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Haïti : La Fédération des Associations de Femmes de Maïssade, porteuse d’espoir

Par Nonais Derisier Saincelair *

Soumis à AlterPresse le 16 mars 2012

Dans un pays où tout semble aller mal, il est important de scruter le firmament pour repérer l’étoile de l’espoir qui pourrait faire rêver d’un lendemain meilleur. On n’a pas été très loin pour trouver l’une d’elles qui brille dans l’obscurité haïtienne. Elle s’appelle FAM. Avec ses 3 000 femmes membres, la création de plus de 100 emplois directs dans la transformation de produits agricoles et la garantie de plus de 500 emplois dans l’agriculture, FAM est une étoile qui brille. La Fédération des Femmes de Maïssade est effectivement une étoile à contempler et à suivre. Plus d’un en a fait le constat, à Maïssade, le vendredi 9 mars 2012, le lendemain de la journée internationale de la femme.

En effet la commune de Maïssade était aux anges, ce vendredi 9 mars 2012. Située à une vingtaine de kilomètres de Hinche, le chef-lieu du département du Centre, au milieu de la boucle Centre-Artibonite, elle a été le théâtre d’une très grande manifestation à la fois culturelle, sociale, économique et politique. Le soleil battait son plein. Le vent du carême faisait danser les feuilles des arbres et soulevait la poussière. Pendant que Maissade attend visiblement et impatiemment le printemps porteur de pluie, FAM, la Fédération des Associations de Femmes de Maissade a fait d’une pierre deux coups. Elle célébrait son 14eme anniversaire et en même temps en a profité pour présenter et proposer à la nation un modèle de partenariat éprouvé pour créer de la richesse, de l’emploi et combattre l’insécurité alimentaire. Cette grande manifestation s’est déroulée autour du thème : « UN MODELE DE PARTENARIAT (PRODUCTEURS/FAM/BND) POUR LA CREATION D’EMPLOI DANS LE PAYS ».

De 9 à 10 heures du matin, près d’un millier de femmes se sont réunies sur la place Saint Anne de Maïssade. Elles étaient vêtues de la couleur de fleur de l’hibiscus (choublak) : rouge pour marquer la victoire et le changement et vert pour symboliser l’espoir et l’harmonie de l’environnement. Elles scandaient des slogans et chantaient des mélodies de fêtes et de revendications au profit des droits de la femme. Vers 10 heures, elles commencent une marche impressionnante de plus d’un millier de personnes de la place vers le local de la FAM situé au numéro 10 de la Rue Wampable de Maïssade. Cette marche de deux kilomètres se terminent dans le local de FAM ou quatre tentes géantes étaient installées et 1500 chaises rangées pour accueillir cette grande manifestation.

A 11 heures, le Maitre de Cérémonie, Mme Mirtho Casséus invita l’assistance à se mettre debout pour écouter l’hymne national chantonnée par le duo formé de Wooly et Tamara. Puis un panel prit place avec les représentants du BND, Bureau de Nutrition et Développement, M. Rob Padberg et Mme Michelle Routhier, le représentant de la Fédération des Association des Planteurs pour le Développement de Maissade, M. Donacien Alcéna, le représentant de la caisse populaire COOPECLAS, M. Josuace Domond, le représentant de l’Union des Coopératives Caféières de Baptiste, UCOCAB, M. Isanord Bernard et de Mlle Nolvitha Romain, la représentante des jeunes de Maïssade.

M Padberg a présenté dans son allocution, l’intervention de son ONG au niveau de l’agriculture et de l’éducation et ses relations de partenariat avec FAM. Mme Routhier a repris, en créole, en des termes clairs et concis, les éléments forts de l’exposé de M. Padberg. M Donacien a présenté l’expérience réussie des agriculteurs de Maïssade dans le cadre du partenariat BND, FAM et Associations d’agriculteurs. Ces derniers bénéficient de BND de l’encadrement technique, de la formation, des semences qui leur permettent d’augmenter leur productivité et leur production à travers un financement de l’Organisation Néerlandaise CORDAID. La production de manioc est transformée en cassave par les agriculteurs eux-mêmes dans les deux cassaveries de FAM. Toute la production de cassaves des agriculteurs est écoulée par FAM à travers le programme de cantine scolaire de BND. FAM commence aussi à acheter leur production d’arachide, de maïs, de haricot et de sorgo. BND et FAM permettent aux paysans à travers leur association de résoudre leur problème de production et aussi leur problème de commercialisation avec une valeur ajoutée pour le manioc.

Le président de UCOBCAB, M. Isanord a, de son coté, présenté les activités de son Union de Coopérative Caféière. Les membres de ces coopératives produisent du café pour le marché gourmet. Le café de Baptiste est le meilleur café d’Haïti et se vend au prix le plus élevé, jusqu’à sept dollars américains la livre. M. Isanord souhaite un partenariat entre FAM et son Union au niveau de la transformation. A l’intérieur des champs de café, il y a des fruits comme le grenadia, qui peut être transformé, affirme-t-il.

M. Domond, le représentant de la Caisse Populaire COOPECLAS a exprimé la volonté de son institution à financer les activités de FAM. Il a annoncé que la COOPECLAS ouvrira très bientôt une succursale à Maïssade pour offrir des services d’épargne et de crédit.

Mlle Nolvitha a été la dernière à intervenir dans ce panel. Elle a présenté avec un calme impressionnant les diverses actions réalisées par FAM avec les jeunes de Maïssade. Elle a aussi exprimé la volonté manifeste des jeunes à assurer la relève. A souligner que Nolvitha est un leader en herbe. Elle a déjà remporté plusieurs concours et s’est fait élire dans plusieurs comités. Il y a tout à parier qu’elle sera, dans vingt ans, maire de la commune, chef d’une grande entreprise et pourquoi pas Sénateur, chef de gouvernement ou Président de la République. Qui vivra, verra !

Après ce premier panel, Mme Marilia Charlestin, la présidente de FAM, a présenté son allocution de circonstance. Cette dernière a été le point fort de la cérémonie. Ce discours a été éminemment politique. Mme Charlestin a fait un plaidoyer remarquable pour une nouvelle politique de développement local en Haïti. Un véritable manifeste de développement économique, de développement local basé d’abord sur la culture, les idées, les rêves et les organisations du peuple ainsi que sur ses forces, son courage et sa maturité. « Nos valeurs d’abord au niveau de la reconstruction et au niveau du développement, a martelé, Mme Charlestin. « Les partenaires qui veulent travailler avec nous doivent respecter nos valeurs et notre culture. Ils ne doivent pas nous remplacer et ne rien faire à notre place. Ainsi le miracle haïtien est possible. A titre d’exemple, BND ne dicte rien à FAM. Il lui passe des contrats à la dimension de ses capacités et sur la base de ses savoir-faire ».

Ce partenariat a commencé, affirme Mme Charlestin, en 2002 où FAM avait obtenu le premier contrat du BND pour fournir un snack à 1 500 élèves dans 8 écoles. Pour l’année 2011, le contrat a atteint 16 500 élèves dans 53 écoles. Ce partenariat a permis à FAM de créer plus de 100 emplois dans le domaine de la transformation et de garantir près de 500 emplois agricoles.
Tout ceci est possible grâce au financement et au support technique de l’Organisation Néerlandaise CORDAID.

Mme Charlestin a aussi, dans son allocution, fait un plaidoyer pour le crédit au profit des femmes. Nous voulons faire une révolution en Haiti, affirme-t-elle. « Ki lès kap mache avèk nou. Nou se aktè devlopman, nou pa parazit. Nou fè prev nou, pou byen peyi a, tanpri mesye dam mache avèk nou. Nou bezwen yo ede nou pou n gen plis fòs, pou n kontinye bon travay ki komanse, a-t-elle poursuivi. »

Pour Mme Charlestin, les producteurs agricoles, les associations et fédérations de producteurs, les petites marchandes du secteur informel représentent le plus grand secteur privé du pays que. Elle a exhorté le gouvernement, les ONG, les Bailleurs de fonds à bâtir leur aide sur des fondations solides, sur les valeurs du peuple, sur son autonomie et son organisation. Ainsi, affirme-elle, nous pourrions opérer des miracles.

Pour terminer son intervention, Mme Marilia a présenté les principaux projets de FAM dont : un projet de construction d’une Ecole Professionnelle pour les femmes de Maissade ; un Projet de création d’une Radio Communautaire Educative centrée sur la formation, la culture et la problématique des femmes en développement, Radyo Vwa Fanm ; d’un projet de lutte contre la délinquance juvénile et les grossesses précoces ; un projet d’aménagement d’un centre moderne de transformation et d’appui à la transformation de produits agricoles ; un projet de microcrédit pour les femmes membres des associations de FAM ; un projet de construction d’un kiosque d’approvisionnement en eau potable ; un projet pilote de construction de 100 toilettes avec citerne, douches pour se baigner et se laver les mains pour combattre le choléra et un projet de construction de biodigesteur pour produire de l’énergie à partir des déchets organiques de l’Atelier de transformation.

Sachant que les projets de FAM ne suffisent pas pour contribuer au développement de la commune de Maissade, Mme Marilia a profité de la présence des autorités, dont deux sénateurs, pour exiger au nom de la population la construction des tronçons de route de Maissade - Hinche, de Maissade - Pignon et de Maissade - Saint Michel, ainsi que la construction d’un hôpital et du système d’irrigation de Savane Grande.

L’histoire de FAM est une belle aventure. Elle a commencé en 1992 au sein d’un projet de Save the Children qui appuyait la prise en charge des femmes et l’amélioration des conditions nutritionnelles de leurs enfants. Les femmes étaient regroupées en Club de 15 à 20 personnes. Les Clubs ont reçu de la formation et de l’encadrement. Ils se regroupent en associations. Le 8 mars 1998, les Associations se regroupent pour former la Fédération des Associations de Femmes de Maïssade avec 10 associations regroupant près de 2000 membres. Aujourd’hui, FAM compte près de 3000 membres. Elle doit sa création et son développement au projet de Save de Children à Maissade. Cette expérience prouve qu’à côté des actions palliatives des ONG, elles peuvent réaliser des actions de développement en appuyant la création d’infrastructures sociales et économiques, de véritables organisations et de véritables entreprises. FAM est aussi très reconnaissante à l’endroit des cadres de Save the Children qui l’ont portée sur les fonts baptismaux. Citons entre autres : Mme Suze Exume, M Jean Francois Emmanuel, l’agronome Ronald Toussaint, l’actuel Ministre de l’environnement, Mme Ritha Jean Joseph et le Dr Ludzen Silvestre…

FAM se veut une institution communautaire forte, dynamique, responsable, solidaire, favorisant le plaidoyer pour la cause des femmes, prônant la justice sociale et déterminée à porter bien haut le flambeau de la lutte contre l’exclusion sociale touchant les femmes les plus démunies en particulier, les jeunes et la population défavorisée de la commune de Maïssade en général. Elle croit aussi que la pauvreté et la misère ne sont pas une fatalité. Elle privilégie les principes de démocratie et de participation active.

Elle se donne pour mission de former un réseau, à côté de toutes autres organisations de femmes structurées et organisées dans le pays, pour changer les conditions de vie de la femme haïtienne. Son objectif est de créer une chaine solidaire entre toutes les associations de femmes de Maïssade et travailler à l’épanouissement social, moral et économique des femmes en général et de ses membres en particulier.

Aujourd’hui, FAM représente une force de 3000 membres. Elle a un atelier de transformation de fruits, deux cassaveries et une boulangerie. Elle réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de dix millions de gourdes. Elle fournit des petits déjeuners pour 13 500 élèves dans 53 écoles en 2011. Elle fournit de l’assistance légale aux femmes victimes de violence et paie l’écolage de 106 écoliers.

Il faut souligner que FAM doit en grande partie sa réussite au leadership et à l’entrepreneurship de Mme Marilia Charlestin, l’actuelle présidente de FAM. Elle est une leader confirmée, une entrepreneure sociale à succès. Elle a été sélectionnée parmi les finalistes de l’édition 2011 du concours de Digicel Entrepreneur de l’année. Elle a été consacrée par le Nouvelliste de modèle de réussite. Avant Marilia, d’autres femmes ont contribué à l’histoire de FAM. Ont successivement présidé FAM : Mesdames Evena Thifaut, Remise Oxceant et Alourde Beauplan.

FAM doit aussi son succès à BND, le Bureau de Nutrition et Développement. Il est une ONG haïtienne créée en 1986 dont la vision consiste à promouvoir la création de structures susceptibles de faciliter l’émergence d’un haïtien en bonne santé, éduqué, autosuffisant et capable de contribuer au bien-être de la collectivité. Le BND intervient au niveau de la nutrition, de la production, de la transformation de produits locaux, de la distribution et le renforcement des capacités organisationnelles des bénéficiaires. Il intervient au niveau de trois départements : l’Artibonite, le Centre et l’Ouest. Il intervient davantage en milieu rural. Il supporte les programmes de cantines scolaires, de promotion de santé scolaire, d’aménagement d’infrastructures scolaires, de formation des enseignants… Il a développé une expertise dans la gestion de programmes d’aide alimentaire et d’accompagnement logistique, fournit des produits alimentaires à environs 800 écoles regroupant près de 290 000 écoliers et fait aussi de la promotion pour les produits locaux à travers un projet de petits déjeuners rapides. Près de 30 000 écoliers reçoivent un snack fait de cassave au beurre d’arachide, d’AK-100, de bonbon au sirop de canne, d’arachides sucrés (carapinia), de cassave enrichie, et de chanmchanm. Il s’agit d’un programme innovant qui encourage la production nationale et la consommation locale. Un modèle à encourager et à reproduire. BND distribue aussi des réchauds améliorés financés, entre autres, par Haiti Kinder Hilfe, HAITI Centrum/Ardooie, la Belgique et Projets Lannoo Haiti. BND a un projet de pondeuse avec FAM. Il est financé par Haiti Contact et la Fondation Help Haiti des Pays-Bas. Cinq unités de pondeuses seront installées dans diverses localités de Maissade.

La cérémonie du 9 Mars, organisé sous le thème : « UN MODELE DE PARTENARIAT (PRODUCTEURS/FAM/BND) POUR LA CREATION D’EMPLOI DANS LE PAYS », a réuni 1500 participants, les autorités locales de Maïssade et de Hinche, deux sénateurs, Mme Edmonde Beauzile et M. De La Cruz, de nombreux représentants d’ONG et de sympathisants de FAM venus de plusieurs communes du département du Centre et de Port-au-Prince. Elle a été financièrement supportée par BND, DIGICEL, COOPECLAS, FAES, CORDAID des Pays Bas et bien d’autres. Elle a été techniquement appuyée par M. Antoine Fourreau, Mme Suze Exumé, M. Rob Padberg et Mme Michelle Routhier de BND, l’Ambassadeur Marcel Duret, Mme Esther Guillaume de Formatel...

Des plaques d’honneur et Mérite ont été décernées à des personnalités et institutions qui ont contribué à la réussite de la Fédération dont BND, Save the Children, World Vision et Mme Suze Exumé.

La célébration s’est terminée vers 2 heures. Elle a été un pari gagné pour les dirigeants de FAM et les organisateurs de la cérémonie. Elle a été effectivement une très grande manifestation à la fois culturelle, sociale, économique et politique. Dans la partie culturelle de cette manifestation, la population de Maïssade a eu l’opportunité de découvrir l’artiste Wooly St-Louis Jean qui fait penser à Ti Paris de la musique haïtienne et la jolie Tamara Sufrin dont la belle voix rivalise celle d’Emeline Michel. Les femmes de FAM ont aussi prouvé leurs talents d’animatrices et de chanteuses confirmées. Sur le plan social, on a été impressionné par le rassemblement de près de 1500 femmes réunies pour la défense de leurs intérêts sociaux et économiques. Sur le plan économique FAM a présenté à la nation un modèle qui donne des résultats : appui aux producteurs agricoles, transformation de la production et écoulement des produits transformés pour les programmes de cantine scolaire financés respectivement par l’Organisation CORDAID des Pays-Bas, la Banque Mondiale à travers le MENFP, l’EPT et le PNCS. Il s’agissait aussi d’une manifestation politique avec un plaidoyer remarquable pour une nouvelle politique de développement local en Haïti. Le discours de Mme Charlestin a été un véritable manifeste de développement économique, de développement local basé sur la culture, les idées, les rêves, les organisations, les savoir-faire, les forces, le courage et la maturité du peuple.

La Fédération des Associations de Femmes de Maïssade est un succès consacré ! Une étoile qui brille ! Un modèle à imiter et à promouvoir !

* Economiste