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Haïti-Politique : Poursuite du cycle de tâtonnements avec la démission de Garry Conille

Par Ronald Colbert

P-au-P, 28 févr. 2012 [AlterPresse] --- Le cycle de tâtonnements, qui caractérise la gestion publique en Haïti depuis la chute de la dictature des Duvalier le 7 février 1986, semble vouloir se prolonger, voire empirer avec la démission du premier ministre Garry Conille en cette fin de février 2012, relève l’agence en ligne AlterPresse.

De 1986 à 2012, Haïti a vécu très peu de temps d’accalmie politique.

Les tensions politiques se sont davantage exacerbées avec l’accession au pouvoir de Michel Joseph Martelly, le 14 mai 2011, après une présidentielle controversée (novembre 2010 et mars 2011) et notamment marquée par des turbulences et l’ingérence de la communauté internationale par l’organisation “interposée” des États américains (Oea) dans les résultats proclamés.

C’est finalement au bout de 5 mois, soit le 15 octobre 2011, que Martelly a pu disposer de son premier gouvernement. L’ancien chanteur de rythme “compas” n’avait pas cru bon de négocier préalablement avec les forces politiques représentées au parlement, dans la perspective de dégager une majorité parlementaire non seulement pour obtenir la ratification de son gouvernement, mais aussi pour faire passer ses choix politiques.

Du 14 mai 2011 au 24 février 2012, l’orientation politique de Martelly a cheminé de scandales, en passant par diverses agressions, jusqu’à des crises évitables, mises sous le compte de l’inexpérience politique et de l’improvisation.

Après le rejet de deux candidats (Daniel Gérard Rouzier par 42 sur 64 députés présents le 21 juin 2011 ; puis Bernard Honorat Gousse par 16 sénateurs sur 30 le 2 août 2011), des pommes de discorde ont eu lieu successivement entre la présidence et le parlement, ensuite avec la presse : fin septembre 2011 avec le sénat sur le choix des juges de la Cour de cassation ; début octobre 2011 sur la nomination des délégués (représentants de la présidence dans les 10 départements géographiques) sans l’aval du conseil des ministres sortants ; fin octobre 2011, arrestation, sur la piste de l’aéroport international, du député en fonction Arnel Bélizaire ; sans oublier une série de différentes incartades, poussées autoritaristes et agressions contre la presse nationale… jusqu’à la question de nationalité…

Aujourd’hui, le président du sénat Simon Dieuseul Desras et celui de la chambre des députés Levaillant Louis Jeune appelle à la vigilance citoyenne pour sauvegarder les acquis démocratiques, comme la liberté d’expression et son corollaire la liberté de la presse, et prévenir le pire.

Il faut “ exiger que les dirigeants se mettent effectivement à l’œuvre sous l’empire de la Constitution, en tenant compte de leurs prérogatives et de leurs limites. Puisque la loi-mère prévoit les mécanismes qui indiquent aux hommes et aux femmes comment ils doivent servir la cause publique”, souhaite le parlement.

“Notre société aujourd’hui est grosse d’événements majeurs, et personne, absolument personne, ne peut se replier dans un silence sans être complice… pour que le respect des lois redevienne norme dans notre société qui se cherche”.

Évoquant la stabilité politique comme condition essentielle pour attirer les investissements nationaux et étrangers, les États-Unis d’Amérique appellent l’exécutif, le parlement et les autres branches gouvernementales à garantir la continuité de “ l’engagement aux valeurs démocratiques, en confirmant au plus vite un nouveau Premier ministre, en organisant la tenue d’élections parlementaires et locales ce printemps, en poursuivant la lutte contre la corruption, et en s’assurant que les droits de tous les Haïtiens soient respectés dans le cadre de l’État de droit”.

« La démission du Dr. Garry Conille démontre, malheureusement, que les déchirements ont pris le dessus sur la conciliation au détriment du pays, alors que la population haïtienne aspire à amorcer véritablement le tournant qui la conduira sur la voie de la reconstruction, de la croissance économique et du renforcement des institutions de l’État de droit », relève la mission des nations unies de stabilisation en Haïti (Minustah).

La force onusienne suggère aux autorités haïtiennes de privilégier et de maintenir un climat harmonieux et propice à la stabilisation démocratique d’Haïti et à la relance économique.

Prévisible depuis le 16 février 2012, avant la trêve du carnaval 2012, la démission du chef de gouvernement Dr Garry Conille est officiellement intervenue dans la matinée du 24 février.

Le boycott, par l’ensemble des 18 ministres (sauf 5 secrétaires d’État qui s’y seraient présentés), d’une réunion gouvernementale convoquée, la veille 23 février, par le premier ministre désormais démissionnaire, serait la goutte d’eau qui a propulsé au départ de l’ancien fonctionnaire international.

Malgré des démentis renouvelés de différend fonctionnel et institutionnel, perceptible dans les milieux politiques, Conille aurait éprouvé du malaise face à l’omniprésence de Martelly dans les questions relevant plutôt de la gestion gouvernementale.

Contrairement à l’avis du premier ministre, l’ensemble du cabinet ministériel – qui n’a pas tenu compte des remarques de Conille – a fait sienne, le 16 février 2012, une position présidentielle de ne pas répondre à une invitation du sénat enquêtant sur la nationalité des principaux dirigeants (y compris Martelly lui-même) de l’actuelle administration politique.

Le nœud du désaccord serait la décision du premier ministre de faire auditer tous les accords passés, sans appel d’offres sous l’ancienne administration de Joseph Jean Max Bellerive (actuel conseiller au cabinet de Martelly) dans le cadre de la loi d’urgence (mai 2010 – octobre 2011).

Ces contrats sont estimés à plusieurs millions de dollars américains (US $ 1.00 = 42.00 gourdes ; 1 euro = 61.00 gourdes aujourd’hui).

Conille n’a pas été remarqué lors des festivités carnavalesques (du 19 au 21 février 2012), délocalisées aux Cayes (troisième ville d’Haïti, à environ 200 km au sud de la capitale) sur décision unilatérale, le 18 décembre 2011, du président Michel Joseph Martelly.

Qualifié de mandataire des décideurs mondiaux d’Haïti, lorsqu’il est venu briguer le poste de premier ministre fin août 2011, Conille aura passé seulement 4 mois à la tête du premier gouvernement depuis son investiture le 18 octobre 2011.

Martelly, qui demande la sérénité chez les acteurs politiques et les bailleurs de fonds internationaux, s’est-il constitué une majorité confortable côté législatif pour espérer avoir rapidement un nouveau premier ministre ?

Combien de temps le vide gouvernemental va-t-il durer, dans le processus de liquidation des affaires courantes par Garry Conille jusqu’à l’arrivée de son successeur ratifié par les deux branches du parlement ? [rc apr 28/02/2012 0:00]