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Prochain séjour controversé de Jean Bertrand Aristide en Jamaïque

P-au-P., 13 mars. 04 [AlterPresse] --- L’ une des premières personnalités à condamner la décision du premier ministre jamaïcain Percival Patterson d’inviter sur son territoire pour dix semaines le président haïtien déchu, Jean Bertrand Aristide, est le nouveau chef du gouvernement Gérard Latortue.

Celui-ci qualifie, dans un entretien téléphonique avec son homologue jamaïcain, une telle invitation de geste inamical de la part de la Communauté Economique de la Caraïbe (CARICOM) et de Percival Patterson.

« La classe politique haïtienne trouve cette histoire très malsaine. Et elle a déjà fait part de ses appréhensions au nouveau chef du gouvernement haïtien », déclare pour sa part le social-démocrate Serge Gilles.

« Connaissant le personnage, s’il s’avise de venir à quelques kilomètres des côtes d’Haïti, c’est pour bloquer le processus démocratique en cours », ajoute le dirigeant du Parti Nationaliste Progressiste Révolutionnaire (PANPRA).

L’International socialiste, dont le premier ministre jamaïcain est membre, ne partage pas la position de Patterson et « la politique en gros de trop de proximité avec Aristide dont le régime était très décrié en matière de droits humains », explique Serge Gilles, également membre de l’IS.

Hubert De Ronceray, qui se réclame du centre-droit, assimile lui l’invitation de Patterson à une forme d’agression de la part de celui-ci, se basant sur le fait que « Jean Bertrand Aristide est le bourreau du peuple haïtien ».

Le leader du parti Mobilisation pour le Développement National (MDN) renchérit comme suit : « Le ramener si près des côtes haïtiennes, c’est lui donner éventuellement la possibilité d’armer ses bandits, c’est appuyer les manœuvres de déstabilisation du pays ».

Pour le démocrate-chrétien Leslie François Manigat, « la présence de Jean Bertrand Aristide en Jamaïque peut paraître comme un facteur insolite et déstabilisateur ».

Cependant, le dirigeant du Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes (RDNP) préfère attendre les explications qui seront données par la délégation qui a été chercher le président déchu à Bangui avant de se prononcer de manière définitive.

L’invitation faite par l’ex-président déchu par Percival Patterson irrite également un leader du mouvement paysan, Chavannes Jean Baptiste.

Le dirigeant du Mouvement Paysan de Papaille préconise même le retrait d’Haïti de la CARICOM, estimant que cette organisation régionale s’est affiché ces dernières années comme un ami et défenseur inconditionnel de Jean Bertrand Aristide et un ennemi farouche d’Haïti.

La décision du premier ministre jamaïcain a également suscité une certaine agitation dans les rangs des organisations féministes qui digèrent mal la décision du premier ministre jamaïcain.

Redoutant que le retour de Jean Bertrand Aristide dans les Caraïbes ne ravive les tensions en Haïti, Washington a appelé ce 12 mars les autorités de Kingston à garder à cette visite un caractère temporaire et privé.

De source officielle à Bangui (Centrafrique), on apprend qu’une délégation conduite par le premier ministre Percival Patterson en personne est attendue ce 14 mars dans la capitale centrafricaine pour emmener le dictateur haïtien déchu dans les prochains jours.

La station privée Radio Kiskeya, se basant sur une source bien informée, a rapporté ce 13 mars que le transport par avion de Jean Bertrand Aristide, de Bangui à Kingston, est payé par l’Etat Haïtien.

La rondelette somme de cent quatre-vingt-dix mille dollars américains destinée à l’affrètement de l’appareil aurait été prélevée, selon la même source, d’un compte de l’Etat haïtien à l’étranger.

Les autorités jamaïcaines ont évoqué des raisons humanitaires pour justifier la venue de Jean Bertrand Aristide et de son épouse, Mildred Trouillot, dans leur pays. Ce séjour devrait leur permettre de rencontrer leurs deux filles vivant aux Etats Unis.

Les circonstances du départ pour l’exil d’Aristide le 29 février dernier ont suscité la polémique entre deux duos, CARICOM / Union Africaine (UA) et Washington / Paris.

Soutenu dans ses allégations par la communauté des pays des Caraïbes et l’UA, Jean Bertrand Aristide maintient qu’il a été enlevé et se considère par ainsi toujours « président légitime » d’Haïti.

Washington et Paris ont rejeté ces accusations, affirmant qu’il a démissionné de son propre gré pour éviter un bain de sang.

« Jean Bertrand Aristide a choisi de démissionner face à la menace des insurgés armés qui s’apprêtaient à marcher sur Port-au-Prince », a pour sa part rappelé ce 12 mars, au micro d’un parterre de journaliste, l’ambassadeur des Etats-Unis à Port-au-Prince, James B Foley, en marge de la cérémonie d’investiture du nouveau premier ministre Gérard Latortue au Palais National.

« A preuve, le lendemain du départ pour l’exil de monsieur Aristide, les rebelles étaient déjà à la capitale haïtienne », a martelé le diplomate américain.

Cette thèse avait déjà été soutenue par des dirigeants de la plateforme démocratique dont Evans Paul. Selon ce dernier, « ce qui a véritable pesé dans la décision de Jean Bertrand Aristide de démissionner, c’est quand les agents américains de sa sécurité rapprochée lui ont clairement fait savoir qu’il ne pouvait plus assurer sa sécurité, ne voulant pas tuer des haïtiens ».

La gestion de la crise haïtienne par l’administration Bush et la polémique sur les circonstances du départ d’Aristide pour Bangui (Centrafrique), le 29 février, divisent démocrates et républicains à sept mois des présidentielles aux Etats-Unis.

D’ailleurs, la délégation attendue ce 14 mars à Bangui pour emmener le président haïtien déchu en Jamaïque devrait comprendre des personnalités de l’opposition démocrate américaine et des membres du « black caucus », le groupe des élus noirs du congrès.

Jean Bertrand Aristide s’agite en exil alors que le processus politique - sous tutelle étrangère- amorcé après son départ paraît en voie de normalisation.

Un chef d’Etat par intérim en la personne de l’ancien président de la cour de cassation (le plus grand tribunal d’Haïti), Me. Boniface Alexandre, siège au Palais National depuis environ une semaine.

Un nouveau premier ministre en la personne de l’économiste Gérard Latortue, un ancien fonctionnaire ONUsien ayant dirigé notamment pendant plus de douze ans une section de l’ONUDI, a été investi par le nouveau président provisoire.

Le gouvernement devrait être en place au cours de la semaine du 15 mars 2004.

Cette tendance à la normalisation du processus politique haïtien détonne dans un environnement sécuritaire volatil et incertain.

Le flou sur la question du désarmement paraît comme l’une des principales pierres d’achoppement à la « réussite » de la transition politique.

Le 7 mars dernier, des partisans armés du président déchu ont fait feu sur des manifestants à Port-au-Prince, faisant environ huit morts et plus d’une trentaine de blessés.

Cette toute première manifestation de la plateforme démocratique à la capitale haïtienne depuis le 29 février visait à fêter la chute de Jean Bertrand Aristide à la dite date et réclamer le désarmement des chimères lavalas. [vs apr 13/03/2004 17:50]