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Regard (Chronique hebdo)

Haïti-Livres en folie : « 35 secondes dans une vie »… , un livre pour se souvenir et réinventer la vie

Par Roody Edmé*

Spécial pour AlterPresse

« C’est finalement grâce aux photos que j’ai pu affirmer le lieu comme matériau plastique et symbolique…en rendre l’ancien contexte inséparable de la sensation présente ». (Ernest Pignon Ernest)

Un beau livre : pour évoquer la plus grande tragédie de notre Histoire, mais aussi pour nous conter autrement notre pays. Un magnifique album de nos splendeurs et décadences.

Tel est le sentiment qui étreint la lectrice / le lecteur en fermant le dernier livre de Charles Tardieu « 35 secondes dans une vie, comment changer de paradigme ».

Un bel « objet » artistique, fruit des efforts conjugués des Editions Zémès et Pleine page, qui n’ont rien laissé au hasard pour rendre ce livre agréable à lire mais aussi à regarder.

L’ouvrage évoque sous un angle assez particulier, dans un émouvant corps à corps entre textes et photographies, les trente cinq secondes fatales du terrible séisme du 12 janvier 2010.

Ce n’est pas un livre de plus sur le séisme, c’est un éclairage nouveau d’un phénomène, rendu plus dévastateur par la folie des hommes. Tardieu jette une lumière crue sur de longues années de négligence, de laisser-faire, qui ont préparé minutieusement l’apocalypse du 12 janvier 2010.

Le drame est rendu dans son ampleur homérique, à travers un émouvant contraste d’avec une nature bucolique, captée, avec émerveillement et enthousiasme, par Tardieu et son équipe.

Il s’agit donc d’un regard tout neuf, lucide et enchanteur sur un pays rêvé, un pays réel, qu’il ne tient qu’à nous de célébrer, mais surtout de faire prospérer. Cette île souriante, où la nature donne, comme dans un poème, « des arbres singuliers et des fruits savoureux » est aussi un territoire malmené par la main « impie » des hommes.

Un territoire, dévasté par l’explosion saisonnière de haines historiques accumulées ; pareilles à l’énergie tellurique des failles géologiques, qui s’accumule pour exploser un jour « d’Armageddon ».
Il y a quelque chose de philosophique à parcourir ces pages qui nous invitent à méditer sur nos insoutenables légèretés, à découvrir un pays qu’on ne prend plus le temps de contempler.

Mais, on apprend surtout des choses sur la « beauté » solidaire des femmes et des hommes, véritables commandos de l’espoir au milieu des ruines démentielles de ce 12 janvier 2010. Il fallait quelqu’un pour leur rendre un hommage mérité, immortaliser leur courage, dans un livre à la mesure de leur qualité d’être.

A la manière d’un reporter, Tardieu nous conte les premiers moments de l’érection du camp de réfugiés du bureau du premier ministre, le soir même du 12 janvier 2010. Le dépassement des femmes et des hommes pour secourir, soigner les victimes de cette explosion trente fois supérieure à celle d’Hiroshima.

On découvre le courage de tout un peuple prenant en main son destin, alors que l’Etat venait d’être « décapité ».

On découvre, comme dans le roman « la peste » de Camus, des personnages, cette fois, en chair et en os, rappelant le combat de l’équipe du Docteur Rieux, personnage fictif emblématique, qui refuse de baisser les bras face à l’absurde.

Les photographies, qui illustrent l’ouvrage, sont comme « enrubannées » dans un florilège de textes qui révèlent, chez le scientifique qu’est Tardieu, des ressources poétiques insoupçonnées.

Une œuvre à la croisée des chemins de l’essai et de la poésie.

Une déclaration d’amour au pays « natal » et à ses enfants qui méritent d’être éduqués.

Une célébration, enfin, de la noble cause de l’éducation, pour conjurer une mentalité magique, pour l’émergence de la femme et de l’homme haïtien nouveaux.

* Éducateur, éditorialiste