Español English French Kwéyol

Préoccupations de la CONAP dans cette conjoncture de transition

Lettre ouverte au Premier Ministre de la République d’Haïti

Soumis à AlterPresse le 14 mars 2004

Port-au-Prince, le 13 mars 2004

M. Gérard LATORTUE

Premier Ministre de la République D’Haïti

En ses Bureaux

Objet : Préoccupations de la Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes - CONAP - dans cette conjoncture de transition.

Monsieur le Premier Ministre,

La Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes, CONAP, suit avec beaucoup d’attention l’évolution de la crise conjoncturelle occasionnée par la contestation des élections de l’année 2000. Le départ de M. Jean Bertrand Aristide des timons du pouvoir a considérablement modifié le panorama de la crise et oblige à la constitution d’un gouvernement de transition. La CONAP salue votre ascension au poste de Premier Ministre comme résultant d’un processus national incarné par le travail du Conseil des Sages.

Comme vous devez le savoir, la CONAP est une concertation de diverses organisations de femmes et féministes qui s’est donnée pour vocation le plaidoyer en faveur des Droits des Femmes. La CONAP est à l’origine de la déclaration d’hors-la-loi du régime Lavalas et a lutté activement, certes au renvoi dudit régime, mais surtout pour l’instauration d’un Etat de droits basé sur la justice sociale. Dans cette perspective, les organisations membres de la CONAP ont fait de la lutte contre la discrimination en général et contre la discrimination à l’égard des femmes en particulier son principal champ d’actions, en témoignent les longues négociations avec la quarante-sixième Législature et l’Exécutif sous l’égide du Premier Ministre Jacques Edouard Alexis.

A l’heure où vous vous apprêtez à prendre les gouvernails de l’Exécutif et à constituer votre gouvernement, nous voudrions soumettre à votre attention les préoccupations suivantes qui de par l’encrage de la CONAP dans la Société Civile représentent les aspirations de larges secteurs de la population :

1. Malgré la supériorité numérique des femmes au sein des populations, celles-ci ont toujours été maintenues à l’écart des espaces de décision. Dans un esprit de justice sociale, des mesures correctrices doivent être prises pour remédier au tort qui a été fait aux femmes. Aussi, nous vous demandons d’appliquer, comme c’est le cas dans certaines sociétés démocratiques, le principe du quota d’un tiers (1/3) dans la constitution du gouvernement et de l’appareil d’Etat. Ce quota étant entendu comme mesure minimale, puisque très loin du pourcentage de 52% que représentent les femmes dans la société haïtienne. Un des mécanismes éprouvé pour atteindre un tel objectif est l’option préférentielle pour les femmes avec la mesure positive « à compétence égale, préférence aux femmes ».

2. Les preuves de l’iniquité du gouvernement Lavalas ne sont plus à faire. Les vols, la corruption, et l’incompétence étaient les caractéristiques de vos prédécesseurs. La société haïtienne dans sa totalité aspire à rompre avec ses pratiques. De partout fuse la même demande de « changer l’Etat ». Une telle démarche commande aussi de rompre avec l’impunité. L’ensemble des responsables de l’ancienne administration étatique est solidairement responsable de la mauvaise gouvernance Lavalas. Aussi, il ne saurait être question qu’un-e ministre et ou directeur-trice général-e du gouvernement Aristides-Neptune fasse partie du nouveau gouvernement. De même, tout ancien-ne responsable de l’administration publique doit être aussi évalué-e à la lueur de son style de gouvernance. La gestion autoritaire, arbitraire, exclusive et/ou inefficiente doit être aussi bannie. Les gouvernés-es n’accepteront pas le recyclage d’anciens gouvernants-es ayant gaspillé les maigres fonds de l’Etat pour des dépenses futiles ou personnelles.

3. La bonne gouvernance oblige aussi à la transparence. Il serait de bon gré que le Premier Ministre, de même que le Conseil des Sages, informent les populations sur les contenus des propositions aux postes de Ministre et de Directeur-trice Général-e soumis pour consultation audit Conseil. Les populations n’ont pas à être informées de ces « fameux noms » par la rumeur.

4. Le gouvernement Lavalas aussi a été décrié par l’ensemble des forces vives de la nation pour ses multiples violations des Droits Humains. Comme durant le coup d’Etat de 91-94, le viol contre les femmes était utilisé comme arme politique de répression. Comme dans les temps sombres du coup d’Etat de 91-94 le nombre de femmes violées par les chimères / sbires Lavalas ne se compte plus. Justice doit être rendue aux victimes, aux victimes des chimères et policiers d’hier comme à celles de l’ancienne armée d’Haïti et du FRAPH, d’avant hier. Ces crimes ont été commis dans un contexte politique de répression généralisée, ils commandent des solutions politiques. Votre gouvernement doit prendre ses responsabilités, les femmes ont assez attendus.

5. Fort de toutes ces exactions et afin de rompre définitivement avec l’impunité, la CONAP s’attend à ce que des mesures conservatoires soient prises à l’ encontre des membres de l’ancien régime Lavalas. Ainsi nous vous demandons de mettre l’action publique en mouvement afin que des mesures d’interdiction de départ, de gel des avoirs soient appliquées contre ces hors-la-loi

La CONAP demeure résolument attachée à une recherche de solutions nationales aux problèmes de la nation. La constitution d’un Conseil des Sages dont les membres ont été désignés-es par des secteurs de la société est un pas dans cette direction. Nous devons poursuivre nos efforts dans ce sens. Vu l’urgence de constituer un gouvernement, il aurait été utopique de réclamer un Conseil des Sages véritablement représentatif eu égard aux différentes forces en présence. Aujourd’hui, à la veille de la mise en place de ce gouvernement la question de la représentativité du Conseil des Sages redevient à l’ordre du jour. Nous réclamons que l’actuel Conseil des Sages évolue vers un Conseil d’Etat dans le sens de la proposition de la Plate-forme Démocratique. Reste à s’entendre sur les différents mécanismes d’opérationnalisation de cette proposition.

Le prochain gouvernement va agir sans parlement. Ceux et celles qui se réclament de la quarante-septième Législature sont entrés-es au Parlement à la faveur d’élections frauduleuses. D’ailleurs, l’ensemble des accords politiques des mois de décembre 2003 à février 2004 s’accordent sur le renvoi de ses usupateurs-trices. La Nation Haïtienne est donc sans Parlement. Nous sommes dans une situation d’extra-constitutionalité. A cette situation une réponse s’inspirant de la Constitution haïtienne est impérative. Par des fonctions de conseil et de contrôle, nous attendons à ce que le Conseil d’Etat accompagne le gouvernement jusqu’au prochaine élections.

Convaincues que vous aurez à coeur de prendre en compte ces différentes préoccupations, la CONAP vous prie de recevoir, Monsieur le Premier Ministre, nos patriotiques salutations.

Pour la CONAP

Enfofanm,

Fanm Deside Jacmel

Fanm Yo La

Kay Fanm

SOFA

Myriam Merlet, ENFOFANM