Par Roody Edmé
Spécial pour AlterPresse
« Homme de vigie
Me répondras-tu ?
Ma parole, tu dors ! »
Anthony Phelps
Le 3 avril 2000 sous un soleil morne d’avril, le peuple haïtien pleurait un de ses valeureux fils. Jean Léopold Dominique, « un agronome sans terre », venait d’être assassiné aux environs de 6h du matin sur la cour de la station. Pierre Emmanuel, à l’époque rédacteur en chef de Radio Haïti Inter, me confia qu’en entendant les coups de feu depuis le studio bleu, il avait la sensation que le pire était arrivé. Ce pire que tout le monde craignait et qui pouvait frapper un tel homme passionné pour la liberté et la démocratie dans un pays que les forces de l’ombre avaient longtemps pris en otage. C’était une époque de folle confusion, de luttes claniques, de divisions, malheureuses dans des secteurs qui se disaient porteurs de l’espérance de tout un peuple. Et parce que le mouvement populaire et historique nageait entre deux eaux, la perte de jean à des moments aussi troublés était encore plus douloureuse.
Sa mort restée depuis impunie annonçait la fin du printemps démocratique haïtien et le début d’une nouvelle saison sauvage. Une saison qui vit le pays se déchirer en lambeaux sanguinolents et la souveraineté nationale réduite à une peau de chagrin. Le grand secteur démocratique plongea dans une profonde déprime et les luttes de pouvoir sans idéal prirent la place des rêves de « grand soir » que nourrissaient chaque matin le dernier grand passionné de la « presse indépendante et progressiste ».
Au soir de sa vie, il sortit de sa réserve habituelle et choisit de se battre pour un large mouvement populaire qui eu le destin d’un grand feu d’artifice dans un ciel encore plus sombre. S’était-il lourdement trompé en jetant toute sa crédibilité sur une mise aussi populaire et généreuse à l’époque ? L’histoire l’acquittera.
En tout cas, sa vie fut un exemple de professionnalisme, de rigueur analytique, de passion enflammée pour la démocratie dans son pays. Le personnage était entier et critiqué pour ses polémiques redoutables, un monstre sacré de nos meilleures années de radiodiffusion, inoubliable par sa présence chaude au microphone pour certains et agaçante pour d’autres. Quoiqu’il en soit, une fois que l’homme de vigie fut descendue en flamme, il ne restait plus de rempart contre les récifs dangereux de la criminalité marginale ou para-étatique. On a voulu fermer son œil de « lynx » et depuis le navire s’est fracassé lamentablement mettant en danger tous les passagers, ceux qui l’ont aimé comme ceux qui l’ont détesté.
Et comme l’écrivit un jour l’éditorialiste Claude Moise, « On a beau changer de gouvernement, faire des incantations à la démocratie depuis deux décennies, nous n’arrivons pas encore à formuler un projet national qui fasse pressentir l’avènement d’une nouvelle société …nos échecs nous impose une grande humilité et une volonté à toute épreuve de ne pas nous laisser submerger par le bruit et la fureur.
L’anniversaire de la mort de Jean Dominique pourrait être l’occasion pour tout un secteur ayant milité pour un Etat de droit de faire le bilan sans concession de ces dernières années, sans auto flagellation, mais avec de nouvelles perspectives et un engagement renouvelé pour la rédemption de ce grand peuple de résistants qui a maintenant besoin de se construire.
En attendant justice…
* Éducateur, éditorialiste