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" La ’démocratie’ a donc fermé une université et ouvert une caserne... "

Lettre ouverte du professeur Jean Anil Louis Juste au Conseil de l’Université d’Etat d’Haïti (CUEH)

Soumis à AlterPresse le 16 mars 2003

Port-au-Prince, le 16 mars 2004

Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Hier, j’ai appris avec consternation, la nouvelle de l’installation du Quartier Général des Forces Armées Transnationales, dans les locaux de l’Université Populaire de Tabarre. La « démocratie » a donc fermé une université et ouvert une caserne.

En dépit de la prétention de répandre des lumières en tout lieu et en tout temps, l’ordre du capital contient, nourrit et pratique l’obscurantisme. L’éducation élitiste qu’il a toujours prônée, l’analphabétisme qu’il a souvent contribué à reproduire, et l’aliénation qu’il a su habilement communiquer, représentent des barrières politico-idéologiques efficaces au libre développement de la femme et de l’homme ; l’appropriation privée des richesses produites par les travailleurs, reste et demeure la finalité ultime de cette déshumanisation.

En s’installant manu militari dans les locaux de l’Université Populaire de Tabarre, les Forces Armées du Capital transnational viennent de commettre le même crime de lèse-culture et de lèse-humanité, qu’avait perpétré le président haïtien Jean Pierre Boyer, quand il occupa la République Dominicaine, en 1821 : fermer l’Université de Santo Domingo et y ouvrir une caserne !

L’impérialisme étatsunien ne s’est pas contenté d’occuper le pays une troisième fois ; il n’est pas satisfait d’organiser cette invasion, juste après la commémoration - bien que contestée - du Bicentenaire de l’Indépendance. Il a résolument décidé de vilipender toute revendication populaire qui s’exprime de manière autonome dans le pays. La transformation de l’espace universitaire de Tabarre en une caserne d’occupation militaire, symbolise à la fois, un superbe déni de la demande combien légitime du Mouvement Etudiant du 5 décembre, et une arrogante négation du Droit des Secteurs Populaires à l’Education supérieure. Les agissements de l’occupant sont d’autant plus inacceptables qu’il les accomplit dans une institution d’éducation supérieure qui se baptise populaire, - même si, en réalité, ce populaire est étranger à toute construction d’alternatives pour l’émancipation humaine, eu égard aux pratiques populiste et dictatoriale de son fondateur-, et où coopèrent des enseignants formés dans la culture anti-impérialiste léguée par l’intellectuel combattant José Martà­ et le projet socialiste de la Révolution cubaine.

Le Conseil de l’Université, organe suprême de l’Institution, est en droit de protester énergiquement contre la perpétration de ce crime de lèse-culture et de lèse-humanité contre l’extension du réseau universitaire public en Haïti. En attendant sa demande formelle de déguerpissement à adresser au Gouvernement de la République d’Haïti, le Conseil de l’Université devrait convoquer, sans délai, la communauté universitaire en vue de débattre de la question.

En tant que professeur à l’UEH, je viens, par la présente, exprimer ma plus vive protestation contre la perpétration de cet acte répréhensible qui symbolise, de manière visible, la nouvelle colonisation du pays par le capital néo-libéral. Au nom de la Liberté forgée par nos ancêtres, les Marrons et Esclaves de Saint-Domingue, j’exige le retrait immédiat des troupes de l’occupation et la restitution de l’Université Populaire de Tabarre à l’Université d’Etat d’Haïti, car celle-là fait partie du patrimoine culturel de celle-ci, pour avoir été construite avec des fonds détournés de la coopération entre le Peuple Haïtien et les Peuples cubain et chinois.

Recevez, Mesdames et Messieurs les Conseillers, l’expression de mes salutations patriotiques.

Jn Anil Louis-Juste

Professeur