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Haïti/Migration/Amérique latine : Une nouvelle vie pour les migrantes et migrants haïtiens au Brésil

malgré des zones d’ombre

Par Wooldy Edson Louidor

Bogotá, 05 mai 2012 [AlterPresse] --- Les migrantes et migrants haïtiens, qui étaient bloqués depuis le 13 janvier 2012 à Tabatinga et à Iñapari, deux frontières du Brésil, ont finalement été autorisés par l’administration de la présidente Dilma Rousseff à entrer sur le territoire du géant sud-américain, apprend l’agence en ligne AlterPresse.

Cette décision du gouvernement brésilien a mis fin au périple de ces migrantes et migrants depuis leur pays d’origine vers le Brésil, après avoir transité (la majorité d’entre elles et d’entre eux) en République Dominicaine, en Équateur et au Pérou.

D’autres avaient passé par le Chili et la Bolivie, ou emprunté d’autres voies (l’Argentine, par exemple), dans la vaste région sud-américaine, pour arriver à leur destination finale au Brésil.

Cependant, au milieu de cette lueur d’espoir, persistent des zones d’ombre quant à cette nouvelle vie qu’ils commencent dans un pays qu’ils ne connaissent pas.

Une décision tant attendue

Le 5 avril 2012, le ministère de la Justice du Brésil a annoncé la décision du gouvernement de Dilma Roussef d’autoriser l’entrée, sur son territoire, de 245 migrantes et migrants haïtiens bloqués à Iñapari - localité péruvienne frontalière avec le Brésil et la Bolivie au milieu du fleuve Acre -, et d’un autre groupe de 363 Haïtiennes et Haïtiens en détresse à Tabatinga au cœur de l’Amazonie brésilienne.

Ces migrantes et migrants s’étaient vu refuser l’accès au Brésil, après que le gouvernement brésilien - à travers le Conseil national [brésilien] de l’immigration (CNIg) - a pris une résolution normative sur les migrants haïtiens, publiée le 13 janvier 2012 dans le journal officiel du pays.

Par cette résolution, le Brésil a régularisé toutes les Haïtiennes et tous les Haïtiens en situation migratoire irrégulière, entrés sur son territoire jusqu’au 12 janvier 2012.

Du même coup, celles et ceux - qui arrivent au pays ou à ses frontières, de manière irrégulière, après cette date-limite fixée par la résolution - se sont vu refuser l’entrée sur le territoire et ont été invités à rebrousser chemin, sous menace de déportation.

En dépit de la difficile situation humanitaire, à laquelle les 608 migrants haïtiens, dont des femmes enceintes et des enfants, faisaient face aux deux frontières brésiliennes, l’administration brésilienne leur refusait catégoriquement l’accès à son territoire.

Suite aux pressions intenses exercées par les mairies locales, péruviennes et brésiliennes, des organisations non gouvernementales, des organismes de droits humains - basés dans les trois pays (le Brésil, le Pérou et la Bolivie) et en Haïti -, la presse alternative, des associations de migrantes et migrants haïtiens au Mexique et en Équateur et les migrants bloqués, le gouvernement brésilien a flexibilisé sa posture et pris finalement la décision tant attendue.

Grâce à ladite décision, les migrantes et migrants bloqués ont été amnistiés.

Ainsi, ont-ils pu bénéficier de la régularisation migratoire, établie par la résolution normative du 13 janvier 2012.

Lueur d’espoir

Du 14 au 23 avril 2012, les 363 migrantes et migrants bloqués à Tabatinga, ville brésilienne frontalière avec le Pérou et la Colombie, ont reçu, de la police fédérale de la même ville, le protocole de réfugiés, document officiel qui leur octroie, de manière provisoire, le statut migratoire légal.

Munis de ce document, elles et ils ont pu voyager en bateau, par groupes de 100 personnes, vers Manaus, capitale du département de l’Amazonie brésilienne.

Désormais, à Manaus, elles et ils peuvent initier les démarches pour l’obtention de leurs carnets de travail et, ensuite, de leur résidence permanente (valable pour 5 ans et avec possibilité de renouvellement) « pour raisons humanitaires ».

Les 245 migrantes et migrants haïtiens à Iñapari ont directement reçu des visas, leur permettant d’entrer en territoire brésilien.

Il y a lieu de souligner l’effort des autorités locales d’Iñapari, dont le maire Celso Curi, auprès des gouvernements centraux du Brésil et du Pérou, pour résoudre la crise humanitaire à laquelle les migrantes et migrants étaient confrontés dans cette région pauvre de la frontière.

Crise humanitaire, qui a été aggravée par les carences en eau potable et en nourriture, et ensuite par des inondations provoquées par le débordement du fleuve Acre !

Depuis la fin du mois d’avril 2012, toutes les migrantes haïtiennes et tous les migrants haïtiens antérieurement bloqués se trouvent à l’intérieur du Brésil. Ils ont été accueillis dans des villes brésiliennes, où les conditions de vie sont meilleures.

Enfin, une lueur d’espoir pointe à l’horizon. Ils commencent une nouvelle vie.

Le début d’une nouvelle vie à Manaus, obscurcie par des zones d’ombre

Cependant, persistent des zones d’ombre pour la grande majorité de ces migrantes et migrants régularisés, qui ne connaissent rien du Brésil et ne parlent même pas le portugais.

En premier lieu, l’administration brésilienne n’a encore communiqué, à l’intention de l’opinion publique, aucun plan ni politique d’intégration en faveur de cette population, en dépit de l’insistance des autorités locales et de la société civile, dans les villes d’accueil, auprès du gouvernement central.

Par exemple, à Manaus, où se sont établis plus de 4,600 Haïtiennes et Haïtiens depuis le 12 janvier 2010, les différents groupes et organismes de la société civile de la capitale amazonienne, dont les Jésuites, ont dû accueillir eux-mêmes ces migrantes et migrants, et leur offrir l’assistance humanitaire et les premiers services sociaux de base, tels : logement, alimentation, santé…

À leur arrivée au port de Manaus, les Haïtiennes et Haïtiens ont été accueillis par la pastorale de migrantes et migrants de l’archidiocèse de la ville, laquelle leur a fourni les premières informations et orientations au sujet du processus migratoire (à suivre pour finaliser leur régularisation), au sujet des conditions d’emploi, etc.

La majorité de celles et ceux, qui n’ont pas d’endroit pour vivre, principalement les groupes vulnérables (comme les femmes enceintes et des familles avec enfants), ont été logés dans des paroisses et d’autres zones de la ville.

Ils ont également reçu l’attention humanitaire primaire, l’accompagnement psychosocial, les premiers soins et d’autres types de services.

À souligner le travail réalisé par le service pro-haïtien des Jésuites de l’Amazonie, lequel offre des services en traduction (Créole / Portugais) à des entités publiques et privées qui ont besoin de communiquer avec les migrantes et migrants dans le cadre de la fourniture des services sociaux et des démarches migratoires.

Le même service, dont les membres parlent Créole, constitue un espace, auquel les migrantes et migrants accèdent pour raconter leurs expériences, leurs problèmes, et recevoir un accompagnement psychosocial ainsi que des conseils et des orientations, en vue de leur intégration au niveau personnel et dans le marché du travail.

Une autre difficulté, à laquelle font face les migrantes et migrants haïtiens, c’est la recherche de l’emploi. Seulement 10% d’entre elles et d’entre eux ont pu avoir accès au travail, dont la rémunération est considérée (par eux) comme « misérable ».

Beaucoup d’entre elles et d’entre eux envisagent de laisser Manaus pour aller s’installer dans d’autres villes brésiliennes, où ils espèrent trouver de meilleures opportunités de travail.

Cependant, comment se rendre dans une grande ville, comme Sao Paolo, Brasilia ou Río de Janeiro, s’ils n’y connaissent personne, ni aucune institution qui puisse les accueillir et les aider, et sans avoir aucun pied-à-terre dans ces villes-monstres ?

Fini le processus de régularisation migratoire, le grand défi reste et demeure pour ces migrantes et migrants : leur intégration digne et humaine au Brésil. [wel rc apr 05/05/2012 0:00]