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Haïti : Nouveau gouvernement face à des défis de taille

P-au-P., 17 mars. 04 [AlterPresse] C’est un gouvernement formé de personnalités connues, mais n’ayant aucune liaison affirmée avec les partis politiques traditionnels qui prend investiture ce 17 mars 2004.

Le portefeuille vedette, celui de la sécurité publique, de l’intérieur et des collectivités territoriales, échoit à Hérard Abraham.

Ce lieutenant général retraité avait joué un rôle de premier plan dans la période transitoire de 1990 en transmettant le pouvoir à un civil, Ertha Pascal Trouillot, dans le délai convenu de soixante-douze heures.

Un environnement sécuritaire dans le pays paraît comme l’une des revendications principales de la population haïtienne. Des dispositions urgentes sont attendues par la société pour mettre fin à la balkanisation du pays qui a pris des proportions inquiétantes sous le régime déchu avec l’institution de bandes armées dans différents quartiers pour contenir toute contestation du régime.

Le nouveau responsable de la sécurité nationale devra également adresser la question des chefs insurgés qui continuent de contrôler certaines parties du territoire et qui revendiquent la restauration de l’armée d’Haïti ou à défaut leur intégration au sein de certaines unités spéciales de la police haïtienne.

Un autre ministère clé, celui de la justice est confié à Bernard Gousse, un avocat et professeur à l’université ayant milité au sein d’un regroupement de la société civile dénommé Groupe des 184.

La justice demeure un domaine sensible en regard de l’impunité dont ont bénéficié les auteurs de divers crimes et autres actes répréhensibles ces dernières années. Les dossiers en souffrance ne manquent pas : les cas de Brignol Lindor assassiné le 3 décembre 2001 par des membres de « Dòmi Nan Bwa », un groupe proche du régime déchu, de Jean Dominiqueet Jean Claude Louissaint assassinés le 3 avril 2000, des trois fils de Viola Robert assassinés en décembre 2002 par des policiers, les nombreux cas de disparitions, de kidnapping, des carnages du genre de celui enregistré dans le quartier de la Syrie, un quartier de Saint Marc, le 11 février 2004.

A côté de ces différents dossiers brûlants, la nation est en attente de grands procès exemplaires pouvant prévenir la perpétuation d’un ordre anachronique où tous les coups politiques sont permis. On n’en a pas eu depuis la chute de la dynastie des Duvalier, le 7 février 1986..

Un autre ministère important, celui de l’économie et des finances, est attribué à Henry Bazin, actuel président de l’association des économistes haïtiens.

Le défi pour ce ministère : relancer une économie très affaiblie notamment par les nombreux actes de pillages et de destruction perpétrés par les partisans du président déchu, Jean Bertrand Aristide, peu avant et après le départ de celui-ci ; occasionnant des pertes de l’ordre de 500 millions de dollars américains, selon l’association des industries d’Haïti.

La situation paraît d’autant plus préoccupante que le nouveau chef du gouvernement a même préconisé un plan de recapitalisation du secteur privé.

Un autre ministère tout aussi important, celui de l’éducation nationale, de la culture, de la jeunesse et des sports, est allé à Pierre Buteau, un professeur émérite membre de l’association haïtienne d’histoire et de géographie.

Le système éducatif haïtien affronte depuis quelque temps une crise sans précédent. Les résultats catastrophiques enregistrés ces dernières années aux différents examens officiels confirment ce fait.

Le nouveau ministre de l’éducation nationale va devoir adopter des dispositions importantes, quand on sait que l’année scolaire et universitaire est plus que bâclée.

Dans certaines villes du pays comme Gonaïves, des élèves ont perdu jusqu’ à plus de trois mois de classe. Quant à l’université, plusieurs unités n’arrivent pas encore à se remettre des énormes dégâts qu’elles ont essuyés de la part de partisans du président déchu.

C’est le cas par exemple de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) et de l’Institut d’Administration et de Gestion des Hautes Etudes Internationales (INAGHEI) ayant été saccagés le 5 décembre 2003 et la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire dont le local a subi le même sort après le départ pour l’exil du président Jean Bertrand Aristide le 29 février 2004.

Le ministère des affaires étrangères, des cultes et des haïtiens vivant à l’étranger, échoit à Yvon Siméon, un économiste formé en France et ayant représenté la Convergence Démocratique en Europe.

Ce ministère aura fort à faire pour soigner l’image du pays à l’étranger, donner une certaine autonomie au personnel diplomatique par rapport à la personne du Chef de l’Etat et à ses intérêts et visées particuliers, en finir avec le gaspillage des fonds de l’Etat dans des activités de lobbying pour le compte exclusif du président de la République, définir très clairement l’orientation du gouvernement par rapport aux organisations régionales et internationales.

Le portefeuille des travaux publics transports et communications est confié à Jean Paul Toussaint, un ingénieur ayant occupé le poste de directeur de l’Autorité Portuaire Nationale (APN) en 1991.

Ce ministère coiffe plusieurs entreprises pourvoyeuses d’emplois pour des chefs de gangs. Deux de ces entreprises sont la compagnie téléphonique nationale (Téléco) et l’APN dont les locaux servaient de forteresses aux « chimères lavalas » qui agressaient des manifestants de l’opposition et dont les véhicules étaient utilisés de manière systématique par des partisans armés de Jean Bertrand Aristide qui dispersaient violemment les manifestations.

A relever que seulement quatre femmes figurent au nouveau gouvernement composé de 13 ministères et six secrétaireries d’Etat. Dans une lettre ouverte adressée au premier ministre Gérard Latortue le 13 mars dernier, la Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes (CONAP) avait recommandé le principe du quota d’un tiers, dans la constitution du gouvernement et de l’appareil d’Etat. Ce quota a été préconisé comme « une mesure minimale, puisque très loin du pourcentage de 52% que représentent les femmes dans la société haïtienne ».

A noter aussi que l’environnement a été relégué au rang d’un secrétariat d’Etat dirigé par l’ancien ministre Yves André Wainright (1996-1997). La dégradation de l’environnement, associée à une nette tendance à la diminution de la couverture végétale (moins de 2%), représentent une préoccupation majeure, voire un un grave danger.

Lors de son investiture le 12 mars 2004, le nouveau chef du gouvernement avait fixé comme principales priorités de son gouvernement : la réconciliation nationale, tout en indiquant que celle-ci n’est pas assimilable à l’impunité ; l’organisation d’élections générales dans un délai ne dépassant pas deux ans dans un climat sécuritaire et stable.

Tenant compte de l’ampleur de la tâche à abattre par le gouvernement intérimaire, Gérard Latortue a toutefois cru bon de rappeler que l’équipe qu’il dirige s’évertuera à jeter les bases institutionnelles en attendant l’arrivée d’un gouvernement définitif. [vs gp rc apr 17/03/2004 14:00]