Par Roody Edmé *
Spécial pour AlterPresse
« La police fera son travail jusqu’au bout », proclame-t-on sur tous les tons au sommet de la hiérarchie. Le ministère de la justice et ou le ministère de l’intérieur condamnent régulièrement la présence d’hommes en armes dans les rues. Et puis…rien ! Il n’est pas bon en matière de gouvernance publique d’annoncer des mesures qui en fait sont des « mesurettes » ou sont nulles et non avenues, de laisser fonctionner à vide la machine de communication « bien rodée » de la présidence. Dans certains cas trop de « com » tue la « com ».
Quand on n’a pas les moyens de sa politique, il faut se méfier des effets d’annonce. A force d’imprécations et d’interpellations pour le retour de l’Armée, une armée a fini par sortir « du bois », comme un loup qui n’a perdu aucun de ses crocs et qui a gardé ses instincts de chasseur. Elle fonctionne avec les mêmes travers qui ont entraîné sa disparition. A savoir ultimatums au gouvernement civil et à la société, stratégie de conquêtes de facto de l’espace physique et politique.
Personne ne peut contester la nécessité de verser leurs indemnités aux anciens militaires. Ce pays creuse depuis trop longtemps son sillon dans l’injustice et l’oubli. Mais en même temps, une injustice ne doit pas masquer une autre. On ne doit pas construire notre nouvelle armée sur le site contaminé de l’ancienne ; en faisant comme s’il ne s’était rien passé, sans devoir de mémoire, au risque de recommencer les mêmes erreurs qui sont le propre d’un Etat et d’une société frappés d’amnésie chronique.
La politique haïtienne a trop longtemps été un « mélange de bavardage et d’omerta ». Elle se doit d’être fondée dans le granit des institutions, dans la lutte résolue contre l’impunité, dans le sérieux et le suivi des actions annoncées. Sinon la population perdra définitivement confiance, tout comme les policiers qui sont descendus dans les rues suivant ainsi l’exemple des manifestants qu’ils ont dû réprimer par le passé au nom de « l’ordre public ».
Le Chef de la police et les fonctionnaires de la Sécurité publique ont tenté d’aborder les problèmes franchement cette semaine, en ciblant les attitudes de certains policiers reproduisant les délits qu’ils sont censés combattre, ou la négligence de quelques autres assurant nonchalamment leurs services, comme entre autres facteurs expliquant la facilité avec laquelle ils sont abattus par leurs bourreaux. Des réunions sont tenues avec les comités de quartier pour un maillage sécuritaire de la Cité.
C’est un début de rupture avec la langue de bois, mais il faut faire plus. Comme par exemple, qu’on arrête de saborder le travail de la police à chaque fois qu’une enquête est prête d’aboutir. Qu’on cesse d’inciter, et cela ne date pas d’aujourd’hui, ses meilleurs cadres à partir comme s’il s’agissait d’une hémorragie provoquée.
Et puis, il faut faire reculer l’impunité qui n’a de cesse de croître, parce qu’à force de ranger des cadavres dans l’armoire, il ne peut plus se fermer.
Tout présumé bandit, une fois qu’on l’ait exhibé comme un animal de foire, sous les flashs des photographes et les caméras de télévision, finit par revenir un jour se venger de cette société hypocrite incapable de le juger et si nécessaire de le punir.
Divorcer avec la langue de bois, c’est arrêter de dire d’un côté qu’on veut doter le pays d’un gouvernement et jouer les prolongations pour servir on ne sait quel dessein. C’est de l’autre côté ne plus pratiquer un leadership solitaire dans une démocratie de type référendaire, ce qui est depuis plus d’une décennie, le ver dans le fruit de notre jeune démocratie.
C’est enfin jouer franc jeu et commencer à remonter la pente lentement mais sûrement.
* Éducateur, éditorialiste