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Haïti-Rép. Dominicaine : Le débat autour des Dominicains d’origine haïtienne

Par Wooldy Edson Louidor

P-au-P, 15 mars 2012 [AlterPresse] ---Alors qu’Haïti s’enlise dans le débat politique autour de la multiple nationalité, le pays voisin – la République Dominicaine - est dans le collimateur des organisations de droits humains et des organismes régionaux et internationaux en raison de la « dénationalisation » des citoyennes et citoyens dominicains d’origine haïtienne, selon les informations rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.

La République Dominicaine (R.D.) a été convoquée, à Washington le 24 octobre 2011, par la commission interaméricaine des droits humains (Cidh) à une audience au sujet de 457 cas de Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne qui se sont vu refuser le renouvellement de leurs documents d’identité.

Le lundi 12 mars 2012, la R.D. a tenu à présenter par devant le comité des droits humains des Nations Unies, à New York, son rapport sur la mise en œuvre du pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le thème de la discrimination contre les Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne a été passé au peigne fin par les experts de ce comité.

Le déroulement de la réunion

Une délégation de l’État dominicain, conduite par l’ambassadeur dominicain à l’organisation des Nations Unies (Onu), Virgilio Alcántara, a répondu, au cours d’une réunion de six heures de temps (déroulée en deux sessions), à 29 questions écrites et 79 autres questions « spontanées », posées par les dix-huit experts indépendants du comité des droits humains au sujet du rapport de la République Dominicaine.

Ce rapport, sur la mise en œuvre des droits civils et politiques en République Dominicaine, notamment la lutte contre la torture, les traitements inhumains, cruels et dégradants et contre la discrimination, a été soumis à l’organisme onusien à son siège à New York entre les 12 et 13 novembre 2011.

En attendant les recommandations du comité des droits humains, présentées généralement sous formes d’observations générales, le chancelier dominicain Carlos Morales Troncoso a félicité la délégation dominicaine, qui, à son avis, a pu convaincre les experts onusiens des « progrès indiscutables et significatifs de la République Dominicaine en matière de droits humains ».

La nouvelle a fait la une des médias dominicains, dont un grand nombre l’a interprétée en termes positifs.

« L’Onu a certifié que la République Dominicaine n’est pas un État raciste », « le comité a approuvé le rapport de la République Dominicaine »…, peut-on lire dans les grands titres de quelques médias dominicains.

Ce mercredi 14 mars 2012, les médias dominicains ont publié une autre « bonne nouvelle », selon laquelle le président de la conférence épiscopale de l’église catholique romaine d’Haïti, Monseigneur ChiblyLangois, aurait affirmé qu’ « il ne croit pas qu’en République Dominicaine, il existe une politique d’État raciste, appliquée contre les migrantes et migrants haïtiens ».

Ces deux nouvelles pourraient être considérées comme une « victoire » en faveur du gouvernement dominicain et de l’image du pays voisin d’Haïti.

Des dénonciations contre la politique raciste de dénationalisation

Trois (3) jours avant la présentation de son rapport au comité des droits humains, Amnesty International a dénoncé des niveaux « alarmants » de violations des droits humains dans ce pays.

Parmi ces violations, l’organisme international cite : les traitements cruels, voire des tortures perpétrées par des policiers, la discrimination contre des minorités, dont des Dominicains d’origine haïtienne et des migrants haïtiens, la violence contre les femmes, contre les journalistes…

Le gouvernement dominicain y voit une campagne de « diffamation » contre l’image du pays.

En outre, l’administration du président Leonel Fernández a été convoquée, le 24 octobre 2011, àune audience au sujet de 457 cas de Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne qui se sont vu refuser le renouvellement de leurs documents d’identité.

Des organisations de droits humains, dont le Service Jésuite aux Réfugiés, ont dénoncé une politique raciste, appliquée par le gouvernement dominicain pour « dénationaliser » les Dominicains d’origine haïtienne, notamment sur la base de deux directives [la Résolution N0. 12 et la Circulaire N0. 17, diffusées par le Conseil électoral dominicain (Junta Central Electoral –Jce-)].

Ces deux directives ne sont nullement basées sur des critères racistes visant à dénationaliser des Dominicains d’origine haïtienne, mais plutôt « répondent à un effort pour améliorer le caractère institutionnel de nos bureaux d’État civil, puisqu’il s’agit d’une procédure destinée à détecter des fraudes et des irrégularités » dans la délivrance de pièces d’identité, soutiennent, pour la circonstance du 12 mars 2012, les délégués du gouvernement dominicain.

La Jce n’a reçu que 120 cas de Dominicains qui se sont vu refuser leur pièce d’identité, et non pas 417, tel que l’affirment ces organisations « pro-haïtiennes », affirment les délégués dominicains à la réunion du 12 mars 2012.

« En République Dominicaine, il n’existe pas une politique d’État discriminatoire contre des personnes qui se trouvent sur son territoire », soulignent les délégués dominicains, après un long discours mettant en exergue les efforts de la Jce pour moderniser l’État civil, corriger des erreurs et détecter des irrégularités.

Plus de 200,000 Dominicains d’origine haïtienne exposés à l’apatridie

La Jce ne pratique pas la discrimination contre des descendants d’Haïtiens ni contre aucun étranger, mais applique les lois établies dans la Constitution dominicaine, indique, dans une interview à la presse, le délégué de l’organisme électoral dominicain, José Ángel Aquino, à la réunion du comité des droits humains.

« Les activistes affirment que des personnes - qui disent avoir la nationalité - se sont vu refuser leurs pièces d’identité, nous allons présenter des évidences de première main de ce que le pays n’exerce aucune politique de discrimination contre des étrangers, mais applique une politique uniforme depuis 1929 », exprime–t-il.

Depuis 2001, le comité des droits humains de l’Onu fait état de ses préoccupations en ce qui concerne les déportations massives de Dominicaines et de Dominicains d’origine haïtienne, ainsi que les traitements cruels, inhumains et dégradants infligés aux déportés, l’absence de protection des travailleurs haïtiens, leurs conditions inhumaines de vie et de travail et « l’abus de la figure juridique de migrante / migrant en transit qui, selon des informations reçues, peut être appliquée à une personne née en République Dominicaine de parents qui, à leur tour, sont nés sur le même territoire, et pourtant ne sont pas considérés comme des citoyennes / citoyens dominicains ».

Dans son rapport, présenté le 12 novembre 2009 au même comité onusien, l’État dominicain avait informé qu’« il se trouve dans un processus de réforme constitutionnelle ».

« Le texte en cours d’approbation inclut les droits fondamentaux comme les droits civils et politiques tels que : la dignité humaine, l’égalité et la non-discrimination…. », avait tenté d’assurer l’État dominicain.

Cependant, des organisations de défense de droits humains dénoncent l’injustice et l’exclusion contre des Dominicains d’origine haïtienne, qui se cachent derrière la nouvelle définition de la citoyenneté dominicaine.

« Sont Dominicaines et Dominicains ceux qui sont nés sur le territoire national, à l’exception de celles et ceux qui sont filles et fils d’étrangers membres de légations diplomatiques et consulaires, ou d’étrangers qui se trouvent en transit ou qui résident illégalement sur le territoire dominicain.

Est considéré, comme personne en transit, tout étranger défini comme tel dans les Lois dominicaines », stipule l’article 18, paragraphe 3, de la nouvelle Loi-mère dominicaine.

Cette définition, qui est en train d’être appliquée de manière rétroactive (principale critique des organisations de droits humains), exclut près de 200,000 personnes d’ascendance haïtienne, nées sur le sol dominicain.

Cette situation d’apatridie, à laquelle sont exposés ces 200,000 Dominicains, a été sévèrement critiquée par les États-Unis d’Amérique qui, dans un rapport du Département d’État américain (2009), soulignent leur préoccupation pour ces apatrides d’origine haïtienne en République Dominicaine.

Ces personnes ne sont pas « sans patrie » (selon l’étymologie du terme) : elles sont des ressortissantes et ressortissants haïtiens en vertu du principe du jus sanguini (droit du sang) reconnu par la Constitution Haïtienne qui considère comme Haïtiennes et Haïtiens toutes les filles et tous les fils d’Haïtiens, peu importe leur lieu de naissance, répond, face à ces critiques, l’aile politique nationaliste la plus dure de la République Dominicaine, en l’occurrence la force nationale progressiste.

Les sans-nationalités d’origine haïtienne, une problématique également haïtienne

Le thème de la nationalité des Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne, qui implique, d’une façon ou d’une autre, les deux nations, devrait être au menu des débats binationaux entre les deux gouvernements.

Outre le débat sur la multiple nationalité, la problématique des sans-nationalités d’origine haïtienne, notamment en République Dominicaine, devrait être aussi au centre des préoccupations identitaires et constitutionnelles d’Haïti. [wel rc apr 15/03/2012 13:47]