Par Ralph Henry
P-au-P, 2 mai 2012 [AlterPresse] --- Dans les bus de transport en commun, il existe un spectacle, un jeu étrange où Dieu, des notions de bienséance et les médicaments tiennent une place de premier plan, avec à la clé une guérison miracle, observe AlterPresse.
« Voyez-vous, sur ce produit, il est écrit Soulagex et c’est bon pour soulager toutes les douleurs ». C’est ainsi qu’un homme vante les mérites d’un médicament, dans un bus faisant le trajet Port-au-Prince-Clercine (nord de la capitale).
Dans un bus à Pétionville (est), un autre vendeur, trainant un gros sac vert rempli de médicaments, tient le même discours, empreint de divertissement.
Après une bonne vente, comme un médecin, il rappelle aux acheteurs qu’ « il ne faut pas avaler les comprimés avec de l’eau glacée, car ils se durciront ».
Le commerce de la santé miracle
Cette habitude de vente maintenue dans les bus de transport en commun est surtout assurée par des agents de l’Association de jeunes promoteurs haïtiens qui a déjà 6 années d’existence, suivant des informations recueillies par AlterPresse.
D’après un des membres de l’Association, les médicaments sont mis dans un entrepôt et les agents passent les récupérer pour aller travailler le matin. L’association achète les médicaments auprès de certaines agences pharmaceutiques nationales.
En échange l’Ajph exige que ces dernières organisent des formations pour ses vendeurs. Les agences pharmaceutiques donnent un pourcentage de la vente aux médecins formateurs et l’Ajph donne un pourcentage aux vendeurs.
En tout cas, « il s’agit de commerce et non de santé », réagit la sociologue et militante de défense des droits humains Danièle Magloire, interrogée par AlterPresse sur la question. .
« Sans consultation, sans examens médicaux, les gens se mettent à avaler des médicaments », s’exclame la sociologue Danièle Magloire qui évoque avec ironie des « médicaments miracles ».
« C’est très compliqué car déjà dans notre culture nous évoquons souvent des maladies surnaturelles (…) et le manque de recherche dans le domaine de la santé est vraiment un danger », déplore pour sa part le docteur Josette Bijou, ancienne ministre de la santé.
Les dangers
On retrouve des médicaments en vente partout, dans les tap-tap, mais aussi disposés en rouleaux en plein soleil, babels incroyables. En réalité, les normes de stockage sont rarement respectées, alors que les consommatrices et consommateurs achètent ces médicaments qu’ils avalent comme des bonbons.
« Toutes les substances actives ou le principe actif des médicaments sont généralement allergiques aux soleils. Les médicaments sont sensibles à la chaleur » : un rappel pharmacologique, mentionné par la docteure Josette Bijou dans le cadre d’un interview à AlterPresse.
« Résistance, épidémie, intoxication et allergie », sont parmi les risques que courent ces consommatrices et consommateurs, nous dit le spécialiste et chercheur en système de santé publique, Junot Félix.
« Et si plusieurs personnes d’une communauté présentent une résistance face à un même médicament cela peut provoquer une épidémie », nous explique le docteur Félix.
Par ignorance réelle des « posologies », les consommateurs frôlent l’intoxication, en fait, « un comprimé, une capsule ou une cuillerée d’un sirop quelconque ne résout pas le problème » si « on ne maintient pas une dose du principe actif dans le sang », précise Félix.
La culture de l’auto-médication a la vie dure
Le phénomène de la liquidation des médications dans n’importe quelles conditions « traduit la difficulté des gens d’avoir accès aux soins avec une consultation qui coute trop chère, la représentation que les gens se font de leur corps, de leurs maladies facilite leur tache aux vendeurs qui veulent convaincre les consommateurs », explique Danièle Magloire.
En 2011, les autorités humanitaires ont estimé que 47% de la population n’a pas accès aux soins de santé de base.
Une autre cause est « la pratique des médecins qui n’expliquent pas aux patients ce dont ils souffrent exactement tout en faisant le rapport entre la maladie et le médicament », signale la sociologue.
Plus encore, « tout le monde joue au médecin : pour avoir bénéficié du bienfait d’un médicament on le prescrit à tout le monde sans tenir compte des particularités que présente le cas de l’autre », ajoute t-elle.
Pour la docteure Bijou, la pratique culturelle haïtienne « d’automédication » est à la base de cette anarchie dans la vente et la consommation des médicaments en Haïti.
Contactée par AlterPresse, une source au ministère de la santé publique et de la population (Mspp), estime que « la pratique observée est la partie visible d’un réseau commercial, qui ne se résume pas aux détaillants qui sont dans la rue ».
« Une faiblesse : la mise en application du cadre légal régissant le secteur pharmaceutique et du mécanisme de coordination interministériel, la régulation du secteur commercial (…) de même que le dispositif juridico policier » sont d’autres paramètres à prendre en compte dans ce phénomène que le Mspp dit ne pas pouvoir « éliminer » seul.
« Le manque de contrôle des circuits d’importation et de distribution de médicaments » laisse également la porte grande ouverte au fonctionnement de ce commerce, toujours selon la même source.
L’ancienne ministre de la santé, Josette Bijou, ne mâche pas ses mots et indique qu’ « on risque de ne jamais parvenir à éradiquer le phénomène par la force car les problèmes haïtiens sont réputés compliqués ».
Josette Bijou qui en 2004, avait lancé, sans succès, une campagne pour éliminer le phénomène, prône « une négociation aboutie ».
Cette « négociation aboutie » mettait surtout l’accent sur la rencontre les agences et les laboratoires de fabrication, la sensibilisation de la population, le contrôle de la frontière haïtiano-dominicaine, l’identification des gros vendeurs, le rachat et la destruction des médicaments qui se vendent dans de mauvaises conditions, la réorientation des vendeurs et la coercition pour les cas de récidive.
Résoudre le problème reviendrait à « investir dans l’éducation de la population », estime le docteur Junot Félix, c’est-à-dire la mise « en place de stratégies qui permettent de communiquer directement avec la population ».
Félix propose l’établissement de mécanismes pour permettre à la population de s’exprimer sur la question.
De son côté, le ministère de la santé serait en train de relancer sa Politique pharmaceutique nationale (Ppn).
Le ministère parviendrait ainsi à la promotion de l’usage rationnel des médicaments, la régularisation de la médecine traditionnelle, la sensibilisation des concernés, depuis les laboratoires et agences de fabrication aux pharmaciens, la création d’une commission nationale du médicament et l’activation du processus d’implémentation d’un système unique de gestion des intrants pharmaceutiques. [rh kft gp apr 2/05/2012 10 :35]