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Infrastructure/Frontière

Plaidoyer pour une frontière haïtiano-dominicaine fonctionnelle 24/24

Par Joël Lorquet *

Soumis à AlterPresse le 13 mai 2012

Dimanche 15 avril 2012, arrivé à Santo Domingo en avion la veille pour liquider une affaire urgente, nous avons décidé de regagner Haïti à bord de la compagnie de transport terrestre Terra Bus. Partis à 11h07 du matin, nous fîmes le voyage en moins de 4 heures d’horloge pour arriver à la frontière à 2h55 PM. Cependant, nous étions restés bloqués pendant plusieurs heures à cause du mauvais état de la route : un camion rempli de légumes renversé dans le lac et un trailer enfoncé dans la boue obstruaient la route. Après maintes manoeuvres on a pu arriver à pas de tortue, près de la barrière principale, un peu après 7 heures du soir.

A côté du Terrabus, 6 autres bus de Capital Coach Line, Caribe Tours et d’une autre compagnie dominicaine de transport attendaient. Il faisait encore jour quand on essayait de négocier avec les soldats chargés de gérer la barrière. En dépit de maints contacts établis avec les autorités dominicaines, ils refusèrent de laisser passer les bus. Parmi les passagers figuraient de nombreux étrangers dont des citoyens américains qui voyageaient pour la première fois ; des religieux et d’autres personnalités importantes. Les joueurs d’une équipe de football internationale en provenance de Porto Rico y figuraient également. A noter que l’un des bus transportait un effectif de 83 écoliers d’une institution religieuse de la capitale.

On peut imaginer les passagers des ces 7 bus obligés à dormir dans le véhicule sans aucune préparation d’autant plus qu’il n’existe aucun hôtel ou centre d’hébergement à proximité de la frontière. Et retourner à Jimani n’est pas chose facile, vu l’état impraticable de la route. Les voyageurs n’avaient donc d’autre choix que de dormir dans la situation où ils se trouvaient. Les maringouins et la chaleur se mêlèrent à la partie lorsque le moteur du bus s’arrêta faute de carburant. On devait attendre jusqu’au lendemain pour espérer passer rapidement après l’ouverture des bureaux.

A noter que cela faisait au moins la deuxième fois que ce genre de situation arrivait. Dans de pareils cas, les responsables du bus ne prennent pas en charge les passagers pour les héberger à l’hôtel ou leur donner de la nourriture.

Le lendemain, malgré l’ouverture des bureaux à 8 heures du matin, on était encore là. C’était un lundi, jour de marché, donc le trafic était infernal comme c’est également le cas tous les jeudis. On ne pouvait faire autrement que de continuer à attendre impatiemment, tandis que l’hôtesse ne partageait aucune information à savoir ce qu’on est en train de faire et pourquoi on était encore assis à attendre dans le bus ?

Il était midi quand certains passagers ayant réalisé que rien ne bougeait, et qu’ils allaient perdre une deuxième journée, ont décidé de reprendre leurs effets et rentrer en Haïti par leurs propres moyens. Il fallait faire transporter les bagages à dos d’homme pour des frais de 200 gourdes, marcher dans la boue, puis trouver une motocyclette pour se rendre à Malpasse pour 250 gourdes. Même à moto, le trafic est difficile, car il faut faufiler entre camions et piétons à cause de l’espace trop exigu de la route envahi par les commerçants. Il fallait enfin affréter un minibus pour 1.250 Gourdes pour pouvoir rentrer soit à la capitale ou à la station du bus à Tabarre, où certains avaient garé leur véhicule privé.

Les autorités dominicaines auraient du mieux programmer
les travaux de réfection de la route bordant le lac

Nombreux sont les observateurs qui se demandent pourquoi les responsables dominicains ont-ils décidé de procéder aux travaux de réfection de la route côtoyant le lac en plein jour, à l’heure où plusieurs trailers et bus fréquentent la frontière haitiano-dominicaine ? C’est le cas du Directeur général de Capital Coach Line, M. Roosevelt Jean-François, présent sur les lieux. D’autres pensent que les Dominicains auraient pu travailler durant la nuit, sinon, sachant les problèmes et embouteillages que cela allait provoquer, ils auraient du, ce dimanche-là, prolonger l’horaire de fonctionnement des bureaux et autoriser la fermeture de la barrière frontalière plus tard que d’habitude, une façon de faciliter les nombreux voyageurs ce jour-là.

Si les Dominicains et les Haïtiens étaient plus perspicaces…

Aujourd’hui Malpasse — des deux côtés de la frontière— est dans un tel piteux état qu’il n’a rien à envier avec le marché de la Croix-des-Bossales. « Les commerçantes haïtiennes ne se rendent presque plus jusqu’à Santo Domingo pour faire leurs emplettes, mais envahissent le marché de Jimani chaque lundi et jeudi, car ils obtiennent tout ce dont ils ont besoin », a affirmé un habitué à la frontière.

Si les Dominicains et les Haïtiens étaient plus perspicaces au regard de ce phénomène, les deux gouvernements se seraient entendus pour la construction d’une nouvelle route à partir de Fonds Parisien ; ils auraient fait un accord pour la construction d’un mega-marché binational à Malpasse/Jimani. Certains vont jusqu’à penser que la construction d’un réseau ferroviaire à partir de Jimani réduirait le temps de transport pour atteindre Santo Domingo, et en cas d’urgence certains hommes d’affaires auraient pu se rendre à Santo Domingo et revenir le même jour. Hélas, personne - à part les voyageurs éreintés et perplexes - ne semble s’inquiéter de cette situation aberrante.

Nécessité d’une nouvelle frontière avec des infrastructures modernes

Plus que jamais, il s’avère important et urgent pour les autorités des deux pays de procéder à l’édification d’une frontière moderne avec des infrastructures répondant aux normes internationales en vigueur. Il est temps de penser à transformer les villes frontalières en les dotant de routes standards, de cadres adéquats pour touristes et de bureaux appropriés, comme c’est actuellement le cas à l’étranger. Nous sommes après tout au XXI ème siècle !

Une frontière c’est avant tout un centre névralgique important par lequel s’effectuent de nombreuses transactions économiques. Ne parlons pas de la frontière haitiano-dominicaine où les activités commerciales se sont intensifiées depuis le séisme du 12 janvier 2010 qui a provoqué la destruction du wharf de Port-au-Prince, le principal port de notre pays. Un flot croissant de marchandises et de produits de toutes sortes, y compris des véhicules neufs, transitent régulièrement désormais par les quatre principaux points de la frontière, et plus particulièrement celui de Jimani-Malpasse.

Dans un pays « sérieux » une frontière ne devrait jamais être fermée

Dans la plupart des pays du monde, les frontières fonctionnent de manière permanente. Pourquoi Haïti (un pays qui se veut comme tous les autres) doit-elle toujours faire la différence et toujours dans le mauvais sens, s’interrogent certains passagers. Un Haïtien vivant à Boston, après avoir séjourné pendant plusieurs années en France, et qui pour la première fois visitait la République Dominicaine, déclare : « Quand je voyage aux Etats-Unis, la frontière qui les sépare avec le Canada est ouverte 24 heures sur 24 ». Il dit ne pas comprendre pourquoi ici on ne peut traverser la frontière que seulement de 8 heures du matin jusqu’à 6 heures du soir (heure de la République Dominicaine). Que faire en cas d’urgence au cours de la nuit ?, s’interroge-t-il. Il n’est pas normal qu’en 2012, à l’heure où l’on parle de développement transnational ou transfrontalier, que les voyageurs doivent continuer à faire face à une question d’horaire de fonctionnement. Ce serait tellement simple, à l’instar des autres pays, notamment en Europe, de faire fonctionner la douane et les services d’immigration à longueur du jour et de la nuit avec 3 groupes d’employés à raison d’une rotation de 8 heures chacun. Le fait de travailler le soir ne devrait réduire en aucune façon la rigueur requise dans le travail des fonctionnaires affectés à ce service.

On sait très bien que cette situation de fermeture de la frontière un dimanche après-midi a occasionné de nombreux problèmes ce jour-là pour les passagers qui devaient se rendre à leur travail le lendemain, et pour ceux-là qui pensaient prendre l’avion pour retourner dans leur pays de résidence. Malheureusement, ils ont été obligés de modifier leur emploi du temps.

Reste à savoir si ce nouveau cri d’alarme sera entendu des autorités des deux pays partageant notre île. Espérons donc contre toute espérance.

* Ancien journaliste, entrepreneur

Contact : joellorquet@yahoo.com