Par Leslie Péan
Soumis à AlterPresse le 5 juin 2012
La génération des années 60 est arrivée à l’heure des bilans. Betty Sorel Gilles se lance dans l’arène avec la publication de Parcours d’une femme engagée à l’Imprimerie Kopivit-L’Action Sociale. Le sous-titre précise le thème : Aux côtés d’un Leader Politique de Gauche. Betty Sorel Gilles raconte son histoire avec humilité et courage. Bientôt, c’est la retraite. Et la mémoire risque de faire défaut. Elle nous livre son parcours et son vécu avec Serge Gilles, un homme de gauche. Un tour de force qui montre comment l’amour et la politique peuvent se rencontrer et surtout faire bon ménage. En continuant à chercher une réponse possible à l’effondrement des grandes utopies. Mais aussi à l’effondrement haïtien. Une lecture critique des acquis de la gauche haïtienne et de son combat personnel dans une histoire qui est encore en train de se faire et de se défaire sans cesse. Les déplacements significatifs dans la chronologie sont présentés de plain-pied et l’ordonnancement du vécu de l’auteure ne suit pas fidèlement l’ordre du discours.
C’est le cas avec l’accueil donné à Serge Gilles par Pierre Joxe, ministre français de l’Intérieur, à l’hôpital Val de Grâce, après les mauvais traitements subis sous le gouvernement de Prosper Avril. C’est aussi le cas avec la disparition de son frère Ti René Sorel en 2005. Mais cela n’empêche nullement une succession des événements avec un inventaire de tous les lieux traversés. De Paris à Maïssade. De Santo Domingo à la Martinique. D’Albufeira à Port-au-Prince. Échos de souvenirs qui mettent les couleurs vives d’un idéal sur les perceptions désabusées de la vie politique.
Le milieu estudiantin est loin d’être homogène. Il est traversé de multiples courants populistes, marxistes, anarchistes, fascistes. Bref, des courants dont certains veulent changer le monde et d’autres le maintenir tel quel avec ses inégalités, crimes et exploitations qui font l’affaire d’une minorité. Prise dans ce tourbillon, l’étudiante des pays moins avancés (PMA) fait un choix. Betty Sorel Gilles est du côté des opprimés. Du côté de l’avenir. Avec esprit critique. En revenant d’Haïti en 1968, ce choix fait, l’orientation prise et assumée tient compte des inflexions de la vie quotidienne de la société qui l’a accueillie en y ajoutant les épices de son expérience créole pour susciter autour d’elles un cocktail de solidarité et de combats.
Betty Sorel Gilles évoque les événements des quarante dernières années qui ont marqué sa vie avec son compagnon de route. Dans ce genre d’entreprises, certains événements apparemment importants au moment où ils se passaient se révèlent insignifiants dans la durée. Ils sont oubliés ou minimisés. D’autres grandissent au fil du temps. Et ce sont ceux-là, naturellement, qui sont livrés par Betty Sorel Gilles dans son ouvrage Parcours d’une femme engagée . Dans la situation inextricable dans laquelle Haïti est plongée, avec un avenir sombre, Betty Sorel Gilles traque les situations les plus diverses de sa famille, de son monde et de la solidarité internationale.
Un vivifiant parfum de militance de gauche
Betty présente nombre de personnalités, les unes célèbres, les autres anonymes, qui partagent une part de son histoire, et dont les visages traversent l’ouvrage. Dans son parcours, elle a rencontré avec son mari des dirigeants politiques de l’Internationale socialiste, dont Danielle Mitterand, Laurent Fabius, José Francisco Peña Gómez, Willy Brandt, Olof Palme, Leonel Brizola. Les photos prises avec ces personnalités donnent à l’ouvrage un vivifiant parfum de militance de gauche. Il en est de même de celles prises avec d’autres militants qui ont toujours été solidaires du combat mené par le peuple haïtien pour son émancipation. Et avec de nombreux amis, dont moi-même, et une foule des camarades porteurs d’idéaux et de rêves grandioses pour les autres.
De l’accueil des réfugiés politiques à Massy en France en 1968 aux inévitables disputes de couple, on la suit dans sa journée familiale ponctuée d’habitudes bien établies avec ses tics personnels, sa foi religieuse retrouvée suite à la répression des militaires lors des élections massacrées du 29 novembre 1987, ses activités ordinaires de mère éduquant ses deux filles. Betty Gilles n’est pas une féministe militante. Mais elle revendique ses droits et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle n’est pas de celles qui vont jusqu’à penser que la parité des sexes doit s’étendre jusqu’à l’accord des adjectifs qualifiant les noms masculin et féminin. On la suit aussi dans son couple, séduisant inlassablement son mari dans une conquête digne de toutes celles qui ont le cœur bien à gauche. Une mise en situation d’un univers de résistance pour un monde meilleur même quand tout a semblé s’écrouler avec le tremblement de terre du 12 janvier 2010 et l’épidémie de choléra qui a suivi.
La rétrospective permet de voir les moments les plus importants d’une vie. Les jeunes et moins jeunes qui cherchent une direction à donner à leur existence peuvent beaucoup apprendre de l’ouvrage de Betty Sorel Gilles. Dans les tâtonnements pour trouver une direction à leurs activités, ces derniers découvriront les tournants et les pièges à éviter, car bien des « chemins » ne mènent nulle part. Avec un art consommé, l’auteure nous plonge dans la quotidienneté du monde de la militance. Diderot disait « La vie est courte, mais les journées longues. » Elles peuvent être interminables et « le mari de Madame Betty » en sait quelque chose. N’a-t-il pas été sauvé en 1994 d’une inondation près de Léogane par John, ce militaire américain qui sortit de son tank pour lui lancer une corde afin qu’il s’accroche dans les eaux qui l’emportaient avec ses compagnons dans leur voiture ?
Dans la représentation sensible de son vécu, Betty Sorel Gilles indique concrètement comment son intérêt pour la justice sociale n’est pas un rêve. Au-delà d’une simple posture, son intention devient principe. Tant au niveau de la FUSION des Sociaux Démocrates qu’à celui de la Fondation Jean François Exavier (FONJAFE). Ce nom renvoie à ce militant paysan sorti de plus d’une décennie dans les bateyes dominicains et qui retourna en Haïti après 1986, créant une école pour les jeunes démunis dans la région de Mirebalais. Betty prend parti en regardant le chemin parcouru à travers ses activités politiques qui constituent pour elle une force d’appoint.
Le miroir présenté par Betty Sorel Gilles est révélateur de la psychologie d’une génération de femmes scrutant le réel pour combattre l’imposture qui maintient Haïti dans la précarité. Un livre à lire, divertissant, instructif et captivant.