P-au-P, 8 mai 2012 [AlterPresse] --- Le Centre socioculturel des jeunes de Ganthier, la famille Louis-Juste, le Cercle d’Etude en Littérature Gramscienne (Sèk Gramsci en créole) et l’Asosyasyon Kominikatè ak Kominikatèz Popilè (Akp) entre autres organisations ont réfléchi le 6 mai 2012 à Ganthier (au nord-est de la capitale) sur « la portée et l’actualité de l’œuvre du professeur Louis-Juste ».
Né dans cette ville le 6 mai 1957, Jn Anil Louis-Juste a été assassiné par des tueurs à motos le 12 janvier 2010 à Port-au-Prince, quelques heures avant le tremblement de terre. Ce meurtre qui a profondément choqué et marqué n’a toujours pas été élucidé.
Ce 6 mai 2012, le professeur aurait eu 55 ans.
Ganthier ce 6 mai
La ville est calme. On ne voit presque personne dans les rues. Pas un tap tap à la station Croix-des-bouquets/Ganthier près du commissariat. Il est presque 14 heures et le soleil tape sur la ville.
Des roulements de tambours et des chants démentent l’impression de calme… Le bâtiment du complexe administratif de Ganthier envahi par des dreads, des carabellas, des colliers, des bijoux artisanaux. La troupe culturelle du Sèk Gramsci est déjà arrivée !
Attroupement de curieux et de jeunes autour de certains textes de Jn Anil Louis-Juste (publiés sur le site d’AlterPresse), affichés à l’entrée et sur les murs du complexe administratif de Ganthier construit en 2005 sous la présidence de Boniface Alexandre, un ganthierois.
Un chant s’élève. « Boukman du Bois Caïman, on t’appelle mais on ne te détourne pas… ». La voix n’a pas le temps de terminer qu’une autre précise qu’il faut invoquer plutôt Jn Anil, car « il a son mot à dire dans la situation d’occupation du pays ». Un sourire satisfait s’esquisse sur le visage d’une nièce du professeur venue participer à l’activité.
Au centre socioculturel
Le centre socioculturel des jeunes de Ganthier est situé à la rue Saint-Pierre du côté sud du complexe administratif. Au dos de ce bâtiment, un espace vide…et c’est là que s’érigeait l’école de bourg de Ganthier devenu par la suite « école nationale Saint Pierre de Ganthier ».
Jn Anil Louis-Juste y a fait ses études primaires, informe Alix Dérival, ganthierois, ingénieur civil ancien condisciple de Louis-Juste qui le présente comme un modèle pour la jeunesse ganthieroise.
« C’était l’élève le plus intelligent de l’école. On a fait de la maternelle jusqu’à la classe préparatoire II [2ème année fondamentale] ensemble. Après, vu son niveau, il a été exempté de la classe élémentaire I [3ème année]. Il est passé directement en élémentaire II [4ème année] » explique-t-il.
Le temps de nous jeter ces quelques mots, un roulement de tambour annonce qu’une projection va commencer.
Dans la salle décorée de pièces artisanales en fer, une cinquantaine de participants et de participantes dont des étudiants et étudiantes de la Fasch, des parents et des jeunes de Ganthier assiste à la projection d’une émission à laquelle Jn Anil Louis-Juste a participé sur la télévision nationale le 17 octobre 2008.
Présentée par le journaliste Eddy Jackson Alexis, cette édition de l’émission Haïti Demain a été consacrée à « réhabiliter la mémoire de Jean-Jacques Dessalines ».
Dans cette émission, Jn Anil Louis-Juste a présenté le projet de liberté pleine (libète byennèt) de Dessalines comme la route incontournable à prendre pour que « chaque Haïtien arrive à jouir pleinement du fruit de son travail » pour arriver à une « socialisation radicale du capital ».
Louis-Juste a également montré toutes les limites de la liberté lacunaire « révolution bourgeoise de 1789 » opérée en France par rapport à ce qu’il appelle « la liberté pleine pour la vie » prônée par la révolution haïtienne de 1791 [en référence « au congrès politique du 14 août 1791 »].
La projection s’est terminée par des « Camarade Janil ! Présent », devenu depuis le 12 mars 2010, à l’occasion du premier hommage au « professeur-militant-dessalinien-communiste », le slogan de ralliement de tous ses partisans.
Des commentaires de Jean-Louis Louis, ancien camarade et étudiant ayant travaillé son mémoire de sortie à la Fasch sous la direction du professeur, ont suivi.
Louis estime que Louis-Juste et Dessalines se rencontrent sur bien des points, sur le fait notamment d’« épouser tous les deux la cause des opprimés, de combattre avec acharnement le capitalisme sous toutes ses formes et de lutter pour la souveraineté des peuples ».
Pour le sociologue Jean-Louis Louis, Haïti en général, et Ganthier en particulier, doit se reconnaitre dans les valeurs de « l’idéal dessalinien endossé par Jn Anil car il est une philosophie pouvant créer la vie ».
Jn Anil vu par ses proches
Ayant bouclé ses études primaires à Ganthier en 1971, Louis-Juste est entré au lycée Alexandre Pétion d’où il est sorti en 1978.
Malgré son désir d’étudier la médecine, il sera obligé de se tourner vers la faculté d’agronomie de l’Ueh sur l’insistance de son frère ainé Jean Louis-Juste qui travaillait déjà au « département de l’agriculture » et qui voyait en son frère un futur-agronome, « sa revanche personnelle contre certains employés qui le ridiculisaient », confie Laventure Siméon demi-frère de Louis-Juste.
Laventure présente Louis-Juste comme « un rebelle et un révolutionnaire depuis son enfance ».
« Ce pays regrettera pendant longtemps la mort d’un intellectuel du calibre de Anil », déclare Laventure qui croit que si son frère avait voulu passer les vacances avec lui à New York, après l’empoisonnement de son fils au Canada, il serait encore vivant.
Pour Magareth Louis-Juste, sœur du professeur, « Anil restera à tout jamais dans le cœur de sa famille car le lien familial était sacré pour mon frère ».
Louis-Juste appelait affectueusement sa sœur « chérie » au lieu de son prénom.
Marie Paule Pierre, professeure de travail social de groupes et d’animation sociale à la Fasch et compagne de Louis-Juste, confesse que son « zanmi-kanmarad-konpayèl-pwofesè (Ami-camarade-compagnon-professeur) » a été sa « source constante d’inspiration et de défi ».
Après avoir assisté impuissante à l’assassinat de son compagnon, madame Pierre nous confie que « le seul cadeau digne de lui que j’ai trouvé à lui offrir a été ma thèse de maitrise que j’ai défendue le 6 mai 2010 à Cordoba [Argentine], date où il aurait 53 ans. ».
« Cohérence, unité et poésie de ses écrits sont des qualités qui sont respectées de ses adversaires intellectuels comme des professionnels, des étudiants et des politiques », estime Pierre.
Jn Anil Louis-Juste, ingénieur-agronome, journaliste politique (études faites en France 1986-1988), docteur de l’université fédérale de Pernambouc (Recife, Brésil), professeur d’université, militant politique communiste, laisse à la postérité une œuvre considérable.
Parmi ses ouvrages on retrouve : Introduction à la problématique du développement Communautaire en Haïti (1993), sociologie de l’animation de Papaye (1997), De la crise de l’éducation à l’éducation de la crise en Haïti (2003), Guide méthodique d’analyses de documents en sciences humaines (2007), et La société civile à l’épreuve des luttes de classes en Haïti (2008).
Dans sa lecture de la crise de la société haïtienne, Louis-Juste a forgé des concepts dont le « servo-capitalisme haïtien » pour désigner la situation de dépendance des « grandon-bourgeois » haïtiens par rapport au capitalisme mondial.
Il désigne sous le concept d’International Communautaire, la « soit-disant communauté internationale et ses appareils politico-économico-idéologiques » pour mater toute lutte ancrée dans l’idéal du communisme.
La grande proposition pédagogique de Louis-Juste est développée dans ses « thèses pour une école solidaire en Haïti et une école écologique de citoyenneté pleine », selon sa compagne qui y voit la « première grande contribution de Jn Anil dans la construction de l’histoire de l’humanité ». [efd kft gp apr 08/05/2012 10:30]