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Haïti-Presse : Regards sur les pratiques journalistiques

P-au-P, 7 mai 2012 [AlterPresse] --- A l’ occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, plusieurs journalistes ont dressé, le jeudi 3 mai, un panorama contrasté de la liberté de la presse depuis l’entrée en fonction du président Michel Martelly.

« De nouvelles voix, la liberté de la presse aide à transformer les sociétés », est le thème qui a été retenu pour cette année.

Contactés par AlterPresse, des journalistes dressent un bilan partagé.

Ces journalistes, dont le coordonnateur de Sos Journalistes, Guyler C. Delva, fustigent l’attitude du chef de l’Etat.

« Le président invite les patrons de presse mais évite les journalistes », déclare Delva, en référence à l’invitation de Martelly adressée aux partons de medias ce 3 mai. Delva déplore la mise à l’écart des responsables de médias des villes de provinces à cette rencontre.

La journée mondiale de la liberté de la presse concerne au premier chef ceux qui font le travail de l’information. « Ce serait le moment pour le président Martelly de les encourager dans leur travail ».

Cependant « durant la présidence de Martelly, la liberté de la presse est garantie. Je ne peux pas dire que le président ait pris des décisions qui empêchent le fonctionnement de la presse. Ce temps est tout simplement révolu, l’exercice de la profession est garanti », indique le responsable de Sos Journalistes.

Delva met les écarts de langage, les humiliations publiques faites à ses confrères par Martelly sur le compte d’un style propre au président, de son franc parler. Toutefois, il invite le chef de l’Etat à « utiliser plus de diplomatie dans ses déclarations publiques et faire beaucoup plus d’attention ».

Depuis la campagne présidentielle de 2010, l’ancien chanteur a souvent eu des attitudes agressives envers les journalistes, à qui il avait même demandé de se « taire ».

Le 3 mai, lors de sa rencontre avec les patrons de medias, il a déploré que ses tentatives de rapprochement avec la presse n’apportent pas de résultats. Et désormais, il ne se fera plus accompagner de journalistes dans ses voyages, ni ne les invitera à des conférences à l’aéroport avant et après ses voyages, a-t-il fait savoir.

Pour Marie Guyrleine Justin, responsable de programmes au Rezo Fanm Radyo Kominotè Ayisyen (Réseau de Femmes des Radios Communautaires Haïtiennes/Refraka) comme pour Marie Raphaëlle Pierre, rédactrice en chef à Radio Ibo, la liberté de la presse n’est pas en bonne santé en Haïti. Elles se réfèrent notamment aux agissements de Martelly et à l’impunité dont jouissent les assassins et agresseurs des journalistes.

Quelle justice pour les journalistes ?

Guyler Delva a informé que la justice haïtienne progresse sur plusieurs dossiers de journalistes assassinés dans l’exercice de leur fonction, notamment Jean Dominique et Brignol Lindor.

Le dirigeant de Sos Journaliste a aussi reproché à ses confrères de ne pas trop parler de certains cas de journalistes victimes. Pour lui, cette indifférence dans la corporation conforte les décideurs qui trainent sur certains dossiers.

Les femmes dans la profession

Pour Marie Guyrleine Justin de Refraka, « être femme-journaliste en Haïti est un défi ».

« Les relations entre hommes et femmes ne sont pas égalitaires. C’est encore plus criant dans les radios communautaires où les clichés bibliques de supériorité des hommes sur les femmes sont encore très présents », déplore Justin.

A cela, la responsable de Refraka ajoute l’insécurité et les risques de viols qui empêchent les femmes de travailler dans des médias communautaires situés dans des zones éloignées.

S’inspirant de son parcours personnel, Marie Raphaëlle Pierre, déclare que ce sont ses efforts « qui lui ont permis d’intégrer valablement les différents médias pour lesquels elle a travaillé. »

Pierre a aussi déploré le manque de femmes dans les salles de nouvelles. Aussi les femmes journalistes doivent « continuer à se former pour pouvoir exceller dans la profession et servir valablement le pays », recommande t-elle.

Pierre n’a pas manqué de faire l’éloge de la qualité du travail des collaboratrices rencontrées sur son parcours, sans pour autant dire que « les femmes journalistes sont supérieures aux hommes ».

Insistant sur le volet formation, Raphaëlle Pierre invite la presse à continuer à se responsabiliser socialement. Elle a aussi rappelé que ce sont « les journalistes qui ont tiré la sonnette d’alarme sur les premiers cas de choléra ».

A l’occasion de cette journée mondiale de la presse, Marie Guyrleine Justin invite les journalistes à réfléchir sur la situation de la presse haïtienne et sur les questions d’éthique journalistique, la corruption dans les médias et notamment la pratique du « journalisme de marché ». [jep efd apr 7/05/12 08:00]