Par Edner Fils Décime
P-au-P, 13 avril 2012 [AlterPresse] --- Après les fortes pluies qui ont fait déferler des torrents sur la commune de Delmas, les déplacés du « camp Henfrasa », situé à Delmas 33 (périphérie nord), accumulent des nuits blanches, difficiles, passées dans une lutte ingrate contre l’eau.
Ce « calvaire » perdure depuis le début de la saison pluvieuse, selon les informations recueillies sur place par AlterPresse.
« Il suffit que le ciel s’assombrisse pour que nous commencions à trembler. La pluie c’est notre première ennemie ici. Cela revient à grimper un mât de cocagne presque tous les après-midis », raconte un déplacé.
Ce camp de déplacés hébergeant 700 familles environ est érigé sur une partie des terrains du complexe sportif Henfrasa, dirigé par Acédius Saint-Louis, ancien général des Forces armées d’Haïti, dissoutes en 1996 par l’ancien chef d’État Jean-Bertrand Aristide.
On entre…
En franchissant l’entrée Nord du camp, la musique « Rabòday » qu’écoutent des jeunes déplacés contraste avec la réalité du site devenu chantier d’évacuation de l’eau de pluie qui a envahi les tentes.
Un ancien déplacé, qui vient de temps à autre visiter ses camarades d’infortune, conduit AlterPresse au bureau du responsable du camp.
Précautions.
« On ne passe pas par cette route, tu perdras tes chaussures », met en garde le guide.
Il montre à AlterPresse un petit sentier où quelques morceaux de parpaings disséminés dans une mare facilitent le passage.
Plongé dans des papiers, stylo à la main, dressant des listes, Rénald Joseph affiche la posture d’un fonctionnaire qui n’a pas de temps à perdre. Il déclare : « laissez le journaliste vérifier, de par lui-même, comment nous sommes livrés à nous-mêmes. »
Une jeune dame, Esther Compas, est chargée de nous conduire dans « notre bain de boue et d’eau sale ».
Problème. Il nous faut des bottes en caoutchouc.
Finalement, deux bottes, qui ont servi aux travailleurs d’un Cash for work, nous sont empruntées.
« Ce sont des outils qui m’ont permis de ne pas crever de faim après le 12 janvier (2010). Prenez-en soin ! », préviennent nos bienfaiteurs.
Bottes chaussées…nous filons entre les tentes.
« Vous n’avez rien à craindre. Nous avons du matériel solide », lance Esther.
Bâches défripées, rapiécées ou scotchées constituent les abris des déplacés quand elles ne servent pas à recouvrir des « shelter box » usés, troués ne protégeant les habitants que partiellement contre le soleil mais impuissants quand dame pluie rend visite à Delmas.
Plus d’une centaine de « shelter box » ont été offerts en avril 2011 aux déplacés.
« Nous avons passé la majeure partie de la nuit debout. Alors que l’eau envahit le sol, le toit de notre maison [la tente bricolée] crevait sous la pluie. Nous ne pouvons pas évacuer l’eau, puisque tout le camp est inondé. Le moindre récipient a été utilisé. Quand la pluie s’est arrêtée, nous n’avons rien pu faire. Nous avons attendu jusque ce matin, les pieds dans l’eau ».
Ce récit de Mélita Austin est aussi celui de quasiment toutes les personnes déplacées de Henfrasa qui espèrent que les « autorités compétentes pensent à leur sort en les intégrant au projet 16/6 de la présidence », selon les déclarations de Rénald Joseph, responsable du camp.
Alors que Austin fait le récit de ses déboires, d’autres déplacés s’occupent à sécher l’intérieur de leurs abris, étendre le linge au soleil ou à emplir les mares d’eau de remblais.
Un vrai chantier.
Tout le monde veut que sa misère soit photographiée pour « sensibiliser ces dirigeants irresponsables qui oublient le camp Henfrasa ».
Pour empêcher que leur lit ne se transforme en « bateau flottant sur la mer » les personnes déplacées les posent sur trois, quatre, voire cinq parpaings en hauteur.
Au fait, les personnes déplacées, logeant près de l’entrée nord du camp, à côté de toilettes mal entretenues et de poubelles débordantes d’immondices, sont les plus vulnérables. Surtout qu’elles remplissent l’étroit canal d’irrigation d’emballages en plastique et de détritus de toutes sortes, obstruant ainsi le passage des eaux de pluie.
Silence des responsables...la Croix Rouge figure bienfaitrice
« Même les autorités municipales font silence sur notre cas, ne parlons pas des responsables gouvernementaux. Pour eux, nous n’existons pas, puisque nous ne sommes pas sous les yeux des touristes. Regardez cette clôture…c’est pour mieux nous cacher », estime un jeune déplacé.
Par le biais de militants proches du pouvoir qui vivent au camp Henfrasa et sous l’initiative du responsable de camp, Renald Joseph, les personnes déplacées ont fait parvenir une pétition au chef de l’État.
Seule réponse, « dans un de ses discours, le président Martelly a cité le camp Henfrasa. Il semble oublier qu’il a fait danser [quand il était musicien] beaucoup d’Haïtiens sur ce terrain que nous occupons ».
Alors que le propriétaire des lieux leur a donné pas moins de cinq délais d’éviction : 12 février 2010, 31 décembre 2010, janvier 2011, juin 2011 et enfin décembre 2012, un soleil a lui pour 54 familles.
« La Fédération de la Croix Rouge a fourni des shelters de deux pièces à 54 familles, ayant prouvé qu’elles détiennent des titres de propriété ou des droits sur un terrain » informe le responsable du camp.
Des maisons ont pu aussi être réparées pour 15 familles, mais Rénald Joseph préfère dire 8 puisque « parmi ces bénéficiaires, 7 ont triché car elles avaient des maisons marquées en rouge. »
Selon le code établi par le Ministère des travaux publics, les maisons signalées rouge devraient être démolies.
En tout cas, ceux et celles qui sont encore sur ce site « refusent de partir sans savoir exactement où ils iront » et se demandent « pourquoi nous ne sommes pas concernés par le projet 16/6 ».
Un petit clin d’œil sans doute à Clément Belizaire, ingénieur, guitariste de renom, directeur de ce projet, qui a abouti récemment à la relocalisation des sinistrés du champ de mars. [efd kft gp apr 13/04/2012 12:00]