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Rétrospective mars 2012

Haïti-Conjoncture : Un printemps à fleur de peau

Par Karenine Francesca Théosmy

P-au-P, 6 avril 2012 [AlterPresse] --- Au terme d’un mois de mars 2012, marqué particulièrement par la recrudescence de l’insécurité dans Port-au-Prince et ses environs, le pays ne semble pas près de l’apaisement, autant que la recherche d’une solution définitive à la question des anciens militaires reste floue.

Début avril, Haïti se retrouve avec un scandale "volcanique" sur les bras. Ce dernier éclabousse les deux côtés de l’ile.

Un séisme

Mars 2012 débute avec un séisme. De faible intensité, la secousse, qui survient dans la nuit du mercredi 7 mars (vers 10:00 pm locales = 3:00 am gmt le 8 mars 2012), provoque la panique dans les foyers de la zone métropolitaine de la capitale.

Dans l’après-midi du jeudi 8 mars, le président haïtien Joseph Michel Martelly fait une sortie médiatique, tout aussi surprenante.

Après le show, ça chauffe

En présence de représentants de « pays amis », dont l’ambassadeur américain Kenneth Merten et l’ambassadeur français Didier Le Bret, Martelly remet 8 passeports haïtiens à "Religion pour la paix", une entité interconfessionnelle, qui se met dans le rôle de médiateur. L’idée est de faire taire les soupçons sur sa double nationalité.

Cette sortie médiatique vient plutôt exacerber les doutes.

Irrégularités dans les passeports, soupçons d’usage de faux, de double identité du chef de l’État, surgissent à l’examen des passeports.

L’affaire prend de l’ampleur. Qu’elle ne soit qu’un simple pétard mouillé n’est toujours pas à écarter. Car, si les sénateurs de la commission d’enquête suivent leurs pistes avec la même lenteur obstinée, le pays risque ne pas voir le bout du tunnel de si tôt. Martelly non plus.

Martelly, qui moins d’un an depuis son arrivée à la présidence, se retrouve avec de multiples comptes à rendre, dont les plus retentissants n’ont rien à voir avec ses promesses de campagne, pourtant capitales !

Depuis le 14 mai 2011, les écarts et autres esclandres politiques s’enchainent, de façon presque étourdissante.

Le 31 mars 2012, un nouveau scandale éclate, histoire de rallonger la liste.

Une journaliste dominicaine, Nuria Piera révèle que le chef de l’État haïtien aurait reçu, directement ou indirectement du sénateur dominicain Félix Bautista, propriétaire de plusieurs entreprises, un total de plus de 2,5 millions de dollars américains (US $ 1.00 = 42.00 gourdes ; 1 euro = 61.00 gourdes aujourd’hui).

Les démentis de Martelly, dans un communiqué le mardi 3 avril 2012, paraissent bien mous face aux documents authentifiés que détient la journaliste. Celle-ci va d’ailleurs jusqu’à comparer l’attitude, des autorités haïtiennes et dominicaines, à celle qui dominait lors de l’affaire de Watergate.

Bien molle aussi, parait l’attitude de Martelly et de son équipe face aux hommes armés qui ont pris le contrôle de plusieurs bâtiments publics à travers le pays, dans un contexte de recrudescence de l’insécurité.

Quand Mars se déchaîne

Autour de 160 assassinats ont été recensés entre janvier et mars 2012. En mars, la situation atteint un niveau inquiétant.

Au début du mois, une famille est attaquée, leur maison criblée de balles et incendiée. L’ancien directeur de la Banque centrale, Vénel Joseph, durant la présidence de Jean Bertrand Artistide, et Jean-Baptiste Jean-Philippe - surnommé Sanba Boukman, ancien proche de Aristide également -, sont tués.

Le directeur de Radio Boukman à Cité Soleil , Jean Lifaite Nelson, se voit, lui aussi, emporté par la vague d’insécurité.

Mais ce qui inquiète, c’est la facilité et le mode opératoire des bandits.

En plus de leur affection pour les motocyclettes, ils ont de moins en moins de scrupules pour entrer chez leurs victimes et commettre leur forfait. Burton Chenet, peintre de reconnaissance internationale, est victime de cette stupéfiante "liberté", dont jouissent des hommes armés dans le pays.

En même temps, des individus, en tenue militaire et armes à bout de bras, sont en démonstration dans plusieurs villes du pays : Hinche, Cap-Haïtien et Port-au-Prince, où, plusieurs fois, ils patrouillent en voiture ou paradent le plus naturellement du monde.

Certains sont trop jeunes pour avoir réellement appartenu aux Forces armées d’Haïti, dissoutes depuis 1995.

Des jeunes animés par l’envie d’un engagement ? Des criminels, évadés de prison à la recherche d’une cachette ? Qui sont ces nouveaux "anciens militaires", équipés d’uniformes et d’armes ? Qui les finance ?

Le gouvernement de Michel Martelly répond en demandant au chef de la police, Mario Andrésol, de les faire déguerpir.

Andresol dit, lui, flairer un piège. Il affirme avoir été discrètement pressé de démissionner par le ministre de la justice et de la sécurité publique, Pierre Michel Brunache.

Au terme du mois de mars 2012, particulièrement survolté, le parlement se retrouve face au dilemme de traquer les écarts du chef de l’État et de combler le vide gouvernemental, laissé par la démission de Garry Conille le 24 février.

Laurent Lamothe, premier ministre désigné et ministre des affaires etrangeres du gouvernement demissionnaire, est, lui aussi, soupçonné d’être d’une autre nationalité.

La Constitution du 29 mars 1987, qui vient d’atteindre ses 25 ans en 2012, ne reconnait pas la double nationalité.

Une Constitution qui célébrait ses 25 ans le 29 mars, avec un regard sur ses faiblesses et les acquis.

En attendant, l’ordre des urgences est inversé. Jamais, un président ne semble avoir autant occupé les devants la scène. Normal dirait-on, il a été chanteur à succès une bonne partie de sa vie.

Ce qui ne l’est pas, c’est un pays qui, plus de deux ans après un terrible séisme (le 12 janvier 2010), piétine sur la voie du relèvement.

La reconstruction, un écran de fumée ?

Six (6) personnes meurent dans un éboulement, après une importante averse dans la nuit du mardi 27 au mercredi 28 mars 2012.

Les premières grandes pluies de l’année 2012, arrivées en mars, ont pris de cours la zone métropolitaine de la capitale Port-au-Prince.

Des dégâts sont observés dans les infrastructures routières, des inondations ont apporté un lot de soucis.

Les mêmes inquiétudes reviennent, car, dans les camps de personnes sinistrées du séisme (du 12 janvier 2010), 480 mille personnes logent encore.

Elles sont, certes, au fil des mois, poussées vers la sortie par la menace d’incendie et d’expulsions.

Tel que l’avait annoncé Martelly, le processus de relocalisation des personnes sinistrées du Champs de Mars a débuté et progressé. L’opération est possible grâce au financement du Canada.

Mais, ces personnes déplacées n’obtiennent, en fait, qu’une enveloppe pour louer une maison ou un appartement. D’autres camps attendent encore.

C’est d’ailleurs l’un des plus grands contrastes, sinon dans la reconstruction, du moins dans le changement promis par Martelly.

Sur 500 millions de dollars de contrats de reconstruction, environ 300 ont été offerts généreusement au sénateur dominicain Bautista, dans des conditions jugées irrégulières par une commission d’enquête, mise en place par l’ex-premier ministre Garry Conille.

Concrètement, Haïti ne « décolle » pas encore.

Autre contraste dans la politique de changement annoncé, la question des semences hybrides.

En mars 2012, les autorités lancent fièrement la campagne agricole de printemps. Ferme et sûr de son propos, le ministre de l’agriculture, Herbert Docteur, précise que l’agriculture haïtienne a besoin de semences hybrides et que l’équipe en place compte bien les utiliser.

Aucune structure de planification, de contrôle et de suivi, dans l’insertion de ces semences hybrides, sur les terres agricoles en Haïti, n’est annoncée, contrairement à l’avis des spécialistes.

Le même discours a été présenté par le gouvernement de René Garcia Préval, qui a accepté, en été 2010, des tonnes de semences hybrides de la multinationale Monsanto, en dépit des risques de dépendance d’une agriculture malmenée, d’un pays contraint à l’extraversion. [kft rc apr 06/4/2012 13:00]