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Etats-Unis-Elections : Épreuves républicaines

Par Frantz-Antoine Leconte, Ph.D

Soumis à AlterPresse le 20 février 2012

Inventives et même risibles, les élections primaires républicaines de l’Iowa, de la Caroline du Sud, de la Floride et du Nevada ne cessent d’amuser, bien qu’elles projettent des aspects tragiques générés d’une part, par le renforcement du conservatisme impudique des hommes et des femmes de ce parti et d’autre part, par une décision de la Cour suprême en 2010, autorisant les dons directs des entreprises, syndicats et associations en milliards de dollars aux candidats sans l’obligation de dévoiler leur source de financement. Les super-comités ou les « Super Pac » ne font l’objet d’aucune limite. Ils peuvent inonder l’espace électoral, les radios, la télé, les journaux et magazines, les meetings de masse et les panneaux publicitaires pour pouvoir imposer un choix politique en influençant le scrutin. De manière radicale.

Ce coup d’envoi de la présidentielle américaine est d’abord républicain par l’objectif de trouver un interlocuteur valable, un candidat providentiel, dont l’habilité et le charisme empêcheraient un blitz démocrate le 6 novembre prochain. Ces caucus et élections primaires n’ont pu se dégager, voire se libérer de l’ombre très pesante de l’hôte de la maison blanche qui traumatise encore ses adversaires politiques depuis les dernières élections générales. Et pourtant, l’économie américaine qui tourne au ralenti depuis les années burlesques de Georges Bush, qui l’a convertie d’excédentaire en déficitaire, n’a donné que des velléités de reprise très tardives à la fin de l’année 2011. On s’attendait depuis le caucus de l’Iowa à une confrontation qui établirait pour de bon Mitt Romney en champion indiscutable, ou en incontournable chevalier qui affronterait Barack Obama sur les champs d’honneur de la présidentielle de 2012. Pour cela, il faudra évidemment distancer Rick Santorum par un choix massif de l’électorat, un élan irrépressible et une confirmation plus que certaine avant de participer à la grande farandole politique du 6 novembre 2012.

Avant de parvenir à cette fête qui garde toujours un quelconque suspense et quelques surprises, combien d’autobus, de trains, d’avions à prendre, combien de mers à traverser pour le pèlerin qui veut participer à la rituelle présidentielle de l’Amérique ? Comment conserver une atmosphère festive, une posture triomphale et beaucoup d’optimisme, quand on sait que les dépenses incroyables ne garantissent pas toujours à 100% le succès escompté. La lourde facture de plus de $6 millions de Rick Perry n’a pas opéré de miracle dans l’Iowa. Le gouverneur du Texas a eu beaucoup de mal à galvaniser la frange conservatrice du parti républicain et un peu plus, après avoir souffert d’amnésie en public, au beau milieu d’un débat. Depuis, sa campagne semblait s’effondrer. Après avoir examiné ses options, il a jeté l’éponge, cela n’a étonné personne.

Pas de miracle non plus pour Michele Bacman. Depuis sa déclaration solennelle que Dieu avait puni New York en provoquant dans la ville un séisme et un ouragan pour avoir permis le mariage homo, sa côte de popularité n’a fait que fondre jusqu’à son retrait de la course.

Newt Gingrich, même s’il paraît du groupe, le plus authentique conservateur et visionnaire, est trois fois marié, promoteur « de mariage libre » par surcroît, des divorces scandaleux, des activités controversées à son actif et un passé lourd qu’on n’oublie pas. La guerre de la publicité « négative » a failli le décimer dans l’Iowa et en Floride. Après l’échec du Nevada, il est à la recherche d’un second souffle en face de la dynamique de Mitt Romney, et maintenant, celle de Rick Santorum.

Ce dernier s’est révélé un grand gagnant au cours de ce premier grand oral de l’Iowa. Il a pu devancer Mitt Romney, « le favori » républicain qui se transforme trop en alchimiste politique pour défendre sa cause. La soif toute « pavlovienne » de Romney de parvenir à la maison blanche autorise tous les oxymores et dérapages. Alors que le spectre de la pauvreté menace presque la moitié de la population américaine, il ne s’embarrasse guère en voulant faire un pari de $10.000,00 en plein débat, admettre que $374.000,00 n’est qu’une bagatelle et confirmer autant son insensibilité aux pauvres qu’aux animaux. Mais il avait déjà une foule d’ennemis, les démocrates, les ultraconservateurs, la droite religieuse, les anti-Mormons et les anticapitalistes. Maintenant, il s’est mis à dos les amis et protecteurs des bêtes pour avoir en 1983 placé le chien de la famille sur le toit de sa voiture pendant 12 heures en voyage pour le Canada. Quelques manifestants ne l’appellent plus que Mitt « le tortionnaire de chien ».Et puis, ses critiques trop acides du président et de Rick Santorum risquent de se retourner contre lui. Malgré son énorme capacité financière, il subsiste quelques problèmes d’envergure dans son camp. Il n’est pas, dit-on, assez conservateur, selon les fondamentalistes des églises luthérienne, méthodiste, baptiste, et même catholique qui accordent leur soutien « moral » et financier au parti républicain. Aussi étrange que cela puisse paraître, on agite encore en 2012 en Amérique l’épouvantail du spectre de l’Etat-providence, du socialisme et de la guerre des classes, même quand le président en exercice sauve les plus grandes industries du pays de la faillite. Pour attirer une bonne partie de l’électorat, il faut jurer son anti-avortement, son anti-homosexualité, s’élever contre les coupons d’alimentation, les loyers subventionnés, la couverture universelle de santé, toute forme d’aide sociale, éducative ou économique en faveur des démunis et pour l’exonération d’impôts des millionnaires et milliardaires, ou si l’on préfère, « des créateurs d’emplois ». Cela peut faire décerner des brevets de courage et de citoyenneté exemplaire, sans doute ?

On rirait, si ce n’était triste, et même pathétique, de cette naïveté qui nous pousse à demander pourquoi y a-t-il des indignés aux USA et pourquoi perturbent-ils les quartiers d’affaires et autres sites de luxe ? On se prononce pour un ETAT minimaliste qui se croiserait les bras, replié sur soi, en dehors et au-delà de la « précarité » de ses citoyens. Et pourtant, on serait étonné de se rendre compte par les statistiques de l’appartenance ethnique de ceux qui reçoivent plus que les autres les mannes de l’Etat américain...

Fait plus important, tous les candidats républicains au cours de cette campagne se sont entre-déchirés… Ils n’ont partagé que deux objectifs communs de destruction : l’oblitération des autres candidats de leur parti et celle du président démocrate. Pour y parvenir, ils ont adopté une même stratégie qui ne reconnaît ni les statistiques, ni la véracité de l’histoire récente. Au cours de leur démarche de démantèlement politique et même après, ils conservent encore leur rancune, leurs ressentiments et toute l’amertume des mauvais jours. Cet exercice d’anthropophagie politique a fait tomber tous les gants, hésitations et retenue.

Quid de Ron Paul qui se situe derrière Mitt Romney, Rick Santorum et Newt Gingrich ?
Animal politique atypique, champion qui rêve d’édifier dans la glaise du réel une vieille
utopie anarchisante autant que séduisante sur l’échiquier politique. Représentant du courant « libertarien » qui recommande l’isolationnisme des USA et le retrait total de l’Etat, idéologie dont les sirènes attirent les jeunes et les vieux pacifistes et tous ceux qui croient que l’Amérique, puissance mondiale, ne devait rester que dans ses frontières, enfermée dans son cocon. Cela développerait un isolationnisme malsain, déconcertant ou un enfermement pathologique américano-américain. Certainement.

Que suggèrent les caucus et primaires de l’Iowa, New Hampshire, South Carolina, Florida, Nevada, Colorado, Minnesota, Missouri et Maine dans le contexte de la reprise de l’économie du pays ? Que l’électorat républicain est largement divisé par des mouvements de polarisation, écartelé par des tiraillements issus de valeurs différentes et des accidents de parcours qui menacent tout le monde sur un échiquier politique aussi instable. Et, en dernier lieu, une dynamique conservatrice extrémiste qui éloigne d’avantage les indépendants et les démocrates conservateurs, indispensables à toute victoire républicaine du 6 novembre 2012.