux sont rivés sur l’espoir (encore fondé) qu’incarne le Premier Ministre et son équipe, n’oublions pas de mentionner le rôle mineur mais important du président provisoire ; or, son entourage, fait déjà jaser et conspuer les observateurs politiques et la sociétéÂ…Il n’est donc pas étonnant de constater que, jusqu’à ce jour, les directeurs généraux des entreprises publiques n’aient toujours pas été nommés ou désignés. D’autres observateurs prétendent que le côté légaliste du président provisoire est ce qui ralenti ses prises de décision. Espérons qu’ils ont raisonÂ…
Du point de vue économique et structures étatiques, l’héritage de la dictature lavalassienne est catastrophique : pour l’année écoulée, la croissance du pays est estimée à -1,6%, la dévaluation de la gourde a été de 41% par rapport au dollar américain, le chômage avoisine les 70%, le déficit budgétaire tournant autour des 4 milliards de gourdes, un déficit commercial considérablement élevé et un taux d’inflation qui a atteint le record tristement historique de 40%. Ces chiffres ont directement influencé la capacité d’achat des ménages et le prix des produits de première nécessité. D’autre part l’économie nationale fonctionne à 95% sur une base informelle et les revenus des ménages ont connu une chute faramineuse. Suite au premier Conseil des Ministres ce 24 mars, le gouvernement a ’’lâché le morceau’’ : l’Etat haïtien est au bord de la banqueroute. A ce sombre tableau vient se greffer les pertes enregistrées par les attaques des ’’chimères’’ contre le secteur privé avant le départ du dictateur ; pertes estimées à plus de 300 millions de dollars américains. La conjoncture est donc marquée par un double sentiment de désolation et d’espoir, comme l’a fait remarquer l’économiste Jean-Claude Paulvin sur Vision 200 cette semaine. Si la gourde a amorcé une remontée spectaculaire cette semaine, de 45 gourdes à 25 gourdes pour un dollar américain face à l’anticipation du déblocage de l’aide internationale, avant de remonter à 38 gourdes en moins de 24 heures ( !), cela démontre que l’on a rien à envier à l’équipe gouvernementale qui devra faire preuve de courage, d’audace et d’originalité pour faire face à la crise économique du pays. Par ailleurs, le déblocage ou les perspectives du déblocage massif de l’aide internationale, même formulés par les bailleurs de fonds, tardent à se concrétiser. De même que l’absence d’une sécurité réelle à travers tout le territoire national a des incidences directes sur notre économie, elle en a aussi sur le déblocage de l’aide internationale. En effet, tant que la sécurité ne sera pas restaurée, les experts ne se risqueront pas à s’aventurer à travers le pays, ralentissant ainsi, le bilan urgent à évaluer sur les besoins d’une population en crise humanitaire ainsi que l’aide financière à débloquer pour l’ensemble des secteurs concernés. En ce qui concerne la bonne marche des entreprises publiques, là encore, le gouvernement a du pain sur la planche. Ces dernières doivent être réformées or lorsque l’on sait que la Téléco par exemple qui ne devrait pas dépasser 800 employés en compte actuellement plus de 4000, comment le gouvernement fera-t-il face à cette gageure que représente une réforme sérieuse ? Les révocations qui ne devraient pas tarder, n’engendreront-elles pas un boycottage systématique des lignes téléphoniques ? De même que l’EDH, au bord de la faillite, constitue un véritable casse-tête chinois qu’il faudra résoudre au plus vite face aux besoins de la population en énergie.
Enfin, la question de la caducité ou non du parlement haïtien devrait être tranchée au plus vite pour ne pas compliquer une situation qui, déjà , se révèle être quelque peu inextricable.
Les pièges à éviter :
Pour le moment, il est clair que l’un des problèmes majeurs de ce gouvernement est son absence de communication avec la population. Selon nos informations, le chef de cabinet du premier Ministre est issu de la diaspora haïtienne et ne savait même pas quelle radio écouter à son arrivée dans le pays ! Il faudrait donc que des experts en communication, avec l’expérience du terrain, puissent aider et encadrer le Premier Ministre et son équipe. Ceci est d’autant plus important qu’il se développe une tendance actuelle à stigmatiser les forces internationales, en particulier celle des Américains suite à plusieurs incidents survenus ces deux dernières semaines. Les forces internationales pourraient donc rapidement être perçues comme de véritables forces d’occupation si l’on ne communique pas au peuple la nécessité d’observer et de respecter le couvre-feu qui sous-entend que les gens doivent absolument rester chez eux pendant les heures du couvre-feu. D’autre part, il faudrait que le pouvoir en place puisse définir au plus vite et clairement le mandat des forces étrangères afin d’éviter une aggravation de la situation.
Le gouvernement doit également éviter de ’’nager’’ entre la notion de gouvernement d’exception et celle d’un gouvernement constitutionnel, en assumant et précisant publiquement son mandat, sa mission et sa politique générale. S’il se déclare constitutionnel, il devra se plier à organiser des élections dans 90 jours. S’il reconnaît son caractère exceptionnel, il pourra le faire dans deux ans comme prévu dans la proposition d’alternative de la Plate forme Démocratique. D’autre part, les ministres doivent s’aligner derrière le Premier Ministre et ne pas s’égarer dans des déclarations intempestives telles que celles d’Hérard Abraham. De même que le Premier Ministre ne devrait plus privilégier ce dernier à travers des appellations familières telles que ’’mon bon ami et collègue’’ pour éviter d’en faire un super ministre, un fait que la population refusera après avoir vécu sous la puissance destructrice des super ministres lavalassiens. De plus, n’oublions pas que la bonne marche du prochain scrutin, relèvera du Ministre AbrahamÂ…
Enfin, les citoyens Haïtiens notent avec une suspicion certaine que chaque intervention ou prise de décision du Premier Ministre est cautionnée ou confirmée publiquement par l’Ambassadeur américain, M. James Foley. Ce dernier, comme nous a confié un observateur politique est ’’en train de devenir le Mario Dupuy’’ du gouvernement actuel. Cette impression est d’autant plus dangereuse qu’elle peut augmenter la suspicion naturelle des Haïtiens non seulement envers les Américains mais surtout envers le Premier Ministre, pur produit des Nations-Unies. Il serait donc regrettable que par ricochet, Gérard Latortue donne l’impression d’être un ’’gouverneur des Nations-Unies’’ plutôt qu’un premier ministre aux idées innovatrices voulant transformer le système politique haïtien comme il l’a déclaré à Miami avant de rentrer au pays. De plus, selon toutes les informations que nous détenons, les Américains n’ont pas de ’’plan’’ caché pour Haïti sinon celui de nous accompagner dans cette transition. Les Haïtiens ont donc, pour une fois, la chance, l’opportunité et la responsabilité de prouver ce qu’ils veulent et peuvent faire pour leur pays. Cette chance n’en est pas une autre qui passe mais bien la dernière pour Haïti. Il faut donc la saisir sans hésiter et mettre de côté notre pire ennemi : notre suspicion naturelle et souvent malsaine qui frise la paranoïa et nous empêche de prendre les décisions adéquates au moment opportun.
Jusqu’à preuve du contraire, le futur, pour une fois, s’annonce prometteur et porteur d’espoir. Tout en restant vigilant, regardons-le avec courage, responsabilité, sérénité et optimisme au lieu de nous laisser aller à notre tendance pessimiste. Dans un état révolutionnaire, il y a deux classes, les suspects et les patriotes, dit le dicton. Quelle est celle que vous choisirez ?
Nancy Roc, le 26 mars 2004