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Regard (Chronique hebdo)

Quand le soleil d’Haïti éclaire les grands lacs !

Par Roody Édmé *

Spécial pour AlterPresse

« Tu es un lac tranquille
Poutant tes rumeurs rappellent
Michigan élément »

Dominique Batraville

L’art et la culture haïtienne étaient à l’honneur aux Etats-Unis, plus précisément à Chicago et à Milwaukee. Une initiative particulièrement innovante et tripartite impliquant des Universités américaines de Chicago et de Milwaukee, le Consulat de France de Chicago, le Musée de Milwaukee. Sans compter le support on ne peut plus dynamique de toute l’équipe de l’alliance française de Milwaukee, de la section enseignement du français de l’Université Marquette et de l’Université publique de Milwaukee.

Le point focal de cette rafraîchissante et édifiante rencontre a été les activités organisées autour de la « Flagg collection », une impressionnante collection de peinture naïve haïtienne reçue en don par le Musée de Milwaukee des époux Flagg, grands collectionneurs américains, qui ont eu une aventure, encore mystérieuse, avec notre pays et qui sont tombés amoureux de notre peinture.

Mireille Pérodin Jérome des Ateliers Jérome et Edouard Duval Carrié, tous deux grands connaisseurs de la peinture haïtienne ont exposé pour le public américain qui se pressait autour des tableaux des Castera Bazile, Prefette Duffaut, Philomé Obin… toute la complexité d’une peinture baptisée sommairement de naïve.

Ils ont à travers des tours commentés de l’exposition, des projections filmées des tableaux, démontrés l’ancrage historique de ces œuvres, leur rapport ambigu avec la religion populaire. A travers ces tableaux se révèle donc tout un univers de signes traduisant une vision de notre condition de peuple debout malgré l’adversité, une cosmogonie qui dit en autant d’aquarelles, de fusain ou autres colories l’enfance d’un monde rêvé, l’envers du décor du pays réel. A noter que le Directeur du Musée, Monsieur Brad Roberts, n’a rien ménagé pour le succès de cette rencontre.

La délégation haïtienne était aussi enrichie de la présence du cinéaste Arnold Antonin, qui répondit aux questions de l’assistance suite à la projection de son film « les Amours d’un Zombi ». Il a fallu toute la « magie » du cinéma d’Arnold Antonin pour réveiller un zombi en plein coeur du rationalisme américain. Des écrivains comme Yanick Lahens, Lyonel Trouillot, Louis Philippe Dalembert étaient aussi de cette « american Journey ».

Moult aspects de la culture haïtienne dans sa richesse et sa diversité ont été évoqués dans l’ambiance rigoureuse, sévère, mais tout de même accueillante des Universités américaines et devant un auditoire attentif et conquis d’apprendre de ce pays dont on parle beaucoup en usant de poncifs mais si peu connu en fait.

Le Vendredi 9 mars dans l’un des amphithéâtre de l’Université du Wisconsin : Nos écrivains se sont livrés à de savantes confessions sur leur rapport à l’écriture. Yanick Lahens affirme ne pas écrire pour se guérir d’un quelconque mal. L’auteur de Failles a évoqué les conditions qui ont donné naissance à ce texte salué par la critique d’ici et d’ailleurs. Lahens se définit comme une pessimiste active qui trouve dans l’action sa raison de vivre. A signaler que deux jours plus tôt, Yanick Lahens avait présenté des petits documentaires réalisés par des jeunes écoliers haïtiens autour de sujets qui font problème en Haïti et qui sont fondateurs pour l’avenir du pays ; sous l’auspice d’une Fondation qu’elle anime avec d’autres collègues : la Fondation Action pour le changement.

Lyonel Trouillot a confié au public préféré la poésie au roman. La poésie est pour l’auteur de la belle amour humaine « l’art suprême », alors que le roman serait, c’est nous qui soulignons, « l’arme suprême ». Un outil de combat pour Trouillot, qui semble se méfier d’une certaine littérature intimiste « décadente ». Celui qui refuse la mort des idéologies est amoureux comme au premier jour des lectures démystifiantes de Roumain et de Steinberck.

Lyonel Trouillot avec le ton passionné et iconoclaste qu’on lui connaît, qui manie sa plume comme son bâton de pratiquant invétéré des arts martiaux est un « croisé » de la littérature « qui montre la voie », cette bonne vieille littérature qui fait que l’écrivain « à la tête dans les étoiles et les pieds dans la boue ». Pour parler comme le père Hugo. La question reste ouverte autour de la littérature et de ses barrières génériques, les poèmes en prose de Baudelaire montre qu’avec la prose ce sont les valeurs et l’univers du « spleen » qui s’imposent, entraînant le texte poétique dans le prosaïsme des contes et nouvelles. Mais la cohérence de l’esprit n’est-il pas d’enfanter à l’infini des passages plausibles d’une forme à une autre comme sait le faire l’auteur de « l’amour avant que j’oublie ».

Louis Philippe Dalembert est un écrivain du voyage, un bohémien de la littérature. Son « itinérance » participe de sa quête du pays rêvé. Même s’il finit toujours par revenir au pays réel, pour repartir à la recherche du temps perdu.

Ce grand gaillard solitaire est surtout un ami inoubliable qui sème sur son passage le ferment de la grande fraternité humaine. Et parce qu’il a toujours « les semelles au vent », il se fait parfois subtilement attaqué sur ses « vagabondages littéraires ». Mais comme l’albatros, ce vaste oiseau des mers, LPD se rit des flèches de l’archer.

Et que dire de cette sympathique ville de Milwaukee qui porte comme un trophée son magnifique musée dessiné de main de maître par Santiago Carla Trava, architecte espagnol qui, en l’occurrence défia les limites entre structure, architecture et travaux de conceptualisation. Une certaine légende urbaine affirme que les soirs de pleine lune, le bateau-musée, toute voile dehors va discrètement naviguer sur les eaux glacées du lac Michigan. Non, il ne s’agit nullement d’une légende germanique ni même amérindienne. C’est sorti tout droit de l’imagination du visiteur que je suis, fasciné par la silhouette argentée de cette architecture qui se découpe au creux de la ville-eau.

La ville de Milwaukee a un taux surprenant de francophones qui font le charme de sa diversité, ses nuits de jazz révèlent en outre, ce qu’une certaine Amérique peut avoir de plus attachant.

Des personnalités comme Marie Anne Toledano du Consulat Général de France, Anne Leplae de l’Alliance française de Milwaukee, Sarah Davies Cordova, professeur de français au département de littérature comparée de l’Université de Milwaukee, sans oublier Madame Gabrielle Verdier et Anita Alkhas ont joué un rôle unique dans le succès académique et humain de cette rencontre « Haïti 2012 ».

Un bon mot pour nos vice-consuls de Chicago qui ont payé de leur présence une manifestation qui parle d’Haïti autrement.

Et ce n’est pas courant, croyez-moi !

* Éducateur, enseignant